L'industrie de la viande, ou la grande débâcle de la barbaque
PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-CLAUDE NOYÉ
CRÉÉ LE 08/10/2014 / MODIFIÉ LE 13/10/2014 À 14H17
Réchauffement de la planète, dégradation des terres, pollution de l'atmosphère et des eaux, aggravation de la famine mondiale. Le bilan de l'industrie de la viande est lourd. Et il devrait s'aggraver dans les prochaines décennies. Sauf si les consommateurs s'orientent vers une alimentation moins carnée. Les explications de Fabrice Nicolino, journaliste d'investigation. Un dossier en partenariat avec l'émission La Quotidienne de France 5.
Dans votre livre Bidoche, paru en 2009, vous dénoncez les effets destructeurs pour la planète de l’industrie de la viande. Quels sont-ils ?
Avant toute chose, je tiens à rappeler que la quasi-totalité de la viande consommée en France vient de systèmes industriels : élevages intensifs, aliments transgéniques, utilisation d’anabolisants, d’antibiotiques et autres produits chimiques, abattoirs gigantesques hautement mécanisés. Autre chiffre clé : un Français mange en moyenne 92 kilos de viande par an, soit environ trois fois plus qu'avant la seconde guerre mondiale. Résultat : plus d’un milliard d’animaux domestiques sont tués dans notre pays chaque année.
Ce qui n'est pas sans conséquence pour notre environnement ...
Certes non ! Selon un rapport de la FAO fondé sur des données précises, la contribution de l'élevage dans les émissions de gaz à effet de sert (GES) d'origine anthropique s'élève à 18% Autant que les transports ! Ces émissions de GES se répartissent comme suit : 45% attribuable à la production et au transport des aliments, dont 9% imputables à la déforestation liée à l'extension des cultures et des pâturages ; 39% proviennent de la fermentation gastrique des ruminants ; 10% résultent du stockage et de l'utilisation du lisier ; 6% sont causés par le transport, l'abattage des animaux et le stockage des produits animaux.
Quel est l'impact de l’élevage en terme de pollution des ressources naturelles ?
Il est hélas tout aussi négatif. Les systèmes intensifs de production animale entraînent des déversements concentrés de matériaux toxiques dans les sols, qui polluent ensuite les nappes phréatiques. Aux Etats-Unis, l'élevage et l'agriculture fourragère seraient responsables à eux seuls de 37% de l'utilisation de pesticides, de 50% de celle d'antibiotiques, et d'un tiers des charges d'azote et de phosphore dans les ressources en eau douce. Enfin, ce secteur est très gourmand en eau : il représente près de 10% de notre consommation à l'échelle mondiale.
Un secteur fort gourmand en eau mais aussi en terres disponibles ...
C'est même, et de loin, le plus gros utilisateur anthropique de terres. En France, près de 70% des terres agricoles servent déjà à l'alimentation du bétail. Au niveau mondial, les pâturages occupent 26 % pour cent de la surface émergée des terres, et la production fourragère un tiers de toutes les terres arables. Et là, on touche au problème de la faim dans le monde. En effet, pour fabriquer une protéine animale, il faut six à sept protéines d’origine végétale. S’il faut toujours plus de céréales pour nourrir les animaux, ce sera au détriment des humains, alors qu’un milliard de personnes ne se nourrissent déjà pas à leur faim. La famine ne peut que s'aggraver à mesure que la demande de viande s'accroîtra dans les pays émergents. Si les courbes actuelles de croissance du cheptel mondial devaient se poursuivre, il y aurait, à l'horizon 2050, environ 36 milliards de veaux, vaches, cochons et volailles. Il va de soi qu'il n'existe pas assez de terres agricoles pour nourrir une telle quantité d'animaux.
Vous tirez la sonnette d'alarme sur le recours massif au soja transgénique dans l'élevage industriel. Pourquoi ?
Il arrive par millions de tonnes depuis l'Amérique du sud dans des ports comme Lorient ou Brest. J'ai vu là-bas des champs géants, sur des centaines de milliers d'hectares. L'expansion des parcours pour le bétail est un facteur clé de déboisement et se fait au détriment des petites communautés paysannes. La forêt amazonienne recule chaque année un peu plus face au front agricole, largement constitué de pâturages.
L'Amazonie, le poumon de la planète !
Jusqu'à nouvel ordre car durant les quarante dernières années, 800 000 km2 de forêt amazonienne ont été détruits, essentiellement à cause de l’augmentation de la production de viande. Songez qu'il faut que chaque Français dispose de l'équivalent de 660 mètres carrés de soja transgénique planté ailleurs qu'en France pour satisfaire sa consommation de viande !
Il y a donc urgence à baisser notre consommation de produits carnés ?
