TAOÏSME
"Devenons l’architecte de notre propre bonheur"
Propos recueillis par Alice Papin - publié le 13/05/2016
Dans Le Tao du bonheur*, le maître taoïste occidental Gérard Guasch nous invite à puiser le bien-être autant dans les grandes philosophies et sagesses qu'à l'intérieur de nous-même.
Au XXIe siècle, une nouvelle réflexion se développe sur le bonheur à laquelle participent des psychologues, philosophes, sociologues et essayistes de tous bords. Quelles sont ses caractéristiques ?
Aujourd'hui, le bonheur est au cœur d'une nouvelle voie que l'on pourrait nommer « la psychologie du bien-être ». Considéré comme un facteur important pour soi et nos relations sociales, il est devenu une affaire publique et ne se cantonne plus aux grandes religions et philosophies. Des organismes comme l'ONU comptent désormais leur propre section de recherche sur cette notion. Dans ce même élan, la société s'intéresse à des expériences limitées, mais significatives, comme celle du royaume himalayen du Bhoutan. Dans ce petit pays asiatique cerné par les montagnes, le bien-être s'est hissé au rang de priorité étatique avec la création d'un indicateur : le bonheur national brut (BNB), le pendant du produit national brut (PNB) calculé sur la richesse produite par un pays.
Vous distinguez le bonheur et le bien-être sans expliciter en détail la différence entre ces deux termes. Comment peut-on les définir ?
Si je termine une longue marche assoiffé, avec un verre d'eau fraîche j'atteins un état de bien-être. Avec un ami, il s'agit peut-être de bonheur. Le bien-être ne constitue qu'une composante du bonheur qui repose, lui, sur ce que j'appelle des « mouvements émotionnels internes ». Il s’agit des éléments cachés en nous qui s'éveillent à l’occasion d'une situation. Du fait de mes origines méditerranéennes, tout ce qui se rapporte à cette mer intercontinentale et son environnement associé au soleil, me procure un moment de bonheur. À la vue d'un rayon de soleil sur des aiguilles de pin, donc deux « mouvements émotionnels internes », un sourire illumine mon visage. Selon ma conception, les grands bonheurs ressemblent à des patchworks, des assemblages de petites pièces. Des moments agréables qui s'ajoutent ou se complètent.
Vous proposez au lecteur de devenir « l'architecte de son propre bonheur ». Pour autant, au sein des différentes voies que vous développez – poésie, psychologie, philosophie, etc. –, quels sont les enseignements qui vous procurent, à titre personnel, le plus d'apaisement et de satisfaction ?
Je me cultive intérieurement. Tous les jours, je me rappelle un message : « Mon principal instrument est moi-même et si j'affine cet instrument, j’obtiendrai un son plus mélodieux, un résultat plus précis. » Je pratique aussi régulièrement la méditation taoïste, dont la traduction littérale en chinois signifie « s'asseoir et oublier ». Je m’assois, donc, je tranquillise petit à petit mon corps et ma respiration et je laisse aller mon esprit et ses associations d'images ou d'idées. Cette pratique me permet de mieux prêter attention aux autres, mais aussi de maintenir un certain niveau de paix intérieure.
Une partie de votre ouvrage présente le taoïsme et ses principaux maîtres. Que nous enseignent ces figures spirituelles sur le bonheur ?
Tous rappellent que le bonheur tient à un certain détachement. Pour aborder cette notion, Tchouang-tseu (IVe siècle avant notre ère) illustre sans cesse ses propos par des anecdotes. Curieusement, Lao-tseu (VIe siècle avant notre ère) parle du bonheur au négatif en soulevant les causes de malheur. D'après lui, en vouloir toujours plus ne permet pas d'être heureux. Cette idée renvoie à un message central dans le taoïsme, celui de la modération. Dans cette spiritualité, rien n'est vraiment interdit, mais tout s'use avec parcimonie. D'ailleurs, Lao-tseu déclarait : « Il n'y a pas de plus grand malheur que d'être insatiable. »
Vous écrivez : « En effet, la machine, porteuse de promesses de libération, devait servir l'homme, mais elle l'a asservi. Sans même parler des trois-huit, du travail nocturne, ni du travail à la chaîne, il suffit de regarder autour de nous. » Néanmoins, le travail n'est-il pas une condition du bonheur ?
Tout à fait. Nous avons besoin de travailler pour nous réaliser. Malheureusement, de nombreuses personnes aujourd'hui n'atteignent pas cette fin, n'étant utilisées que comme des pièces ajoutées par leur entreprise. L'image, certes un peu caricaturale, de la chaîne de montage des Temps modernes de Charlie Chaplin demeure une réalité. De plus, si nous pouvions ne pas travailler pour vivre, nous aurions besoin d'activités pour occuper nos journées et maintenir notre dynamisme interne. Ce n'est pas le progrès technique qui me gêne, c'est ce mouvement contemporain qui force toujours à produire plus et à une cadence plus soutenue. En augmentant les rythmes, ce phénomène diminue les temps personnels pourtant nécessaires à notre équilibre.
