Un article sur cette question.
L'évolution de la pensée adventiste sur les viandes pures et impures
par Ron Graybill
Les adventistes d'aujourd'hui comprennent et acceptent la distinction de régime alimentaire entre les viandes pures et impures, basée sur Lévitique 11 et Deutéronome 14. Contrairement aux lois cérémonielles de l'Ancien Testament, qui renvoyaient au Christ, ou aux lois civiles, qui régentaient la théocratie juive, les lois alimentaires s'appuyaient sur la loi de la nature et ne s'appliquaient donc pas seulement à une époque donnée dans l'histoire.
C'est pourquoi, même parmi les Adventistes non-végétariens, on s'abstient des viandes impures. Il n'en était pas de même au dix-neuvième siècle, où même s'ils condamnaient clairement le porc 1, ils ne faisaient pas de distinction entre les viandes pures et impures des lois lévitiques.
Cette interdiction du porc fut la première à se mettre en place, mais même cela prit du temps. Avant que le message sanitaire ne soit délivré à Ellen White en 1863, celle-ci et son mari dissuadaient tous deux les chrétiens qui essayaient d'imposer l'interdiction du porc. « Nous ne croyons en aucune manière que la Bible enseigne que la consommation [du porc], dans la pratique évangélique, ne soit un péché », écrivait James White en 1850. 2
En 1858, un frère de la Nouvelle-Angleterre, probablement S. Haskell, tentait à nouveau de décourager la consommation de porc, et en faisait une question de loyauté à la Parole de Dieu. Mme White lui écrivit une lettre, où elle déclare : « S'il est du devoir de l'église de s'abstenir de porc, Dieu le fera découvrir à plus de deux ou de trois personnes. » 3
Après la vision sur la réforme sanitaire, Mme White s'est bien entendu ouvertement déclarée opposée à la consommation de porc, expliquant qu'il donnait « la scrofule, la lèpre et des tumeurs cancéreuses » 4. Il est important de remarquer que Mme White et les Adventistes s'opposant à la consommation de porc jusqu'en 1866 n'avançaient que des arguments d'ordre sanitaire. En d'autres termes, ce n'est pas parce qu'on présentait quelques arguments bibliques pour interdire le porc qu'on doit en tirer les conclusions qu'à ce moment-là les Adventistes étaient bien partis pour un enseignement généralisé sur la distinction entre viandes pures et impures.
En 1866, D. Canright fait allusion à Deutéronome 14:8 : « le porc, qui a les sabots fendus, mais qui ne rumine pas il est impur pour vous ; vous ne mangerez pas de leur chair et vous ne toucherez pas leurs cadavres. » Il n'évoque cependant pas les autres viandes impures dont ce chapitre fait la liste 5. Lorsqu'il fait allusion aux huîtres dans un article paru l'année suivante, c'est pour parler de leur soi-disant pouvoir de provoquer « certaines sensations » et il n'avance aucun argument biblique. 6
En 1870, W. Gage entreprend de contre-argumenter face à une revue adventiste concurrente qui fait exception à « l'affirmation scripturaire que le porc est impur. » Mais il ne cite ni Deutéronome 14 ni Lévitique 11, il remarque simplement : « Si les Ecritures ne permettent pas de répondre à une question, alors que la raison nous guide. Etudiez cet animal et ses habitudes répugnantes » 7. Il aborde la question du témoignage biblique sur le porc, mais son article ne constitue pas, de loin, en une contribution à une meilleure compréhension de l'enseignement biblique sur les viandes pures et impures. En effet, il avance essentiellement des arguments naturalistes et s'intéresse uniquement à la question du porc.
James White, dans un article paru sur « la chair du cochon » en 1872, montre, lui, les premiers pas d'une application plus large de la loi du lévitique. Il fait à nouveau référence à Deutéronome 14:8 et il cherche à réfuter l'argument qui veut que l'interdiction du porc ne concernait que les Juifs et non plus les chrétiens. Il rappelle à ses lecteurs qu'il existait une distinction entre le pur et l'impur dans la Bible bien avant qu'un seul Juif ne soit né. Cependant, l'idée maîtresse de cet article consiste à jeter le discrédit sur le porc, et non pas à établir des catégories de viandes pures et impures. Il ne remet pas du tout en cause la distinction faite par la Bible. 8
La distinction générale entre les viandes pures et impures n'a pas été abordée dans le milieu adventiste lors du dix-neuvième siècle. Bien qu'ils s'opposent fermement au porc, le poids de leurs argumentations reposait sur le critère physiologique. Uriah Smith rejeta catégoriquement l'applicabilité de la distinction mosaïque : « Nous croyons que nous avons d'autres éléments [sur la consommation de porc] que la loi cérémonielle de la pratique vétéro-testamentaire, car si nous affirmons que cette loi est encore valable, alors nous devons l'accepter dans son intégralité et nous nous retrouverons avec bien plus que ce que nous ne pouvons supporter. » 9
Toute prise de viande était déconseillée et la consommation de porc pratiquement interdite pour les Adventistes du Septième Jour du dix-neuvième siècle. D'autres viandes que nous considérons comme impures aujourd'hui n'étaient pas perçues de la même manière que le porc.
