les musulmans face à l'Etat islamique-
SOPHIE COVIN
CRÉÉ LE 09/09/2014 / MODIFIÉ LE 09/09/2014 À 20H19
Autour du recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, les signataires de l'"Appel de Paris", le 9 septembre. © Francois Mori/AP/SIPA Autour du recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, les signataires de l'"Appel de Paris", le 9 septembre. © Francois Mori/AP/SIPA
Face aux massacres au Proche-Orient, les voix musulmanes se multiplient pour contrer l'Etat islamique. Le Conseil français du culte musulman dénonce les actes des djihadistes et appelle à la défense des Chrétiens d'Orient.
L'initiative est inédite. Le 9 septembre, Dalil Boubakeur, recteur et président du Conseil français du culte musulman (CFCM), ainsi que Patrick Karam, président de la coordination « Chrétiens d'Orient en danger », ont lu un texte commun intitulé « Appel de Paris » à la Grande Mosquée de Paris. Dans ce manifeste, les musulmans de France s'insurgent publiquement contre les actes de « barbarie » de l'Etat islamique en Irak et dénoncent un « crime contre l'humanité ».
D'ici la fin de l'année, Dalil Boubakeur et Patrick Karam veulent lancer une grande conférence internationale sur ce thème, à Paris. Dans l'immédiat, l'« Appel de Paris » s'accompagnera le vendredi 12 septembre d'une action dans toutes les mosquées de France et d'Europe. La grande prière du vendredi sera dédiée « à la mémoire de nos frères chrétiens d'Orient victimes de l'intolérance et de la barbarie ».
Plusieurs signataires ont rejoint cette proclamation, dont Abderrahmane Dahmane, président du Conseil des démocrates musulmans de France, Anouar Kbibech, président du Rassemblement des musulmans de France et Ahmet Ogras, président de la Coordination des musulmans turcs de France. On peut noter l'absence de l'Union des Organisations islamiques de France, qui avait néanmoins condamné les violences dès le 25 juillet dans un communiqué.
Depuis cet été, un bon nombre de leaders religieux et d'organisations musulmanes ont effectivement élevé leurs voix contre l'Etat islamique. L'Union des organisations islamiques de France condamne « fermement ces agissements commis au nom de l’Islam », en assurant « son soutien à la communauté chrétienne » et en estimant que « ces situations dramatiques mettent en danger le travail de cohésion et de paix dans le monde ». En Grande-Bretagne, plusieurs imams ont lancé une vidéo contre l'EI afin de contrecarrer la propagande extrémiste. Le 7 août, en Indonésie, où vit la plus grande communauté musulmane du monde, la Muhammadiyah (Association musulmane de Singapour) et le Conseil des oulémas indonésiens ont réprimandé fortement les actes des djihadistes en émettant une fatwa qui déclare « illégale » la participation aux activités de l'EI.
Des organisations transnationales ont également réagi. Ainsi, le 4 juillet, l'Union internationale des savants musulmans a déclaré que « lier le concept de califat à une organisation connue pour être extrémiste ne sert pas l'islam ». Le 22 juillet, ces savants ont continué en condamnant « l'expulsion forcée des frères chrétiens d'Irak de leurs maisons, leurs villes et leurs provinces » ainsi que des « actes qui violent les lois islamiques, la conscience islamique ». Entretemps, l'Organisation de la coopération islamique (organisation intergouvernementale), a condamné le 21 juillet, les persécutions de l'Etat islamique et affirme être « prête à apporter l’assistance humanitaire nécessaire » aux déplacés.
L'université Al-Azhar en Egypte, l'une des plus prestigieuses institutions de l'islam sunnite, avait attendu le 12 août pour réagir contre les persécutions, juste après une déclaration pontificale pour le dialogue interreligieux appelant les « responsables religieux, surtout musulmans » à condamner « sans ambiguïté aucune » les crimes de l’EI et à « dénoncer l’invocation de la religion pour les justifier », sous peine d’entamer la « crédibilité (du) dialogue interreligieux ».
Assez curieusement, ces communiqués des hautes autorités musulmanes du monde passent souvent inaperçues dans le flot d'informations en France. Pourquoi ? Selon Thomas Deltombe, journaliste indépendant et auteur du livre L'Islam imaginaire (La Découverte), « il y a une volonté en France de faire réagir les musulmans. Si les autorités musulmanes ne disent rien, elles seront critiquées pour leurs inactivées. Si au contraire elles réagissent tout de suite, elles risqueraient d'être assimilées aux djihadistes violents puisqu'elles reconnaîtraient implicitement qu'elles ont la même religion qu'eux. »
Plus généralement, la classe politique et les médias, à l'instar du Vatican, exigent souvent que les hautes autorités musulmanes dans le monde condamnent les massacres perpétrés au Moyen-Orient, alors que l'islam est une religion décentralisée. Contrairement au catholicisme, en particulier, il n'a pas d'instance, tel le pape, dont la parole est a priori reconnue par tous les fidèles. On demande donc à des musulmans français de réagir de manière systématique à des évènements qui se déroulent loin d'eux et auxquels ils sont totalement étrangers, alors que, toujours selon Thomas Deltombe, on n'imaginerait pas demander à un prêtre catholique en France de statuer sur des crimes commis par un autre catholique à l'autre bout de la planète.
