Mariages forcés, une réalité mondiale
Pierre Cochez et Olivier Tallès, le 10/10/2016 à 18h34 Envoyer par email
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À l’occasion de la journée internationale des filles, mardi 11 octobre, « La Croix » met l’accent sur le mariage forcé dans le monde. Des millions de jeunes filles continuent chaque année d’être liées à un homme contre leur gré au nom de la tradition, de la pauvreté ou d’une image figée du rôle de l’épouse.
Au Pakistan, une jeune mariée de 12 ans (au centre), va signer le Nikah ( l’acte de mariage) que le mollah lui présente. ZOOM
Au Pakistan, une jeune mariée de 12 ans (au centre), va signer le Nikah ( l’acte de mariage) que le mollah lui présente. / Sarah Caron/Hans Lucas
Pratique très ancienne, considérée aujourd’hui comme une atteinte aux droits de l’homme par les Nations unies, le mariage forcé est le mariage d’une personne contre sa volonté, le plus souvent avant l’âge de 18 ans. Il ne doit pas être confondu avec le mariage arrangé, pour lequel les familles proposent des partenaires aux futurs époux qui ont la possibilité de dire non.
Environ 700 millions de femmes et 150 millions d’hommes mariés dans le monde l’ont été de force avant leur majorité, selon des estimations de l’ONU. La tendance est cependant à la baisse sur tous les continents grâce aux progrès de la scolarité, au recul de la pauvreté et aussi à une prise de conscience des autorités.
► Une pratique encore banale en Asie du Sud
Le Bangladesh, l’Inde et le Pakistan, le Népal et l’Afghanistan concentrent plus de la moitié des mariages non consentis dans le monde. Triste champion en la matière, le Bangladesh, où 29 % des filles sont mariées avant l’âge de 5 ans, malgré la loi qui interdit toute union avant 18 ans. « Le problème est le décalage entre le droit coutumier et le droit public, précise Yvan Savy, directeur de l’ONG Plan France. Au Bangladesh, le droit coutumier des chrétiens autorise le mariage à parti de 21 ans, celui des musulmans parle de 16 ans et les hindous ne fixent aucune limite d’âge. »
De Karachi à Dacca en passant par New Delhi ou Katmandou, les familles évoquent les mêmes raisons : l’ignorance du droit, l’existence de traditions liées au système de la dot des filles, l’inégalité entre les hommes et les femmes, la crainte d’être stigmatisée ou encore les difficultés économiques.
« La fille est considérée comme un fardeau économique »
« Parmi les populations défavorisées, la fille est considérée comme un fardeau économique. La marier c’est se libérer de ce fardeau, ajoute Yvan Savy. Les familles disent aussi vouloir “sécuriser l’avenir de leur fille”, c’est-à-dire lui éviter un éventuel déshonneur d’un rapport sexuel hors mariage. »
Cependant, les pratiques reculent peu à peu grâce à l’allongement de la scolarité, la baisse de la pauvreté et la prise de conscience des pouvoirs publics et des médias. En 2016, le Népal a ainsi porté à 18 ans l’âge légal du mariage, un premier pas dans la lutte contre les unions forcées. Mais dans le même temps, le Pakistan a refusé de passer cet âge de 16 à 18 ans, le conseil islamique évoquant un projet de loi « blasphématoire ».
> Lire aussi : Mariages forcés, l’autre crime des Khmers rouges
► En Amérique latine, une réponse à la violence extérieure
Cette année, le Guatemala a relevé à 18 ans l’âge légal du mariage pour les garçons et les filles. Il était jusque-là de 14 ans pour les filles et de 16 ans pour les garçons… C’est la pauvreté qui pousse aux mariages précoces dans un climat général de violence, à l’extérieur et à l’intérieur de la famille. Yvan Javy, de l’ONG Plan international, résume : « La représentation de la masculinité, la drogue et l’alcool forment un terreau particulier dans ces sociétés sud-américaines. C’est un contexte non sécurisant pour les filles. »
En Bolivie, l’ONG Vision du Monde se concentre sur la prévention des grossesses précoces. Le code de la famille requiert 18 ans ou plus pour se marier mais accepte, sous réserves d’autorisation parentale, les unions à partir de 16 ans.
