Luxembourg : vers une séparation de l'Eglise et de l'Etat ?
NATHAN KRETZ
Le nouveau Premier ministre du grand-duché, le libéral Xavier Bettel, entend réviser en profondeur les relations entre l’État et les cultes. Les représentants des cultes l'ont rencontré ce 10 février.
Un minuscule État où il ne se passe presque rien en dehors du secteur financier et des institutions européennes qui y ont leur siège : telle est l’idée que l’on se fait à tort du Luxembourg, pays de 500 000 habitants niché entre la France, l’Allemagne et la Belgique. C’est oublier que les Luxembourgeois ont une histoire, une langue, des écrivains, des journaux, des partis politiques… en conflit. Et depuis l’arrivée au gouvernement d’une coalition inédite – libéraux, socialistes, écologistes –, le grand-duché s’apprête même à déguster une spécialité bien française : un grand débat sur la laïcité, la place des religions dans la sphère publique, les relations entre les cultes et l’État…
Le nouveau Premier ministre, le libéral Xavier Bettel, a annoncé le 10 décembre dernier, lors de la présentation de son programme, que les nouvelles « réalités sociétales » exigeaient « une remise en cause des relations actuelles entre l’État et les cultes ».
La baisse du financement par l’Etat
Cette remise en cause, aux contours encore flous, comporte d’abord la suppression des heures d’enseignement religieux catholique, que les élèves choisissent aujourd’hui à 70 % dans le primaire et à 58 % dans le secondaire. Elle comporte aussi la révision à la baisse du financement par l’État des cultes dits conventionnés. Ce financement couvre essentiellement les frais liés aux bâtiments et les salaires des ministres des cultes ou des autres employés. À part l’Église catholique, qui perçoit 95 % du budget total alloué aux cultes et compte 317 salariés, dont 118 membres du clergé, les autres cultes ne comptent qu’une petite poignée de salariés. Des petits changements symboliques sont également annoncés, comme le remplacement pour la fête nationale du Te Deum, traditionnellement prononcé à la cathédrale, par une cérémonie non religieuse.
Ces mesures laïques font partie – aux côtés de l’adoption par les couples homosexuels, d’un changement de la loi sur le divorce, de l’abaissement de la majorité à 16 ans ou du droit de vote des étrangers – des réformes sociétales attendues de ce gouvernement.
Fait rarissime dans l’histoire du pays, l’actuel gouvernement, fruit des législatives anticipées du mois d’octobre et des difficiles semaines de négociations qui ont suivi, s’est constitué sans le parti conservateur (CSV, social-chrétien), qui reste néanmoins le premier parti du pays. Étant donné les liens historiques entretenus entre le CSV et l’Église catholique, ce projet ne serait pas sur la table gouvernementale si le CSV n’avait pas été évincé du pouvoir. Pour le numéro deux du CSV, l’ancien ministre Claude Wiseler, « la séparation de l’Église et de l’État est déjà une réalité. La seule question qui se pose, c’est le financement des cultes. Et c’est pour nous quelque chose de logique à partir du moment où la liberté religieuse est inscrite dans la Constitution. »
« C’est notre 1981 », affirme, amusé, un journaliste luxembourgeois. L’accession à la tête de l’État du bouillonnant Xavier Bettel, 40 ans, direct et convivial, volontiers blagueur pendant les débats à la Chambre des députés et qui s’affiche publiquement avec son compagnon lors des cérémonies officielles, est un vrai changement de style après le long règne du CSV et de Jean-Claude Juncker (Premier ministre de 1995 à 2013). Comme l’entrée au gouvernement des Verts, une première, et la nomination au ministère de la Justice de l’un d’eux, Félix Braz, un Portugais naturalisé, une première également, sont des changements remarqués.
L’Église catholique, première visée
Neuf cultes ont signé avec l’État des conventions qui ont des implications financières très intéressantes pour les communautés religieuses. Mais l’Église catholique luxembourgeoise, encore puissante malgré un indéniable déclin, est au centre de la réforme à venir. L’histoire du pays est profondément imprégnée par le catholicisme, religion ultramajoritaire. L’Église détient toujours le premier quotidien du pays (Luxemburger Wort), gère une bonne partie des œuvres caritatives et possède un patrimoine immobilier important. Enfin, le grand-duc, qui n’est pas totalement absent de la vie politique, ne fait pas mystère de son fort attachement à la religion catholique.