Willie White raconte qu'il arriva une fois qu'on conseilla à sa mère, qui était malade, de boire du bouillon d'huîtres pour soulager son estomac. Elle en aurait pris une ou deux cuillères, mais en a refusé plus. 10
Nous disposons cependant des éléments montrant qu'à un moment de sa vie, Ellen White a probablement mangé des huîtres. En 1882, tandis qu'elle vivait en Californie, elle rédigea une lettre à sa bru Mary qui vivait à Oakland, où elle lui présentait les requêtes suivantes : « Mary, si tu peux me trouver une boîte de harengs frais, fais-le s'il te plaît. Les dernières que Willie ait pu obtenir étaient périmées. Si tu peux acheter des conserves de bonnes tomates, disons une demi-douzaine, n'hésite pas. On en a besoin. Et si tu peux te procurer quelques conserves de bonnes huîtres, prends-les. » 11
Ellen White n'a jamais caché que dans des circonstances difficiles, dans ses voyages lorsqu'on l'invitait, elle mangeait de la viande. Le livre Conseils sur la nutrition et les aliments, publié aux Etats-Unis en 1938, comporte le récit de son attitude sur la consommation carnée après qu'elle ait reçu la vision de la réforme sanitaire : « D'un seul coup je changeai mon menu. Plus tard, il m'arriva d'être contrainte par les circonstances de manger un peu de viande. » 12
Ceci est conforme à ce qu'elle avait affirmé auparavant et qui apparaît en 1890 dans Christian Temperance and Bible Hygiene : « J'ai quelquefois mangé de la viande lorsque je ne trouvais pas la nourriture dont j'avais besoin ; mais j'en ai de plus en plus peur. » 13
Au-delà de ça, elle a fait preuve de négligence dans les années 70 et 80, en autorisant la viande sur sa table alors que celle-ci n'était peut-être pas nécessaire. Compte tenu des contraintes de réfrigération et de transport alimentaire au dix-neuvième siècle, il était beaucoup plus problématique à l'époque que maintenant d'avoir un régime alimentaire sans éléments carnés.
Au début des années 1990, Madame White exprima son dégoût de la viande tandis qu'elle était en chemin vers l'Australie. En effet, elle écrit : « On dispose d'une abondance de viandes, cuisinées de diverses manières, mais comme je n'apprécie pas l'alimentation carnée, ça ne me laisse que peu de nourriture. » 14
Au début de l'année 1894, tandis qu'elle se trouve en Australie, elle décida de ne plus manger de viande du tout, une décision sur laquelle elle ne reviendra pas le restant de sa vie. C'est ainsi qu'elle écrit :
« Depuis le camp-meeting de Brighton (janvier 1894), j'ai complètement éliminé la viande de ma table. Que je sois à la maison ou en voyage, il est entendu qu'aucun aliment de cette sorte ne doit paraître sur ma table, ni être utilisé dans ma famille. Ce sujet a été plusieurs fois présenté à mon esprit au cours de la nuit. » 15
La compréhension d'Ellen White sur la différence entre le pur et l'impur semble s'être accrue au fur et à mesure. En 1864, elle remarqua en passant que Noé fut autorisé à manger des bêtes « pures » après le Déluge 16. Lorsque Patriarches et prophètes fut publié en 1890 aux Etats-Unis, elle constata qu'il fut ordonné aux parents de Samson de le soustraire à tout ce qui était impur.
Elle affirme que la distinction entre les aliments purs et impurs, loin d'être un règlement cérémoniel et arbitraire, est fondée sur des principes sanitaires. C'est surtout à l'observance de ces règles qu'il faut attribuer la vitalité merveilleuse qui distingue le peuple juif depuis des milliers d'années 17. Il est significatif qu'elle n'ait pas perçu cet aspect-là dans la vie de Samson en 1881, alors que c'est sur ses textes que se fondent les articles traitant de Samson dans Patriarches et prophètes. 18
En 1905, à nouveau, elle exposa de manière favorable cette distinction comme donnée aux Juifs, citant cette fois-ci, en plus du porc, « d'autres mammifères, oiseaux et poissons, déclarés impurs » 19. Ce passage se poursuit avec l'énumération d'autres facettes des lois sanitaires juives, facettes desquelles les Adventistes du Septième Jour n'avaient jamais songé d'en exiger l'application, si bien qu'en résumé, on peut dire que Mme White n'a jamais explicitement affirmé que la distinction générale entre les viandes pures et impures devait encore être observée par les Adventistes du Septième Jour. Ses déclarations présentant les pratiques juives encourageaient cette démarche, mais ne l'ont jamais dit explicitement.