Médecin, vous êtes l’un des pionniers de l'analyse reichienne en France, qui vise à dénouer les blocages physiques et mentaux en unifiant le corps et l'esprit. Comment conciliez-vous votre spiritualité avec l'exercice de cette technique thérapeutique ?
Ces pratiques se côtoient sans s'entrelacer. Lorsque que j'étais dans la découverte passionnelle du psychanalyste Wilhelm Reich, un ami m'a fait découvrir les pratiques taoïstes de longue vie. Dès lors, je me suis aperçu des similitudes entre ces deux voies. Toutes deux ont comme dénominateur commun l'idée d'une source d'énergie universelle qui anime les corps. Dans l'une comme dans l'autre, on bouge nos membres, on respire, on tranquillise le cœur. Malgré ces ressemblances, avec mes patients, je ne parle pas de taoïsme. Il m'arrive seulement d'évoquer les cours de méditation que nous organisons à Mexico.
Non sans une pointe de regret, vous déclarez : « Si le taoïsme comme voie de réalisation est encore assez peu connu en France et en Europe, c'est qu'il n'a pas trouvé de grandes voix pour l'enseigner. » Comment cherchez-vous à diffuser cette spiritualité ?
À l'inverse des bouddhistes, les taoïstes ne sont pas missionnaires et ne cherchent à convaincre personne. Ainsi, cette spiritualité n'a pas joui d'une diffusion équivalente. Pour autant, de nos jours, les lignes bougent, comme en témoigne le déplacement de taoïstes chinois. Si mon maître ne s'était pas installé en Espagne pour fonder le premier temple européen, je n'aurais tout simplement pas pu embrasser cette spiritualité. De ce fait, il existe aujourd'hui des taoïstes occidentaux qui, comme moi, ont été ordonnés. Chacun de nous porte la responsabilité de diffuser les messages de ce grand système de pensée. À titre personnel, j'écris des livres, j'anime des groupes de méditation à Paris et Mexico, et lorsque j'en ai l'occasion, je réponds aux questions des journalistes et donne des conférences. En général, les écrits consacrés au taoïsme traitent de cette spiritualité et de ses pratiques sans se baser sur des expériences personnelles. C'est cette vision interne et humaine que j'essaye d'apporter pour inviter chacun à suivre cette voie, le Tao.
Le Tao du bonheur, Gérard Guasch (Presses du Châtelet, avril 2016)
http://www.lemondedesreligions.fr/savoir/devenons-l-architecte-de-notre-propre-bonheur-13-05-2016-5513_110.php
"Devenons l’architecte de notre propre bonheur"
Propos recueillis par Alice Papin - publié le 13/05/2016
Dans Le Tao du bonheur*, le maître taoïste occidental Gérard Guasch nous invite à puiser le bien-être autant dans les grandes philosophies et sagesses qu'à l'intérieur de nous-même.
Au XXIe siècle, une nouvelle réflexion se développe sur le bonheur à laquelle participent des psychologues, philosophes, sociologues et essayistes de tous bords. Quelles sont ses caractéristiques ?
Aujourd'hui, le bonheur est au cœur d'une nouvelle voie que l'on pourrait nommer « la psychologie du bien-être ». Considéré comme un facteur important pour soi et nos relations sociales, il est devenu une affaire publique et ne se cantonne plus aux grandes religions et philosophies. Des organismes comme l'ONU comptent désormais leur propre section de recherche sur cette notion. Dans ce même élan, la société s'intéresse à des expériences limitées, mais significatives, comme celle du royaume himalayen du Bhoutan. Dans ce petit pays asiatique cerné par les montagnes, le bien-être s'est hissé au rang de priorité étatique avec la création d'un indicateur : le bonheur national brut (BNB), le pendant du produit national brut (PNB) calculé sur la richesse produite par un pays.
Vous distinguez le bonheur et le bien-être sans expliciter en détail la différence entre ces deux termes. Comment peut-on les définir ?
Si je termine une longue marche assoiffé, avec un verre d'eau fraîche j'atteins un état de bien-être. Avec un ami, il s'agit peut-être de bonheur. Le bien-être ne constitue qu'une composante du bonheur qui repose, lui, sur ce que j'appelle des « mouvements émotionnels internes ». Il s’agit des éléments cachés en nous qui s'éveillent à l’occasion d'une situation. Du fait de mes origines méditerranéennes, tout ce qui se rapporte à cette mer intercontinentale et son environnement associé au soleil, me procure un moment de bonheur. À la vue d'un rayon de soleil sur des aiguilles de pin, donc deux « mouvements émotionnels internes », un sourire illumine mon visage. Selon ma conception, les grands bonheurs ressemblent à des patchworks, des assemblages de petites pièces. Des moments agréables qui s'ajoutent ou se complètent.
Vous proposez au lecteur de devenir « l'architecte de son propre bonheur ». Pour autant, au sein des différentes voies que vous développez – poésie, psychologie, philosophie, etc. –, quels sont les enseignements qui vous procurent, à titre personnel, le plus d'apaisement et de satisfaction ?