L’éloignement des Luxembourgeois « historiques » de la religion est bien réel, mais il est compensé par la ferveur des Portugais, des Capverdiens ou des Italiens, « souvent des gens pauvres, qui sont très présents dans nos églises et pour lesquels nous avons beaucoup fait pour l’intégration au Luxembourg », explique l’archevêque Jean-Claude Hollerich. Pour ce jésuite, qui attend avec impatience d’en savoir plus sur les volontés du gouvernement, « le système actuel des relations entre les cultes et l’État est globalement bon, même si nous sommes d’accord qu’il faut y apporter des corrections, dans le domaine de l’égalité entre les cultes par exemple ». L’annonce d’une révision des conventions inquiète aussi les représentants des cultes minoritaires – trois cultes protestants, deux orthodoxes, un anglican, un israélite. Ainsi, Claude Marx, président du consistoire israélite, considère qu’« il serait regrettable que les petits cultes soient menacés dans leur existence par une réforme liée à la situation de l’Église catholique. Cette dernière a des moyens que nous n’avons pas ». Claude Marx espère, conjointement avec les représentants des autres petits cultes, que le Premier ministre soumettra « des solutions (leur) permettant de survivre ».
Un référendum indispensable
La Fédération des associations des parents d’élèves du Luxembourg (Fapel) a fait savoir qu’elle était contre la suppression du choix entre l’enseignement religieux catholique et le cours de formation morale et sociale. Pour sa présidente, Jutta Lux-Hennecke, il est important « que l’école considère aussi les enfants comme des êtres transcendants ».
Une chose est sûre, cette réforme prendra du temps, puisqu’elle ne peut être réalisée sans une modification de la Constitution, qui, en l’absence d’une majorité des deux tiers à la Chambre des députés (inaccessible puisque la coalition ne dispose de la majorité qu’à deux sièges près), suppose un référendum.
Les représentants des cultes devraient en savoir plus à l’occasion d’une rencontre prévue le 10 février avec le Premier ministre.
NATHAN KRETZ
Le nouveau Premier ministre du grand-duché, le libéral Xavier Bettel, entend réviser en profondeur les relations entre l’État et les cultes. Les représentants des cultes l'ont rencontré ce 10 février.
Un minuscule État où il ne se passe presque rien en dehors du secteur financier et des institutions européennes qui y ont leur siège : telle est l’idée que l’on se fait à tort du Luxembourg, pays de 500 000 habitants niché entre la France, l’Allemagne et la Belgique. C’est oublier que les Luxembourgeois ont une histoire, une langue, des écrivains, des journaux, des partis politiques… en conflit. Et depuis l’arrivée au gouvernement d’une coalition inédite – libéraux, socialistes, écologistes –, le grand-duché s’apprête même à déguster une spécialité bien française : un grand débat sur la laïcité, la place des religions dans la sphère publique, les relations entre les cultes et l’État…
Le nouveau Premier ministre, le libéral Xavier Bettel, a annoncé le 10 décembre dernier, lors de la présentation de son programme, que les nouvelles « réalités sociétales » exigeaient « une remise en cause des relations actuelles entre l’État et les cultes ».
La baisse du financement par l’Etat
Cette remise en cause, aux contours encore flous, comporte d’abord la suppression des heures d’enseignement religieux catholique, que les élèves choisissent aujourd’hui à 70 % dans le primaire et à 58 % dans le secondaire. Elle comporte aussi la révision à la baisse du financement par l’État des cultes dits conventionnés. Ce financement couvre essentiellement les frais liés aux bâtiments et les salaires des ministres des cultes ou des autres employés. À part l’Église catholique, qui perçoit 95 % du budget total alloué aux cultes et compte 317 salariés, dont 118 membres du clergé, les autres cultes ne comptent qu’une petite poignée de salariés. Des petits changements symboliques sont également annoncés, comme le remplacement pour la fête nationale du Te Deum, traditionnellement prononcé à la cathédrale, par une cérémonie non religieuse.
