Notre avenir est-il écrit dans notre sang ?
INDUSTRIE-SERVICES | 21/03/2014 - 16:17 | mis à jour à 16:42 | Paul MOLGA
Initialement limitée au dépistage du cancer, l’analyse des protéines sanguines s’ouvre au diagnostic précoce d’autres pathologies. Au point de pouvoir pronostiquer un décès à court terme...
Ces deux dernières années, des découvertes surprenantes se sont multipliées autour des bio-marqueurs. - AFP/BORIS HORVAT
Grossesse, sida, maladies rares, et bientôt tendance suicidaire, risques cardiaques, dépistage précoce d’Alzheimer, troubles autistiques, voire probabilité de décès à court terme… Ces deux dernières années, des découvertes surprenantes se sont multipliées autour des bio-marqueurs. Ces caractéristiques biologiques – généralement des protéines – qui peuvent être mesurées dans le sang ou dans l’urine permettent de détecter les traces sous-jacentes d’un dérèglement physiologique. « Il y a dix ans, les laboratoires pharmaceutiques qui croyaient à ces “signaux faibles” se comptaient sur les doigts d’une main. Pas un aujourd’hui ne leur tourne le dos », constate la consultante Frédérique Lentiez, qui a organisé l’an dernier le premier rendez-vous d’affaires consacré au sujet.
Le marché (20 milliards d’euros cette année) est stratégique, car il permet aux Etats de substantielles économies de santé en anticipant la survenue de pathologies coûteuses. L’Allemagne a d’ailleurs dépensé 37 millions d’euros pour créer en 2010 un centre de recherche européen sur les protéines au nom prometteur : Pure (Protein Research Unit Ruhr within Europe). Lors de son inauguration sur le campus santé de l’université de Bochum, son directeur, le professeur de biophysique Klaus Gerwert, promettait de déceler dans leurs profils protéiques les premiers signes prédictifs de certaines maladies comme le cancer, Alzheimer ou Parkinson.
La compétition est telle qu’il vient d’être devancé par des chercheurs américains de l’université Georgetown qui ont décrit dans la revue « Nature Medicine », il y a dix jours, un test sanguin permettant de prédire presque à coup sûr l’apparition d’un Alzheimer avec jusqu’à trois ans d’avance. Plutôt que de s’intéresser aux protéines ou à d’autres bio-marqueurs courants, tels que les enzymes ou les gènes de prédisposition, les neurologues ont fixé leur attention sur l’identification de graisses dans le sang, dont ils ont découvert l’intérêt en surveillant la composition sanguine de 525 personnes de plus de 70 ans en bonne santé.
Après trois ans, ils ont comparé un groupe de 53 personnes ayant développé une forme précoce d’Alzheimer ou des problèmes cognitifs à un groupe témoin de 53 autres individus sains et ont découvert que le niveau de dix lipides était plus bas chez les premières que chez les seconds. Les chercheurs ont ensuite reproduit le résultat en aveugle en comparant des malades confirmés d’Alzheimer et des personnes non atteintes « avec un taux de précision de 90 % ». Plus de 35 millions de personnes souffrent d’Alzheimer dans le monde et ce chiffre devrait doubler tous les vingt ans, au rythme d’un nouveau cas toutes les 7 secondes. Près de 115 millions de personnes en seront victimes en 2050 selon l’Organisation mondiale de la santé. Le test américain pourrait faire l’objet d’essais cliniques d’ici à deux ans.
« Test de la mort »
Les maladies neurodégénératives ne sont pas les seules cibles du dépistage prédictif. « Les bio-marqueurs sont une solution de pointe pour détecter les signes avant-coureurs de pathologies difficiles à localiser autrement », explique le cardiologue américain Eric Topol du Scripps Translational Science Institute. Il pense ainsi avoir trouvé le moyen d’anticiper une crise cardiaque dans la lecture du nombre et de la forme des cellules endothéliales qui semblent se détacher en nombre des parois du cœur et des vaisseaux sanguins peu de temps avant l’imminence d’une attaque. « C’est comme si l’on pouvait prévoir un séisme avant qu’il n’arrive, compare-t-il. Le Graal de la médecine cardiovasculaire. »
En systématisant l’analyse de groupes ciblés de population, les chercheurs ont fait d’autres découvertes étonnantes. L’été dernier, une équipe de l’université d’Indiana a sondé 75 patients bipolaires et repéré dans leur sang six bio-marqueurs qu’ils ont également retrouvés chez des personnes s’étant volontairement donné la mort. Parmi ces indicateurs, un gène ressort particulièrement, SAT1, qui se manifeste quand les cellules sont soumises à un degré élevé de stress. Son dépistage pourrait offrir selon les chercheurs une prédiction du risque de suicide avec une fiabilité comprise entre 65 et 80 %.
