PRIX DE LA LAÏCITÉ
Les laïcités en conflit
Matthieu Stricot - publié le 30/10/2015
Lundi 26 octobre, le Comité Laïcité République a remis deux prix de la laïcité à l’Hôtel de Ville de Paris. L’un d’eux a été décerné à Samuel Mayol, directeur de l’IUT de Saint-Denis, actuellement en pleine controverse avec une association étudiante qu’il accuse de prosélytisme religieux dans son établissement. Par ailleurs, une journaliste musulmane a été sommée d’enlever son voile lors de la cérémonie.
Difficile de se mettre d’accord, quand il s’agit de mettre la laïcité à l’honneur. Lundi 26 octobre, le Comité Laïcité République, association militante, a remis un prix de la laïcité à une personnalité controversée : Samuel Mayol, directeur de l’IUT de Saint-Denis. La maire de Paris, Anne Hidalgo, et le Premier ministre, Manuel Valls, étaient présents.
Le Prix national a été décerné à Samuel Mayol, « pour son action en faveur de la neutralité dans l’enseignement supérieur face à la montée d’incidents communautaristes ». En janvier 2014, le directeur avait fermé temporairement les locaux d’une association étudiante, L’Ouverture, qui aurait caché des tapis de prière et vendu, sans autorisation, des sandwichs halal.
Depuis, le directeur affirme avoir reçu plusieurs lettres de menaces et avoir été agressé physiquement, ce qui n’a pu être vérifié par la police. Par ailleurs, Samuel Mayol est contesté dans son établissement, après avoir révélé un scandale présumé d’heures de cours fictives. Des faits confirmés dans un rapport d’inspection du ministère de l’Enseignement Supérieur, avant d’être mis en cause par l’Université.
Qui dit la vérité ?
« Il médiatise beaucoup son affaire. Or, on s’interroge toujours sur la vérité des faits », expliquait une personne de son entourage professionnel, sous couvert d’anonymat, à 20 Minutes. Le directeur est même soupçonné, ces dernières semaines, d’avoir installé lui-même des tapis de prière dans le local de l’association pour la discréditer, rapporte Libération.
Des incertitudes qui valent à Samuel Mayol d’être « taxé d’affabulateur par ses détracteurs », écrit Mediapart, pour qui cette affaire aurait fait de Samuel Mayol « le héros des défenseurs d’une laïcité de combat ».
Contacté par Le Monde des Religions, Jean Glavany, président du jury 2014 et soutien de Samuel Mayol, ne croit pas aux accusations à l’encontre du directeur de l’IUT : « Pourquoi aurait-il apporté des tapis dans le local en passant devant les caméras de surveillance, sachant que c’est lui qui a installé ces caméras ? », interroge le député socialiste de la 3e circonscription des Hautes-Pyrénées.
Jean Glavany craint une machination à l’encontre du directeur : « Il a été hospitalisé et s’est vu prescrit un arrêt de travail après avoir été tabassé. Il a reçu des menaces de mort. Malgré ça, le dossier n’avance pas. C’est hallucinant. Malheureusement, je pense qu’il y a une collusion entre les milieux intégristes de l’IUT et le monde universitaire majoritairement très à gauche, et attaché aux droits de l’homme. »
Dans le même registre, Patrick Kessel, président du CLR, a affirmé, lors de la cérémonie, que certains de ceux qui brandissent le terme d’« islamophobie » « visent à condamner comme raciste toute critique de l’islamisme radical ». Un « concept sournois » et « trompeur » créé pour « paralyser la conscience laïque, empêcher de prendre la mesure des incidents intervenus dans les crèches, les écoles, les hôpitaux, les universités, les prisons, les entreprises, dans le sport ».
Une journaliste voilée importunée pendant la cérémonie
Mediapart rappelle que, ces dernières années, les prix décernés par le Comité « ont toujours récompensé les tenants d’une approche dure de la laïcité : la directrice de la crèche Baby Loup Natalia Baleato en 2011, la députée radicale de gauche Françoise Laborde en 2012, Jeannette Bougrab, ancienne secrétaire d’État de Nicolas Sarkozy en 2013, les philosophes Henri Pena-Ruiz et Catherine Kintzler l’an dernier ».
« Pour certaines personnes, le voile ne doit être nulle part », regrette Suheda Asik. Présente à la cérémonie du 26 octobre, la journaliste de l’hebdomadaire franco-turc Zaman France s’est vue apostrophée par deux membres du Comité parce qu’elle était voilée : « À l’entrée, certains m’ont dit que j’étais là par provocation. D’autres m’ont demandé si j’étais vraiment obligée de garder ça sur la tête ». Souhaitant éviter la confrontation, la journaliste s’est éloignée. « Mais une fois installée, une deuxième personne m’a demandé plusieurs fois d’enlever mon voile, sur un ton désagréable. »
Si Suheda Asik reconnaît avoir déjà ressenti des regards ou des réactions indirectes, jamais son voile n’avait entraîné « une réaction aussi frontale ». La journaliste regrette que certaines personnes aient « une perception erronée de la laïcité. Pour elles, la religion ne devrait pas exister dans la société. Cette confusion entraîne des comportements qui n’ont pas lieu d’être ».
Ces incidents n’impliquent cependant que deux individus. « La mairie m’a appelée pour certifier qu’elle n’était pas du tout de l’avis de ces personnes », révèle Suheda Asik. Le CLR a regretté dans un communiqué « une initiative individuelle qui ne saurait l'engager et qui va à l'encontre même des principes qu'il défend ». Jean Glavany regrette lui aussi ce genre d’attitude : « La laïcité, ce n’est pas ça. Il ne faut pas tomber dans ce genre de piège. Cela donne des arguments pour assimiler laïcité et islamophobie. »
L’autre prix, réservé à une personnalité internationale, a été remis au pianiste-compositeur turc Fazil Say, « pour son engagement en faveur de la liberté de conscience et de la laïcité dans son pays ». Le musicien, athée convaincu, avait été condamné en 2013 à dix mois de prison avec sursis, après avoir tweeté des vers du poète persan du XIe siècle Omar Khayyam. Des actes jugés « injurieux envers les valeurs religieuses » par un tribunal turc. Sa condamnation a toutefois été annulée par la cour suprême d’appel d’Ankara, le 26 octobre. Il devra patienter pour la décision finale.
Le jury était présidé par Zineb El Rhazoui, journaliste à Charlie Hebdo. Avant la cérémonie, un hommage a été rendu aux victimes des attentats de janvier 2015. Notamment à Charb, ancien directeur de de l’hebdomadaire satirique, qui avait présidé le jury en 2012.
Appelant à mener le « combat de la laïcité » face aux « ennemis de la République », Manuel Valls a averti dans son discours du risque de voir la laïcité « tomber entre les mauvaises mains » de « l’extrême droite ».
Le Premier ministre a rappelé que « la loi de 1905 a mis la religion à sa juste place. Les croyants n’ont pas à imposer leur croyance, et ceux qui ne croient pas ne doivent pas empêcher les autres de pratiquer leur foi ».