Duplessis contre les Témoins de Jéhovah : premier round
Québec
1949
On dit que la politique et la religion ne font pas bon ménage. Le droit et la religion ne forment pas un duo idéal non plus - surtout à Québec en 1949. Le Premier ministre, Maurice Duplessis, dirige la province avec une poigne d'acier. Une poigne qui écrase certains membres de la société, notamment les Témoins de Jéhovah.
Aimé Boucher ressent l'étreinte que peut exercer le premier ministre. Aimé Boucher est un cultivateur et un Témoin de Jéhovah de la Beauce. Il est accusé du crime de libelle séditieux pour avoir distribué des dépliants religieux.
La brochure s'intitule La haine ardente du Québec pour Dieu, le Christ et pour la liberté est un sujet de honte pour tout le Canada. La brochure fait état d'incidents de persécution où des Témoins de Jéhovah de Québec sont battus, leurs bibles et publications détruites, leurs maisons envahies et leurs biens dérobés. Certains adeptes ont également été détenus en prison illégalement.
Voici un extrait de cette fameuse brochure :
« Tous les tribunaux canadiens français étaient à tel point sous l'emprise des prêtres qu'ils ont confirmé ce jugement infâme. Ce n'est que lorsque la cause a été entendue par la Cour suprême du Canada que le jugement a été annulé. »
Le juge affirme que si la brochure laisse entendre - et c'estt bel et bien le cas - que, dans la province de Québec, l'administration de la justice est entachée de préjugés, que le clergé catholique contrôle les tribunaux et qu'il semble y régner une haine de Dieu, du Christ et de la liberté, alors M. Boucher est coupable de libelle séditieux. Les membres du jury lisent la brochure et confirme cette accusation. Qui plus est, la cour d'appel du Banc du Roi maintient ensuite cette décision. En bout de ligne, la quête de justice mène à Ottawa et à la Cour suprême du Canada.
Édifice de la Cour suprême du Canada
Ottawa
18 décembre 1950
C'est une semaine avant Noël lorsque cette affaire touchant la religion et la liberté d'expression prend fin. Même si plusieurs juges ne sont pas d'accord, la Cour déclare que, pour être accusée de libelle séditieux, il ne suffit pas qu'une personne use de termes trahissant une certaine hostilité ou mauvaise volonté à l'égard de différents groupes, ou critiquant les tribunaux. Pour certains juges, cette brochure est une forme de protestation contre les mauvais traitements infligés par le gouvernement à ses citoyens. En gros, la Cour suprême du Canada a annulé sa conviction, et M. Boucher peut passer les Fêtes à la maison.
Mais la lutte entre le gouvernement de Duplessis et les Témoins de Jéhovah ne s'arrête pas là.
Savais-tu que...
Maurice Duplessis tient le pouvoir au Québec de 1936 jusqu'à sa mort en 1959. Ses deux sources d'influence principales sont les grosses entreprises et l'Église catholique (l'Église régit le système d'éducation et les services sociaux du Québec). Duplessis résiste aux changements qui balayent le reste du Canada à la suite de la Deuxième Grande Guerre. Son régime se préoccupe particulièrement des personnes non catholiques, des communistes et des syndiqués. Les membres des Témoins de Jéhovah étaient particulièrement mal vus.
Citation à noter :
« La liberté d'opinion et de parole ainsi que les divergences d'opinions en matière d'idées et de croyances sur tous les sujets possibles et imaginables sont l'essence de notre vie. Le choc des discussions critiques sur des sujets politiques, sociaux et religieux est tellement ancré dans l'expérience quotidienne qu'on ne peut pas incriminer les controverses pour le seul motif qu'elles font naître des inimitiés...mais notre société libre accepte et assimile ces différences ... et elles se manifestent dans le cadre général de la liberté et de l'ordre ». (traduction libre)
Juge Rand, dans R. c. Boucher
Savais-tu que...
Libelle avec intention séditieuse signifie le fait d'utiliser un langage visant à provoquer le désordre public ou des actes de violence ou de force physique contre les autorités établies afin de favoriser un changement au sein du gouvernement.
http://www.chrc-ccdp.ca/historical-perspective/fr/timePortals/milestones/58mile.asp