Cela me paraît évident. La seule voie d'avenir consiste à s'appuyer autant que possible sur des régimes à base végétale, les seuls à même d'éventuellement nourrir plus de 9 milliards d'humains en 2050. Moi-même, je ne suis pas stricto-sensu végétarien, mais je ne mange désormais que très rarement de la viande. En écrivant ce livre, j'ai réalisé combien cette industrie, hors de tout contrôle social, écrase tout sur son passage. C'est l'un des lobbies les plus puissants. J'ai vu aussi combien nous avons transformé le lien étroit qui nous liait depuis des millénaires aux animaux domestiques, des êtres vivants et sensibles, en un lien de froide domination sur des « marchandises ». On a déréalisé ces animaux, et du coup on a pu les élever dans de véritables camps de concentration, les « détruire » par centaines de millions, sans aucun état d'âme. Pour moi, c'est un événement majeur qui modifie jusqu'à la psychologie des humains.
Que voulez-vous dire ?
Selon le principe d'interdépendance, particulièrement développé par les bouddhistes, la violence faite à autrui est une violence faite à soi-même. Dès lors, l'extrême violence faite aux animaux d'élevage se retourne contre nous. Pas seulement au plan physique (la mauvaise qualité de la viande agissant comme un poison quotidien dans notre assiette), mais aussi au plan psychique. D'une manière certes plus difficile à appréhender, mais néanmoins réelle. Autrement dit, il est temps de comprendre le dicton « Ne fait pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fit » dans un sens large. Autrui ne s'appliquant plus seulement aux êtres humains mais à toutes les créatures vivantes.
> Des chiffres qui parlent :
Un kilo de boeuf coûte 15 500 litres d’eau à l’humanité alors qu'il faut 1300 litres d’eau pour obtenir 1 kg de blé. Une alimentation sans produits animaux émet de 7 à 15 fois moins de GES qu’une alimentation avec de la viande et des produits laitiers. La France est le premier consommateur européen de viande bovine. En 2000, 229 millions de tonnes de viande étaient consommées dans le monde : 465 millions de tonnes le seront en 2050. La consommation de lait augmentera quant à elle de 580 à 1043 millions de tonnes sur la même période. Entre 2005 et 2031, si rien n'est fait, la Chine verra sa consommation de viande passer de 64 millions de tonnes à 181 millions de tonnes par an.
> A lire :
Bidoche. L’industrie de la viande menace le monde, de Fabrice Nicolino, éd. Acte Sud, coll. Babel, 9,70 €.
PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-CLAUDE NOYÉ
CRÉÉ LE 08/10/2014 / MODIFIÉ LE 13/10/2014 À 14H17
Réchauffement de la planète, dégradation des terres, pollution de l'atmosphère et des eaux, aggravation de la famine mondiale. Le bilan de l'industrie de la viande est lourd. Et il devrait s'aggraver dans les prochaines décennies. Sauf si les consommateurs s'orientent vers une alimentation moins carnée. Les explications de Fabrice Nicolino, journaliste d'investigation. Un dossier en partenariat avec l'émission La Quotidienne de France 5.
Dans votre livre Bidoche, paru en 2009, vous dénoncez les effets destructeurs pour la planète de l’industrie de la viande. Quels sont-ils ?
Avant toute chose, je tiens à rappeler que la quasi-totalité de la viande consommée en France vient de systèmes industriels : élevages intensifs, aliments transgéniques, utilisation d’anabolisants, d’antibiotiques et autres produits chimiques, abattoirs gigantesques hautement mécanisés. Autre chiffre clé : un Français mange en moyenne 92 kilos de viande par an, soit environ trois fois plus qu'avant la seconde guerre mondiale. Résultat : plus d’un milliard d’animaux domestiques sont tués dans notre pays chaque année.
Ce qui n'est pas sans conséquence pour notre environnement ...
Certes non ! Selon un rapport de la FAO fondé sur des données précises, la contribution de l'élevage dans les émissions de gaz à effet de sert (GES) d'origine anthropique s'élève à 18% Autant que les transports ! Ces émissions de GES se répartissent comme suit : 45% attribuable à la production et au transport des aliments, dont 9% imputables à la déforestation liée à l'extension des cultures et des pâturages ; 39% proviennent de la fermentation gastrique des ruminants ; 10% résultent du stockage et de l'utilisation du lisier ; 6% sont causés par le transport, l'abattage des animaux et le stockage des produits animaux.
Quel est l'impact de l’élevage en terme de pollution des ressources naturelles ?
Il est hélas tout aussi négatif. Les systèmes intensifs de production animale entraînent des déversements concentrés de matériaux toxiques dans les sols, qui polluent ensuite les nappes phréatiques. Aux Etats-Unis, l'élevage et l'agriculture fourragère seraient responsables à eux seuls de 37% de l'utilisation de pesticides, de 50% de celle d'antibiotiques, et d'un tiers des charges d'azote et de phosphore dans les ressources en eau douce. Enfin, ce secteur est très gourmand en eau : il représente près de 10% de notre consommation à l'échelle mondiale.