> À lire : En Equateur, des bébés robots pour diminuer les grossesses adolescentes
« Ces grossesses précoces sont une possibilité, pour les filles, de se projeter dans l’avenir, la seule façon de se réaliser, dans un climat marqué par le sexe et la drogue », observe Sandrine Planchon, de Vision du Monde. Ces jeunes mères sont souvent exclues de leurs familles, abandonnées par leurs compagnons. « Cela alimente le cercle de la pauvreté. Nous luttons contre cela par l’information et l’éducation. »
► Une Europe largement épargnée
Le vieux continent est largement épargné par le mariage forcé, qui prévalait encore au XIXe siècle. Au sein de l’Union européenne, la quasi-totalité des États membres ont harmonisé l’âge minimum du mariage, le fixant à 18 ans pour les femmes comme pour les hommes, une mesure qui contribue fortement à la protection des mineurs. L’Espagne a passé de 14 à 16 ans le minimum légal pour se marier, avec le consentement d’un juge, afin de lutter contre le mariage forcé, mais aussi la pédophilie.
Malgré des législations protectrices, les services des mineurs détectent chaque année encore des cas de mariage forcé. Il s’agit souvent de binationaux. La Bulgarie a ainsi relevé 1 458 cas de mariage d’enfants entre 2011 et 2014. En France, « 4 % des femmes immigrées et 2 % des filles d’immigrés, nées en France, âgées de 26 à 50 ans, ont subi un mariage non consenti », notait en octobre 2014 l’Observatoire national de la violence faite aux femmes.
Un rapport de l’Union européenne s’inquiète aussi de nombreux cas qui touchent les communautés roms de certains pays. « La pratique des mariages d’enfants chez les Roms s’explique en partie par la pauvreté et en partie par des facteurs culturels et traditionnels », précise le document publié en 2016.
► En Afrique, marier pour « protéger »
Dans les campagnes au Burkina Faso, « 30 % des filles de 15 à 19 ans sont enceintes ou ont déjà eu un premier enfant », constate une étude d’Amnesty International. En Afrique de l’Ouest, 16 % des filles de moins de 15 ans sont mariées. Ramatou Touré, du bureau de l’Unicef à Dakar estime que « des familles pensent protéger ainsi leurs filles, notamment de la violence ».
Mariées, elles auront plus facilement accès à un service de santé. « Le mariage précoce peut être vu comme une alternative pour des filles qui vivent enfermées dans leurs familles », poursuit Ramatou Touré. Plus une population est pauvre et rurale, plus cette pratique est répandue. Il est difficile de changer les comportements quand le mariage précoce est une norme sociale majoritaire.
Une campagne de l’Union africaine contre le mariage précoce
Les comportements se modifient avec la modernité. Lentement. Les femmes, en Éthiopie, se marient en moyenne à l’âge de 19 ans, au lieu de 15 ans et demi, il y a trente ans.
L’Union africaine a lancé une campagne pour mettre fin à cette pratique. Elle est relayée dans une quinzaine de pays. « Les politiques, pour être efficaces, doivent bénéficier de l’adhésion des chefs religieux et traditionnels. Mais ces pratiques ne sont pas le fait d’une religion spécifique. Aucune religion ne recommande le mariage des enfants », souligne Ramatou Touré.
Certains gouvernements ont réformé leur code de la famille pour que l’âge légal du mariage soit le même entre les garçons et les filles. D’autres ont engagé des programmes de santé, notamment pour lutter contre les complications lors de l’accouchement, les grossesses précoces comportant plus de risques.
–––––––––––––––
Le lent recul du mariage forcé
Une tendance globale. La pratique du mariage forcé recule avec celle du mariage des jeunes filles un peu partout dans le monde. Aujourd’hui, une jeune femme sur quatre (entre 20 et 24 %) s’est mariée avant 18 ans, contre une sur trois en 1980. La proportion des mariages avant 15 ans est tombée de 12 à 8 %.
Des progrès considérables dans le monde arabe. Dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, le risque de se marier avant l’âge de 18 ans a été divisé par deux au cours des trois dernières décennies. C’est le cas aussi en Indonésie, un pays qui a connu une forte croissance économique.
Une pratique très vivace au Sahel. En Afrique, le mariage des mineurs reste très répandu dans la bande sahélienne, notamment au Niger, où les filles deviennent des épouses à 15 ans en moyenne.