Ces mesures laïques font partie – aux côtés de l’adoption par les couples homosexuels, d’un changement de la loi sur le divorce, de l’abaissement de la majorité à 16 ans ou du droit de vote des étrangers – des réformes sociétales attendues de ce gouvernement.
Fait rarissime dans l’histoire du pays, l’actuel gouvernement, fruit des législatives anticipées du mois d’octobre et des difficiles semaines de négociations qui ont suivi, s’est constitué sans le parti conservateur (CSV, social-chrétien), qui reste néanmoins le premier parti du pays. Étant donné les liens historiques entretenus entre le CSV et l’Église catholique, ce projet ne serait pas sur la table gouvernementale si le CSV n’avait pas été évincé du pouvoir. Pour le numéro deux du CSV, l’ancien ministre Claude Wiseler, « la séparation de l’Église et de l’État est déjà une réalité. La seule question qui se pose, c’est le financement des cultes. Et c’est pour nous quelque chose de logique à partir du moment où la liberté religieuse est inscrite dans la Constitution. »
« C’est notre 1981 », affirme, amusé, un journaliste luxembourgeois. L’accession à la tête de l’État du bouillonnant Xavier Bettel, 40 ans, direct et convivial, volontiers blagueur pendant les débats à la Chambre des députés et qui s’affiche publiquement avec son compagnon lors des cérémonies officielles, est un vrai changement de style après le long règne du CSV et de Jean-Claude Juncker (Premier ministre de 1995 à 2013). Comme l’entrée au gouvernement des Verts, une première, et la nomination au ministère de la Justice de l’un d’eux, Félix Braz, un Portugais naturalisé, une première également, sont des changements remarqués.
L’Église catholique, première visée
Neuf cultes ont signé avec l’État des conventions qui ont des implications financières très intéressantes pour les communautés religieuses. Mais l’Église catholique luxembourgeoise, encore puissante malgré un indéniable déclin, est au centre de la réforme à venir. L’histoire du pays est profondément imprégnée par le catholicisme, religion ultramajoritaire. L’Église détient toujours le premier quotidien du pays (Luxemburger Wort), gère une bonne partie des œuvres caritatives et possède un patrimoine immobilier important. Enfin, le grand-duc, qui n’est pas totalement absent de la vie politique, ne fait pas mystère de son fort attachement à la religion catholique.
L’éloignement des Luxembourgeois « historiques » de la religion est bien réel, mais il est compensé par la ferveur des Portugais, des Capverdiens ou des Italiens, « souvent des gens pauvres, qui sont très présents dans nos églises et pour lesquels nous avons beaucoup fait pour l’intégration au Luxembourg », explique l’archevêque Jean-Claude Hollerich. Pour ce jésuite, qui attend avec impatience d’en savoir plus sur les volontés du gouvernement, « le système actuel des relations entre les cultes et l’État est globalement bon, même si nous sommes d’accord qu’il faut y apporter des corrections, dans le domaine de l’égalité entre les cultes par exemple ». L’annonce d’une révision des conventions inquiète aussi les représentants des cultes minoritaires – trois cultes protestants, deux orthodoxes, un anglican, un israélite. Ainsi, Claude Marx, président du consistoire israélite, considère qu’« il serait regrettable que les petits cultes soient menacés dans leur existence par une réforme liée à la situation de l’Église catholique. Cette dernière a des moyens que nous n’avons pas ». Claude Marx espère, conjointement avec les représentants des autres petits cultes, que le Premier ministre soumettra « des solutions (leur) permettant de survivre ».
Un référendum indispensable
La Fédération des associations des parents d’élèves du Luxembourg (Fapel) a fait savoir qu’elle était contre la suppression du choix entre l’enseignement religieux catholique et le cours de formation morale et sociale. Pour sa présidente, Jutta Lux-Hennecke, il est important « que l’école considère aussi les enfants comme des êtres transcendants ».
Une chose est sûre, cette réforme prendra du temps, puisqu’elle ne peut être réalisée sans une modification de la Constitution, qui, en l’absence d’une majorité des deux tiers à la Chambre des députés (inaccessible puisque la coalition ne dispose de la majorité qu’à deux sièges près), suppose un référendum.
Les représentants des cultes devraient en savoir plus à l’occasion d’une rencontre prévue le 10 février avec le Premier ministre.