Lire dans le sang
En Australie, une autre équipe s’est intéressée à l’acide quinoléique, une molécule neurotoxique déjà identifiée pour son rôle dans des processus dégénératifs du cerveau. Selon eux, sa concentration plus élevée dans le sang pourrait également être corrélée à un risque suicidaire accru, indépendamment de l’humeur ou de l’anxiété qu’une analyse sanguine ne peut pas déceler. Près de 35 millions de personnes souffrent de dépression dans le monde.
De façon plus surprenante encore, une équipe de biologistes estoniens prétend pouvoir lire dans le sang – comme dans le marc de café, disent leurs détracteurs – l’heure probable de la mort dans les cinq ans à venir ! Leur étude, parue le 25 février dans la revue « PLOS Medicine », porte sur l’analyse de 106 bio-marqueurs connus sur une cohorte de 9.842 individus âgés de 18 à 103 ans suivis entre 2002 et 2011. En épluchant les résultats, il ont mis en évidence que la concentration élevée de quatre d’entre eux (l’albumine, l’orosomucoïde, les lipoprotéines de transport du cholestérol et l’acide citrique) signe un risque 19 fois plus élevé de décéder à court terme. Ce « test de la mort » vient d’être confirmé par une équipe de l’université d’Helsinki après qu’elle a trouvé le même « nécro-cocktail », indépendant de toute maladie, dans le sang de 7.500 personnes apparemment en bonne santé.
Que faire de ces données, qui ne livrent qu’une appréciation du risque global pesant sur la santé sans rien préciser du métabolisme sur le point de se détraquer ? En présentant les résultats de cette étude, le Finlandais Markus Perola a souligné la portée éthique de la question : « Quelqu’un voudrait-il connaître le risque qu’il a de mourir à brève échéance si rien ne peut être fait pour éviter cette issue fatale ? » ■
INDUSTRIE-SERVICES | 21/03/2014 - 16:17 | mis à jour à 16:42 | Paul MOLGA
Initialement limitée au dépistage du cancer, l’analyse des protéines sanguines s’ouvre au diagnostic précoce d’autres pathologies. Au point de pouvoir pronostiquer un décès à court terme...
Ces deux dernières années, des découvertes surprenantes se sont multipliées autour des bio-marqueurs. - AFP/BORIS HORVAT
Grossesse, sida, maladies rares, et bientôt tendance suicidaire, risques cardiaques, dépistage précoce d’Alzheimer, troubles autistiques, voire probabilité de décès à court terme… Ces deux dernières années, des découvertes surprenantes se sont multipliées autour des bio-marqueurs. Ces caractéristiques biologiques – généralement des protéines – qui peuvent être mesurées dans le sang ou dans l’urine permettent de détecter les traces sous-jacentes d’un dérèglement physiologique. « Il y a dix ans, les laboratoires pharmaceutiques qui croyaient à ces “signaux faibles” se comptaient sur les doigts d’une main. Pas un aujourd’hui ne leur tourne le dos », constate la consultante Frédérique Lentiez, qui a organisé l’an dernier le premier rendez-vous d’affaires consacré au sujet.
Le marché (20 milliards d’euros cette année) est stratégique, car il permet aux Etats de substantielles économies de santé en anticipant la survenue de pathologies coûteuses. L’Allemagne a d’ailleurs dépensé 37 millions d’euros pour créer en 2010 un centre de recherche européen sur les protéines au nom prometteur : Pure (Protein Research Unit Ruhr within Europe). Lors de son inauguration sur le campus santé de l’université de Bochum, son directeur, le professeur de biophysique Klaus Gerwert, promettait de déceler dans leurs profils protéiques les premiers signes prédictifs de certaines maladies comme le cancer, Alzheimer ou Parkinson.