Pierre Cochez et Olivier Tallès
[Seuls les administrateurs ont le droit de voir ce lien]
Pierre Cochez et Olivier Tallès, le 10/10/2016 à 18h34 Envoyer par email
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À l’occasion de la journée internationale des filles, mardi 11 octobre, « La Croix » met l’accent sur le mariage forcé dans le monde. Des millions de jeunes filles continuent chaque année d’être liées à un homme contre leur gré au nom de la tradition, de la pauvreté ou d’une image figée du rôle de l’épouse.
Au Pakistan, une jeune mariée de 12 ans (au centre), va signer le Nikah ( l’acte de mariage) que le mollah lui présente. ZOOM
Au Pakistan, une jeune mariée de 12 ans (au centre), va signer le Nikah ( l’acte de mariage) que le mollah lui présente. / Sarah Caron/Hans Lucas
Pratique très ancienne, considérée aujourd’hui comme une atteinte aux droits de l’homme par les Nations unies, le mariage forcé est le mariage d’une personne contre sa volonté, le plus souvent avant l’âge de 18 ans. Il ne doit pas être confondu avec le mariage arrangé, pour lequel les familles proposent des partenaires aux futurs époux qui ont la possibilité de dire non.
Environ 700 millions de femmes et 150 millions d’hommes mariés dans le monde l’ont été de force avant leur majorité, selon des estimations de l’ONU. La tendance est cependant à la baisse sur tous les continents grâce aux progrès de la scolarité, au recul de la pauvreté et aussi à une prise de conscience des autorités.
► Une pratique encore banale en Asie du Sud
Le Bangladesh, l’Inde et le Pakistan, le Népal et l’Afghanistan concentrent plus de la moitié des mariages non consentis dans le monde. Triste champion en la matière, le Bangladesh, où 29 % des filles sont mariées avant l’âge de 5 ans, malgré la loi qui interdit toute union avant 18 ans. « Le problème est le décalage entre le droit coutumier et le droit public, précise Yvan Savy, directeur de l’ONG Plan France. Au Bangladesh, le droit coutumier des chrétiens autorise le mariage à parti de 21 ans, celui des musulmans parle de 16 ans et les hindous ne fixent aucune limite d’âge. »
De Karachi à Dacca en passant par New Delhi ou Katmandou, les familles évoquent les mêmes raisons : l’ignorance du droit, l’existence de traditions liées au système de la dot des filles, l’inégalité entre les hommes et les femmes, la crainte d’être stigmatisée ou encore les difficultés économiques.
« La fille est considérée comme un fardeau économique »
« Parmi les populations défavorisées, la fille est considérée comme un fardeau économique. La marier c’est se libérer de ce fardeau, ajoute Yvan Savy. Les familles disent aussi vouloir “sécuriser l’avenir de leur fille”, c’est-à-dire lui éviter un éventuel déshonneur d’un rapport sexuel hors mariage. »
Cependant, les pratiques reculent peu à peu grâce à l’allongement de la scolarité, la baisse de la pauvreté et la prise de conscience des pouvoirs publics et des médias. En 2016, le Népal a ainsi porté à 18 ans l’âge légal du mariage, un premier pas dans la lutte contre les unions forcées. Mais dans le même temps, le Pakistan a refusé de passer cet âge de 16 à 18 ans, le conseil islamique évoquant un projet de loi « blasphématoire ».
> Lire aussi : Mariages forcés, l’autre crime des Khmers rouges
► En Amérique latine, une réponse à la violence extérieure
Cette année, le Guatemala a relevé à 18 ans l’âge légal du mariage pour les garçons et les filles. Il était jusque-là de 14 ans pour les filles et de 16 ans pour les garçons… C’est la pauvreté qui pousse aux mariages précoces dans un climat général de violence, à l’extérieur et à l’intérieur de la famille. Yvan Javy, de l’ONG Plan international, résume : « La représentation de la masculinité, la drogue et l’alcool forment un terreau particulier dans ces sociétés sud-américaines. C’est un contexte non sécurisant pour les filles. »
En Bolivie, l’ONG Vision du Monde se concentre sur la prévention des grossesses précoces. Le code de la famille requiert 18 ans ou plus pour se marier mais accepte, sous réserves d’autorisation parentale, les unions à partir de 16 ans.