Je me cultive intérieurement. Tous les jours, je me rappelle un message : « Mon principal instrument est moi-même et si j'affine cet instrument, j’obtiendrai un son plus mélodieux, un résultat plus précis. » Je pratique aussi régulièrement la méditation taoïste, dont la traduction littérale en chinois signifie « s'asseoir et oublier ». Je m’assois, donc, je tranquillise petit à petit mon corps et ma respiration et je laisse aller mon esprit et ses associations d'images ou d'idées. Cette pratique me permet de mieux prêter attention aux autres, mais aussi de maintenir un certain niveau de paix intérieure.
Une partie de votre ouvrage présente le taoïsme et ses principaux maîtres. Que nous enseignent ces figures spirituelles sur le bonheur ?
Tous rappellent que le bonheur tient à un certain détachement. Pour aborder cette notion, Tchouang-tseu (IVe siècle avant notre ère) illustre sans cesse ses propos par des anecdotes. Curieusement, Lao-tseu (VIe siècle avant notre ère) parle du bonheur au négatif en soulevant les causes de malheur. D'après lui, en vouloir toujours plus ne permet pas d'être heureux. Cette idée renvoie à un message central dans le taoïsme, celui de la modération. Dans cette spiritualité, rien n'est vraiment interdit, mais tout s'use avec parcimonie. D'ailleurs, Lao-tseu déclarait : « Il n'y a pas de plus grand malheur que d'être insatiable. »
Vous écrivez : « En effet, la machine, porteuse de promesses de libération, devait servir l'homme, mais elle l'a asservi. Sans même parler des trois-huit, du travail nocturne, ni du travail à la chaîne, il suffit de regarder autour de nous. » Néanmoins, le travail n'est-il pas une condition du bonheur ?
Tout à fait. Nous avons besoin de travailler pour nous réaliser. Malheureusement, de nombreuses personnes aujourd'hui n'atteignent pas cette fin, n'étant utilisées que comme des pièces ajoutées par leur entreprise. L'image, certes un peu caricaturale, de la chaîne de montage des Temps modernes de Charlie Chaplin demeure une réalité. De plus, si nous pouvions ne pas travailler pour vivre, nous aurions besoin d'activités pour occuper nos journées et maintenir notre dynamisme interne. Ce n'est pas le progrès technique qui me gêne, c'est ce mouvement contemporain qui force toujours à produire plus et à une cadence plus soutenue. En augmentant les rythmes, ce phénomène diminue les temps personnels pourtant nécessaires à notre équilibre.
Médecin, vous êtes l’un des pionniers de l'analyse reichienne en France, qui vise à dénouer les blocages physiques et mentaux en unifiant le corps et l'esprit. Comment conciliez-vous votre spiritualité avec l'exercice de cette technique thérapeutique ?
Ces pratiques se côtoient sans s'entrelacer. Lorsque que j'étais dans la découverte passionnelle du psychanalyste Wilhelm Reich, un ami m'a fait découvrir les pratiques taoïstes de longue vie. Dès lors, je me suis aperçu des similitudes entre ces deux voies. Toutes deux ont comme dénominateur commun l'idée d'une source d'énergie universelle qui anime les corps. Dans l'une comme dans l'autre, on bouge nos membres, on respire, on tranquillise le cœur. Malgré ces ressemblances, avec mes patients, je ne parle pas de taoïsme. Il m'arrive seulement d'évoquer les cours de méditation que nous organisons à Mexico.
Non sans une pointe de regret, vous déclarez : « Si le taoïsme comme voie de réalisation est encore assez peu connu en France et en Europe, c'est qu'il n'a pas trouvé de grandes voix pour l'enseigner. » Comment cherchez-vous à diffuser cette spiritualité ?
À l'inverse des bouddhistes, les taoïstes ne sont pas missionnaires et ne cherchent à convaincre personne. Ainsi, cette spiritualité n'a pas joui d'une diffusion équivalente. Pour autant, de nos jours, les lignes bougent, comme en témoigne le déplacement de taoïstes chinois. Si mon maître ne s'était pas installé en Espagne pour fonder le premier temple européen, je n'aurais tout simplement pas pu embrasser cette spiritualité. De ce fait, il existe aujourd'hui des taoïstes occidentaux qui, comme moi, ont été ordonnés. Chacun de nous porte la responsabilité de diffuser les messages de ce grand système de pensée. À titre personnel, j'écris des livres, j'anime des groupes de méditation à Paris et Mexico, et lorsque j'en ai l'occasion, je réponds aux questions des journalistes et donne des conférences. En général, les écrits consacrés au taoïsme traitent de cette spiritualité et de ses pratiques sans se baser sur des expériences personnelles. C'est cette vision interne et humaine que j'essaye d'apporter pour inviter chacun à suivre cette voie, le Tao.
Le Tao du bonheur, Gérard Guasch (Presses du Châtelet, avril 2016)
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