Un secteur fort gourmand en eau mais aussi en terres disponibles ...
C'est même, et de loin, le plus gros utilisateur anthropique de terres. En France, près de 70% des terres agricoles servent déjà à l'alimentation du bétail. Au niveau mondial, les pâturages occupent 26 % pour cent de la surface émergée des terres, et la production fourragère un tiers de toutes les terres arables. Et là, on touche au problème de la faim dans le monde. En effet, pour fabriquer une protéine animale, il faut six à sept protéines d’origine végétale. S’il faut toujours plus de céréales pour nourrir les animaux, ce sera au détriment des humains, alors qu’un milliard de personnes ne se nourrissent déjà pas à leur faim. La famine ne peut que s'aggraver à mesure que la demande de viande s'accroîtra dans les pays émergents. Si les courbes actuelles de croissance du cheptel mondial devaient se poursuivre, il y aurait, à l'horizon 2050, environ 36 milliards de veaux, vaches, cochons et volailles. Il va de soi qu'il n'existe pas assez de terres agricoles pour nourrir une telle quantité d'animaux.
Vous tirez la sonnette d'alarme sur le recours massif au soja transgénique dans l'élevage industriel. Pourquoi ?
Il arrive par millions de tonnes depuis l'Amérique du sud dans des ports comme Lorient ou Brest. J'ai vu là-bas des champs géants, sur des centaines de milliers d'hectares. L'expansion des parcours pour le bétail est un facteur clé de déboisement et se fait au détriment des petites communautés paysannes. La forêt amazonienne recule chaque année un peu plus face au front agricole, largement constitué de pâturages.
L'Amazonie, le poumon de la planète !
Jusqu'à nouvel ordre car durant les quarante dernières années, 800 000 km2 de forêt amazonienne ont été détruits, essentiellement à cause de l’augmentation de la production de viande. Songez qu'il faut que chaque Français dispose de l'équivalent de 660 mètres carrés de soja transgénique planté ailleurs qu'en France pour satisfaire sa consommation de viande !
Il y a donc urgence à baisser notre consommation de produits carnés ?
Cela me paraît évident. La seule voie d'avenir consiste à s'appuyer autant que possible sur des régimes à base végétale, les seuls à même d'éventuellement nourrir plus de 9 milliards d'humains en 2050. Moi-même, je ne suis pas stricto-sensu végétarien, mais je ne mange désormais que très rarement de la viande. En écrivant ce livre, j'ai réalisé combien cette industrie, hors de tout contrôle social, écrase tout sur son passage. C'est l'un des lobbies les plus puissants. J'ai vu aussi combien nous avons transformé le lien étroit qui nous liait depuis des millénaires aux animaux domestiques, des êtres vivants et sensibles, en un lien de froide domination sur des « marchandises ». On a déréalisé ces animaux, et du coup on a pu les élever dans de véritables camps de concentration, les « détruire » par centaines de millions, sans aucun état d'âme. Pour moi, c'est un événement majeur qui modifie jusqu'à la psychologie des humains.
Que voulez-vous dire ?
Selon le principe d'interdépendance, particulièrement développé par les bouddhistes, la violence faite à autrui est une violence faite à soi-même. Dès lors, l'extrême violence faite aux animaux d'élevage se retourne contre nous. Pas seulement au plan physique (la mauvaise qualité de la viande agissant comme un poison quotidien dans notre assiette), mais aussi au plan psychique. D'une manière certes plus difficile à appréhender, mais néanmoins réelle. Autrement dit, il est temps de comprendre le dicton « Ne fait pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fit » dans un sens large. Autrui ne s'appliquant plus seulement aux êtres humains mais à toutes les créatures vivantes.
> Des chiffres qui parlent :
Un kilo de boeuf coûte 15 500 litres d’eau à l’humanité alors qu'il faut 1300 litres d’eau pour obtenir 1 kg de blé. Une alimentation sans produits animaux émet de 7 à 15 fois moins de GES qu’une alimentation avec de la viande et des produits laitiers. La France est le premier consommateur européen de viande bovine. En 2000, 229 millions de tonnes de viande étaient consommées dans le monde : 465 millions de tonnes le seront en 2050. La consommation de lait augmentera quant à elle de 580 à 1043 millions de tonnes sur la même période. Entre 2005 et 2031, si rien n'est fait, la Chine verra sa consommation de viande passer de 64 millions de tonnes à 181 millions de tonnes par an.
> A lire :
Bidoche. L’industrie de la viande menace le monde, de Fabrice Nicolino, éd. Acte Sud, coll. Babel, 9,70 €.