> À lire : En Equateur, des bébés robots pour diminuer les grossesses adolescentes
« Ces grossesses précoces sont une possibilité, pour les filles, de se projeter dans l’avenir, la seule façon de se réaliser, dans un climat marqué par le sexe et la drogue », observe Sandrine Planchon, de Vision du Monde. Ces jeunes mères sont souvent exclues de leurs familles, abandonnées par leurs compagnons. « Cela alimente le cercle de la pauvreté. Nous luttons contre cela par l’information et l’éducation. »
► Une Europe largement épargnée
Le vieux continent est largement épargné par le mariage forcé, qui prévalait encore au XIXe siècle. Au sein de l’Union européenne, la quasi-totalité des États membres ont harmonisé l’âge minimum du mariage, le fixant à 18 ans pour les femmes comme pour les hommes, une mesure qui contribue fortement à la protection des mineurs. L’Espagne a passé de 14 à 16 ans le minimum légal pour se marier, avec le consentement d’un juge, afin de lutter contre le mariage forcé, mais aussi la pédophilie.
Malgré des législations protectrices, les services des mineurs détectent chaque année encore des cas de mariage forcé. Il s’agit souvent de binationaux. La Bulgarie a ainsi relevé 1 458 cas de mariage d’enfants entre 2011 et 2014. En France, « 4 % des femmes immigrées et 2 % des filles d’immigrés, nées en France, âgées de 26 à 50 ans, ont subi un mariage non consenti », notait en octobre 2014 l’Observatoire national de la violence faite aux femmes.
Un rapport de l’Union européenne s’inquiète aussi de nombreux cas qui touchent les communautés roms de certains pays. « La pratique des mariages d’enfants chez les Roms s’explique en partie par la pauvreté et en partie par des facteurs culturels et traditionnels », précise le document publié en 2016.
► En Afrique, marier pour « protéger »
Dans les campagnes au Burkina Faso, « 30 % des filles de 15 à 19 ans sont enceintes ou ont déjà eu un premier enfant », constate une étude d’Amnesty International. En Afrique de l’Ouest, 16 % des filles de moins de 15 ans sont mariées. Ramatou Touré, du bureau de l’Unicef à Dakar estime que « des familles pensent protéger ainsi leurs filles, notamment de la violence ».
Mariées, elles auront plus facilement accès à un service de santé. « Le mariage précoce peut être vu comme une alternative pour des filles qui vivent enfermées dans leurs familles », poursuit Ramatou Touré. Plus une population est pauvre et rurale, plus cette pratique est répandue. Il est difficile de changer les comportements quand le mariage précoce est une norme sociale majoritaire.
Une campagne de l’Union africaine contre le mariage précoce
Les comportements se modifient avec la modernité. Lentement. Les femmes, en Éthiopie, se marient en moyenne à l’âge de 19 ans, au lieu de 15 ans et demi, il y a trente ans.
L’Union africaine a lancé une campagne pour mettre fin à cette pratique. Elle est relayée dans une quinzaine de pays. « Les politiques, pour être efficaces, doivent bénéficier de l’adhésion des chefs religieux et traditionnels. Mais ces pratiques ne sont pas le fait d’une religion spécifique. Aucune religion ne recommande le mariage des enfants », souligne Ramatou Touré.
Certains gouvernements ont réformé leur code de la famille pour que l’âge légal du mariage soit le même entre les garçons et les filles. D’autres ont engagé des programmes de santé, notamment pour lutter contre les complications lors de l’accouchement, les grossesses précoces comportant plus de risques.
–––––––––––––––
Le lent recul du mariage forcé
Une tendance globale. La pratique du mariage forcé recule avec celle du mariage des jeunes filles un peu partout dans le monde. Aujourd’hui, une jeune femme sur quatre (entre 20 et 24 %) s’est mariée avant 18 ans, contre une sur trois en 1980. La proportion des mariages avant 15 ans est tombée de 12 à 8 %.
Des progrès considérables dans le monde arabe. Dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, le risque de se marier avant l’âge de 18 ans a été divisé par deux au cours des trois dernières décennies. C’est le cas aussi en Indonésie, un pays qui a connu une forte croissance économique.
Une pratique très vivace au Sahel. En Afrique, le mariage des mineurs reste très répandu dans la bande sahélienne, notamment au Niger, où les filles deviennent des épouses à 15 ans en moyenne.
Pierre Cochez et Olivier Tallès
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