Dans le Silence des Eglises, diffusé mercredi 10 avril à 20h45 sur France 2, l'acteur phare d'un Village Français, directeur des Tréteaux de France, joue le rôle d'un prêtre prédateur d'enfants. Il s'en explique.
Montrer avec pudeur la pédophilie, les dégâts qu'elle produit sur les jeunes, l'ambiguité des relations qu'elle tisse entre victime et prédateur : c'est ce que réussit Le Silence des Eglises, le téléfilm diffusé mercredi 10 avril à 20h45 sur France 2. Servi par des comédiens excellents, Robin Renucci, Robinson Stévenin et Floriant Vigilante en tête, ce téléfilm expose le problème dans toute sa perversité.
Une gageure d'autant plus remarquable que les crimes ont pour cadre un collège catholique et se drapent derrière le charisme du directeur. Il aurait été facile de faire déraper le scénario dans le manichéisme. Et il aurait été alors confortable pour le téléspectateur catholique que nous sommes de s'ériger en victime de l'anticléricalisme.
Ces écueils sont évités, le ton sonne redoutablement juste. Les réactions à l'intérieur de l'Eglise sont décrites de façon plurielle. Quant à Robin Renucci, il parvient à incarner un être presque attachant dans son humanité, voire sa fragilité. Nous ne sommes pas face à un monstre, pourtant ses actes sont monstrueux et ici, mieux que jamais, l'on comprend ce que signifie "abuser du plus faible".
Il nous dit pourquoi il souhaité jouer ce triste personnage.
Pourquoi avez-vous accepté le rôle d'un pédophile ?
Tout d'abord, ce film s'inscrit dans ma conception de la télévision de service public, dont la mission est d'apporter les éléments de réflexion aux téléspectateurs qui ne sont pas considérés comme des consommateurs absorbant passivement ce qu'on leur sert. Au contraire, il faut faire en sorte que chacun se trouve augmenté dans sa façon d'envisager les questions, dans son esprit critique et sa prise de conscience. Le but étant de l'aider à voir plus clair par lui-même dans ce qui est obscur. A travers ce film, il s'agit d'aborder les zones sombres de la religion, de réfléchir à la façon dont le Droit Canon ne parle pas de criminels mais de brebis égarées. Le but était aussi de penser aux victimes, à celles qui regarderont le film et suivront ensuite le débat qui prolongera la soirée, et de leur montrer que ce n'est pas normal que les uns abusent de la faiblesse des autres. Le Silence des Eglises montre qu'à l'intérieur même de l'Eglise catholique, tout le monde n'est pas d'accord avec ces abus de pouvoir. Il veut donc porter espoir aux victimes dont certaines souffrent en silence.
Comment êtes-vous entré dans la peau de ce prédateur ?
Avant d'accepter le rôle, j'en ai discuté avec mes enfants, qui m'ont finalement dit d'y aller. Au final, il s'agit d'une expérience forte de jeu d'acteur. Comme pour n'importe quel rôle, l'enjeu était d'être le plus sincère, le plus juste possible. De trouver la sincérité que tout acteur doit apporter à ses rôles, quand bien même il s'agit d'un criminel. Là, dans ce film, les mobiles sont pernicieux car le personnage que j'incarne, le père André Vincey, est dans la séduction. Il utilise cette arme auprès de l'Eglise et de sa hiérarchie, également pour atteindre sa proie et, dans ce but, pour entrer dans le sein de la famille de l'enfant. Et il en arrive à se séduire lui-même, en se racontant qu'il est amoureux.
Qu'est-ce qui a été le plus difficile ?
Mon plus grand souci a été que le jeune Florian Vigilante, qui joue l'enfant abusé, ne soit jamais volé dans son enfance. J'ai veillé à ce qu'entre nous, nous maintenions une ligne de conduite qui nous permette de jouer au plus juste. C'est un devoir, quand on joue avec un enfant. Mais Florian est un véritable acteur. Nous avons beaucoup discuté et nous nous sommes même soutenus.
Ce prêtre pédophile, vous le montrez dans son humanité, voire sa fragilité...
Oui car c'est un humain, pas autre chose, dans toute sa complexité. Il ne s'agit pas de faire des monstres et contrairement aux criminels violents, les pédophiles sont pernicieux. Vincey se conduit comme un enfant, ce qui peut laisser supposer que lui aussi, dans sa jeunesse, aurait été victime... Mais il n'a pas de circonstances atténuantes et le but du film est d'enrayer le processus de répétition du crime. Que le téléspectateur prenne conscience que nous sommes tous responsables de notre société où le passage à l'acte est assez facile et où trop d'adultes se comportent comme des enfants. Dans son incapacité à être adulte, ce prêtre ne respecte pas l'enfance de ses élèves. En revanche, pour se dédouaner de ces actes, il se réfugie dans sa propre part d'enfance. Le film se passe au sein de l'Eglise catholique, mais on sait bien que la pédophilie touche aussi le monde de l'enseignement et déborde ailleurs.
En deuxième partie de soirée, vous allez participer à un débat. Qu'en attendez-vous ?
Qu'il ne tourne pas autour des faits divers, mais qu'il dénonce le silence des adultes et de leurs abus de pouvoir. J'aimerais que nous réfléchissions à la déconstruction de l'autorité dans notre société et à la dérégulation des pulsions, ce qui conduit à confondre les désirs et les besoins. Dans une époque de consommation effrénée et du tout tout de suite, il faut rappeler qu'être adulte c'est savoir différer la satisfaction du désir. Comme je l'ai déjà dit, il y a trop de Peter Pan alors que les enfants ont besoin de l'autorité des adultes pour s'élever. Il leur faut de bons tuteurs pour grandir et s'élever. Nous sommes tous en charge de notre jeunesse et de son éducation. Et quand certains abusent de leur pouvoir envers les plus jeunes, nous avons le devoir de dire non. Comme nous le faisons à travers ce film.