Les adventistes d'aujourd'hui, de par leur compréhension de la distinction entre les viandes pures et impures, doivent comprendre l'absence d'un tel enseignement dans l'Eglise adventiste à son époque. En 1883, W. Littlejohn, dans une rubrique Questions / Réponses de la Review and Herald, écrivait qu'il ne savait pas si l'interdiction des viandes impures de Lévitique 11 s'appliquaient aux huîtres. Si c'était le cas, disait-il, ce serait pour des raisons naturelles 20. Ce fut au même moment qu'Uriah Smith s'opposa fermement à l'application de la loi mosaïque sur ce sujet, comme expliqué plus haut.
Les premiers réformateurs en santé ont parfois cité les huîtres pour expliquer pourquoi les viandes carnées étaient nocives. Russell Trall, dans son Hydropathic Cookbook, y affirmait que tous les mollusques, dont les huîtres, étaient des « aliments néfastes ». 21
Les adventistes connaissent surtout les commentaires de James Jackson sur les huîtres, joints à d'autres de ses critiques sur les aliments carnés dans un article que James et Ellen White ont réimprimé dans Health : or how to live. Mr Jackson s'opposait aux huîtres parce que ce sont des « charognards marins » 22. Quant à John Loughborough, il pensait que tous les coquillages, huîtres incluses, étaient répréhensibles puisqu'ils sont peu nourrissants et difficiles à digérer. 23
Enfin, en 1891, Kellogg, s'opposant énergiquement à des commentaires favorables sur les huîtres faits par des scientifiques, condamna ce mollusque difficile à digérer, « le plus bas des charognards », pouvant contenir une substance mortelle, le « tyrotoxicon ». 24
Quand on compare la quantité de documents disponibles contre le porc, cependant, les objections contre les huîtres et autres viandes « impures », sont minimes au point de ne pas être remarquées.
Quelles qu'aient pu être les pratiques ou les compréhensions de nos pionniers sur cette question, nous ne devrions jamais fonder nos propres décisions concernant une manière de vie saine sur l'exemple d'autres êtres humains. Mme White l'a affirmé très clairement en 1901 lors d'une discussion improvisée à Battle Creek :
« Soeur White n'a pas eu de viande chez elle ni n'a cuisiné de chair morte depuis des années et des années. Voici [la base de] la réforme sanitaire [de certaines personnes] : "Je t'ai dit que Soeur White ne mange pas de viande. je ne veux pas que tu en manges, puisque Soeur White n'en mange pas".
Eh bien, je n'accorde aucun crédit à cela. Si vous n'avez pas de meilleure conviction que de dire que vous ne mangerez pas de viande car Soeur White n'en mange pas, si je deviens l'autorité, alors je n'accorde aucune valeur à votre réforme sanitaire.
Ce que je désire c'est que chacun d'entre vous se tienne debout dans sa dignité individuelle devant Dieu, dans votre consécration personnelle à Lui, et que votre corps en tant que temple doit être dédié à Dieu. ' Quiconque souille le temple de Dieu, Dieu le détruira'. Je voudrais maintenant que vous réfléchissiez à ceci, et que vous ne fassiez d'aucun être humain votre critère. » 25
Il n'est pas surprenant d'apprendre que S. Haskell, qui fut l'un des premiers à recommander à l'église d'abandonner le porc, fut aussi l'un des premiers à débattre d'une interdiction biblique claire sur toutes les viandes impures, d'après tout le chapitre de Lévitique 11. Il écrit ainsi en mai 1903 :
« Pour bien des choses, la Bible émet des principes et c'est de notre responsabilité d'exercer notre propre jugement sur ces questions, tandis que pour d'autres un commandement clair est donné. (…) Dans son projet infini, [Dieu] a désigné une partie du royaume animal comme des charognards. (…) Afin que que nous sachions ceux qui se nourrissent d'une alimentation saine, Il a mis une marque sur eux 26 ». Haskell cite alors les versets 1 à 8 de Lévitique 11, puis conclut : « Manger ce que Dieu a interdit est très grave à Ses yeux. »
Ellen G. White Estate
Washington D. C.
27 avril 27 1981, ressaisi en mars 1989
Notes
1. John Brunt, spécialiste du Nouveau Testament, a remis en cause récemment la validité quant à se servir de la loi lévitique pour établir une distinction entre le pur et l'impur. Son affirmation selon laquelle les interprétations d'Ellen White du livre du Lévitique expliquent la position actuelle de l'Eglise ne repose sur rien, comme ce document tentera de le montrer. Lire « Unclean or Unhealthful, an Adventist Perspective » de John Brunt, Spectrum volume 11 (Février 1981), pages 17 à 23.
2. James White, « la chair du cochon », Present Truth volume 1 (nov 1850), page 87. Deux études au moins avant la nôtre ont abordé ce point. L'une a été réalisée par Richard Hamill en 1945 lors de sa vie estudiantine au Séminaire Adventiste du Septième Jour et l'autre par David Giles, un autre séminariste, en 1977. Mr Giles n'ajoute que quelques éléments à ce que Mr Hamill avait écrit avant lui. Je suis reconnaissant à Mr Hamill de m'avoir dirigé vers des sources intéressantes, mais je crois que son travail néglige des distinctions primordiales.
3. Testimonies for the Church, volume 1, page 207.
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