[Seuls les administrateurs ont le droit de voir ce lien]
SOPHIE COVIN
CRÉÉ LE 09/09/2014 / MODIFIÉ LE 09/09/2014 À 20H19
Autour du recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, les signataires de l'"Appel de Paris", le 9 septembre. © Francois Mori/AP/SIPA Autour du recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, les signataires de l'"Appel de Paris", le 9 septembre. © Francois Mori/AP/SIPA
Face aux massacres au Proche-Orient, les voix musulmanes se multiplient pour contrer l'Etat islamique. Le Conseil français du culte musulman dénonce les actes des djihadistes et appelle à la défense des Chrétiens d'Orient.
L'initiative est inédite. Le 9 septembre, Dalil Boubakeur, recteur et président du Conseil français du culte musulman (CFCM), ainsi que Patrick Karam, président de la coordination « Chrétiens d'Orient en danger », ont lu un texte commun intitulé « Appel de Paris » à la Grande Mosquée de Paris. Dans ce manifeste, les musulmans de France s'insurgent publiquement contre les actes de « barbarie » de l'Etat islamique en Irak et dénoncent un « crime contre l'humanité ».
D'ici la fin de l'année, Dalil Boubakeur et Patrick Karam veulent lancer une grande conférence internationale sur ce thème, à Paris. Dans l'immédiat, l'« Appel de Paris » s'accompagnera le vendredi 12 septembre d'une action dans toutes les mosquées de France et d'Europe. La grande prière du vendredi sera dédiée « à la mémoire de nos frères chrétiens d'Orient victimes de l'intolérance et de la barbarie ».
Plusieurs signataires ont rejoint cette proclamation, dont Abderrahmane Dahmane, président du Conseil des démocrates musulmans de France, Anouar Kbibech, président du Rassemblement des musulmans de France et Ahmet Ogras, président de la Coordination des musulmans turcs de France. On peut noter l'absence de l'Union des Organisations islamiques de France, qui avait néanmoins condamné les violences dès le 25 juillet dans un communiqué.
Depuis cet été, un bon nombre de leaders religieux et d'organisations musulmanes ont effectivement élevé leurs voix contre l'Etat islamique. L'Union des organisations islamiques de France condamne « fermement ces agissements commis au nom de l’Islam », en assurant « son soutien à la communauté chrétienne » et en estimant que « ces situations dramatiques mettent en danger le travail de cohésion et de paix dans le monde ». En Grande-Bretagne, plusieurs imams ont lancé une vidéo contre l'EI afin de contrecarrer la propagande extrémiste. Le 7 août, en Indonésie, où vit la plus grande communauté musulmane du monde, la Muhammadiyah (Association musulmane de Singapour) et le Conseil des oulémas indonésiens ont réprimandé fortement les actes des djihadistes en émettant une fatwa qui déclare « illégale » la participation aux activités de l'EI.
Des organisations transnationales ont également réagi. Ainsi, le 4 juillet, l'Union internationale des savants musulmans a déclaré que « lier le concept de califat à une organisation connue pour être extrémiste ne sert pas l'islam ». Le 22 juillet, ces savants ont continué en condamnant « l'expulsion forcée des frères chrétiens d'Irak de leurs maisons, leurs villes et leurs provinces » ainsi que des « actes qui violent les lois islamiques, la conscience islamique ». Entretemps, l'Organisation de la coopération islamique (organisation intergouvernementale), a condamné le 21 juillet, les persécutions de l'Etat islamique et affirme être « prête à apporter l’assistance humanitaire nécessaire » aux déplacés.
L'université Al-Azhar en Egypte, l'une des plus prestigieuses institutions de l'islam sunnite, avait attendu le 12 août pour réagir contre les persécutions, juste après une déclaration pontificale pour le dialogue interreligieux appelant les « responsables religieux, surtout musulmans » à condamner « sans ambiguïté aucune » les crimes de l’EI et à « dénoncer l’invocation de la religion pour les justifier », sous peine d’entamer la « crédibilité (du) dialogue interreligieux ».
Assez curieusement, ces communiqués des hautes autorités musulmanes du monde passent souvent inaperçues dans le flot d'informations en France. Pourquoi ? Selon Thomas Deltombe, journaliste indépendant et auteur du livre L'Islam imaginaire (La Découverte), « il y a une volonté en France de faire réagir les musulmans. Si les autorités musulmanes ne disent rien, elles seront critiquées pour leurs inactivées. Si au contraire elles réagissent tout de suite, elles risqueraient d'être assimilées aux djihadistes violents puisqu'elles reconnaîtraient implicitement qu'elles ont la même religion qu'eux. »
Plus généralement, la classe politique et les médias, à l'instar du Vatican, exigent souvent que les hautes autorités musulmanes dans le monde condamnent les massacres perpétrés au Moyen-Orient, alors que l'islam est une religion décentralisée. Contrairement au catholicisme, en particulier, il n'a pas d'instance, tel le pape, dont la parole est a priori reconnue par tous les fidèles. On demande donc à des musulmans français de réagir de manière systématique à des évènements qui se déroulent loin d'eux et auxquels ils sont totalement étrangers, alors que, toujours selon Thomas Deltombe, on n'imaginerait pas demander à un prêtre catholique en France de statuer sur des crimes commis par un autre catholique à l'autre bout de la planète.
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