La compétition est telle qu’il vient d’être devancé par des chercheurs américains de l’université Georgetown qui ont décrit dans la revue « Nature Medicine », il y a dix jours, un test sanguin permettant de prédire presque à coup sûr l’apparition d’un Alzheimer avec jusqu’à trois ans d’avance. Plutôt que de s’intéresser aux protéines ou à d’autres bio-marqueurs courants, tels que les enzymes ou les gènes de prédisposition, les neurologues ont fixé leur attention sur l’identification de graisses dans le sang, dont ils ont découvert l’intérêt en surveillant la composition sanguine de 525 personnes de plus de 70 ans en bonne santé.
Après trois ans, ils ont comparé un groupe de 53 personnes ayant développé une forme précoce d’Alzheimer ou des problèmes cognitifs à un groupe témoin de 53 autres individus sains et ont découvert que le niveau de dix lipides était plus bas chez les premières que chez les seconds. Les chercheurs ont ensuite reproduit le résultat en aveugle en comparant des malades confirmés d’Alzheimer et des personnes non atteintes « avec un taux de précision de 90 % ». Plus de 35 millions de personnes souffrent d’Alzheimer dans le monde et ce chiffre devrait doubler tous les vingt ans, au rythme d’un nouveau cas toutes les 7 secondes. Près de 115 millions de personnes en seront victimes en 2050 selon l’Organisation mondiale de la santé. Le test américain pourrait faire l’objet d’essais cliniques d’ici à deux ans.
« Test de la mort »
Les maladies neurodégénératives ne sont pas les seules cibles du dépistage prédictif. « Les bio-marqueurs sont une solution de pointe pour détecter les signes avant-coureurs de pathologies difficiles à localiser autrement », explique le cardiologue américain Eric Topol du Scripps Translational Science Institute. Il pense ainsi avoir trouvé le moyen d’anticiper une crise cardiaque dans la lecture du nombre et de la forme des cellules endothéliales qui semblent se détacher en nombre des parois du cœur et des vaisseaux sanguins peu de temps avant l’imminence d’une attaque. « C’est comme si l’on pouvait prévoir un séisme avant qu’il n’arrive, compare-t-il. Le Graal de la médecine cardiovasculaire. »
En systématisant l’analyse de groupes ciblés de population, les chercheurs ont fait d’autres découvertes étonnantes. L’été dernier, une équipe de l’université d’Indiana a sondé 75 patients bipolaires et repéré dans leur sang six bio-marqueurs qu’ils ont également retrouvés chez des personnes s’étant volontairement donné la mort. Parmi ces indicateurs, un gène ressort particulièrement, SAT1, qui se manifeste quand les cellules sont soumises à un degré élevé de stress. Son dépistage pourrait offrir selon les chercheurs une prédiction du risque de suicide avec une fiabilité comprise entre 65 et 80 %.
Lire dans le sang
En Australie, une autre équipe s’est intéressée à l’acide quinoléique, une molécule neurotoxique déjà identifiée pour son rôle dans des processus dégénératifs du cerveau. Selon eux, sa concentration plus élevée dans le sang pourrait également être corrélée à un risque suicidaire accru, indépendamment de l’humeur ou de l’anxiété qu’une analyse sanguine ne peut pas déceler. Près de 35 millions de personnes souffrent de dépression dans le monde.
De façon plus surprenante encore, une équipe de biologistes estoniens prétend pouvoir lire dans le sang – comme dans le marc de café, disent leurs détracteurs – l’heure probable de la mort dans les cinq ans à venir ! Leur étude, parue le 25 février dans la revue « PLOS Medicine », porte sur l’analyse de 106 bio-marqueurs connus sur une cohorte de 9.842 individus âgés de 18 à 103 ans suivis entre 2002 et 2011. En épluchant les résultats, il ont mis en évidence que la concentration élevée de quatre d’entre eux (l’albumine, l’orosomucoïde, les lipoprotéines de transport du cholestérol et l’acide citrique) signe un risque 19 fois plus élevé de décéder à court terme. Ce « test de la mort » vient d’être confirmé par une équipe de l’université d’Helsinki après qu’elle a trouvé le même « nécro-cocktail », indépendant de toute maladie, dans le sang de 7.500 personnes apparemment en bonne santé.
Que faire de ces données, qui ne livrent qu’une appréciation du risque global pesant sur la santé sans rien préciser du métabolisme sur le point de se détraquer ? En présentant les résultats de cette étude, le Finlandais Markus Perola a souligné la portée éthique de la question : « Quelqu’un voudrait-il connaître le risque qu’il a de mourir à brève échéance si rien ne peut être fait pour éviter cette issue fatale ? » ■