Voilà de la bonne littérature, une reconnaissance de texte d'une partie du livre de Joseph Macek "Jean Hus et les traditions hussites" sur les Frères Moraves.
Désolé pour les éventuelles fautes de reconnaissance.
Bonne lecture. Fabien
5. Pierre Chelcicky.
La Réforme n'eut pas seulement ses Rokycana qui cherchaient désespérément un juste milieu, mais aussi des penseurs les plus radicaux. Après les chiliastes tâborites et les représentants du hussitisme révolutionnaire, vinrent les tenants d'idées hussites radicales qui étaient la négation de la révolution, et surtout de toute violence, même révolutionnaire. Pierre Chelcicky (201) est le porte-parole de ces idées et la personnalité en qui la Réforme tchèque trouva son penseur le plus original et le plus indépendant.
Pierre Chelcicky a échappé jusqu'à maintenant à toutes les tentatives faites pour établir sa biographie. Nous savons peu de lui : il vécut dans les années 1390-1460 ; il était attaché aux campagnes tchèques particulièrement au village de Chelcice au Sud de la Bohême ; il n'étudia pas à l'Université ; il connaissait peu le latin et il passa sa vie dans l'isolement, à la campagne. Nous ne savons même pas si c'était un noble ou un paysan libre (202), seuls ses écrits en tchèque nous apprennent quelque chose. Mais l'œuvre de Chelcicky est indubitablement associée à la vie du peuple paysan, des tenanciers, des serfs. Sa langue abonde en images empruntées à la vie villageoise et aux travaux champêtres ; son cœur est plein de pitié pour la misère et les souffrances des serfs. C'est d'en bas, de la boue du village, qu'il jugeait la révolution, les réformes, les villes et les châteaux de la noblesse ; c'est avec les paysans et au sein du village qu'il vivait tous les tracas de la guerre et toutes les désillusions ; c'est de là qu'il suivait l'évanouissement des espoirs et des rêves fiévreux de l'homme simple qui avait cru à la délivrance des misères terrestres et au salut éternel après la mort. Impossible de séparer l'œuvre de Chelcicky de son contexte paysan, de la vie du peuple serf qui se libéra un moment de l'oppression, mais retomba peu à peu dans son rôle traditionnel de nourricier exploité par les états supérieurs.
Après la bataille de Lipany et la mort de Rohéc (en 1437), il n'y avait plus assez de force dans les campagnes tchèques pour une lutte antiféodale et révolutionnaire. L'indifférence ou une résignation hébétée y régnaient, mêlées de rêves sur le salut individuel et de prophéties annonçant un revirement miraculeux de la situation. L'épisode du roi paysan, en 1445 (203), reflète éloquemment l'état d'esprit des serfs. Au Nord de la Bohême, à Stadice, un vieillard étrange apparut dans les lieux où, selon une ancienne légende déjà contée par le chroniqueur Kosmas au xne siècle, le prince Pfemysl aurait labouré un champ avant d'être appelé au trône tchèque. Ce vieillard déclarait que Dieu l'avait envoyé comme roi paysan en Bohême pour consoler le peuple serf. L'apparition du vieillard en ce lieu marqué d'anciennes légendes se produisit au printemps, au moment où est célébrée la retraite de l'hiver (comme pour Hans le Fifre trente ans plus tard en Franconie (204)). Ces éléments folkloriques indiquent eux-mêmes le caractère populaire de cet événement. Le roi paysan commença à inviter les serfs à se rendre auprès de lui et à écouter les messages de Dieu. Il parlait dans l'esprit de la Réforme hussite, appelait à une piété ardente, envoyait des épîtres dans les régions environnantes. L'activité du roi de Stadice ne provoqua pas d'abord l'intervention des gentilshommes. Cependant, dès que des centaines et des milliers de pèlerins commencèrent à affluer vers lui, le vieillard et ses conseillers furent jetés en prison et le vieillard mourut dans le cachot d'un château seigneurial.
L'œuvre de Pierre Chelcicky prend corps dans cette atmosphère de résignation et de déception ; c'est une réaction contre les sentiments de tous les Hussites qui évaluaient d'un œil critique les espoirs et les gains de la révolution. Elle est à sa façon un témoignage comparable à celui qu'apporta le roi paysan de Stadice ; mais à la différence de celui-ci et des idéologues hussites, c'est le témoignage d'un homme solitaire opposé au monde, c'est le refus radical de tout acte public. Chelcicky offre un remède contre la douleur et contre la souffrance aux individus et aux petits groupes qui avaient quitté la société et s'étaient réfugiés dans l'isolement de leurs cœurs, nourris du Nouveau Testament.
Dès la période de la révolution, les idées de Chelcicky se situaient à l'opposé de toutes les autres — celles des romains et celles des hussites combattants. En 1421, au moment où la seconde croisade envahit la Bohême, le solitaire de la Bohême du Sud écrit son traité « Du combat spirituel (205) ». Il s'appuie sur Stitny et surtout sur J. Hus et trouve dans le Nouveau Testament une ligne de conduite nette : il ne faut pas combattre l'Antéchrist avec des armes terrestres, mais uniquement par l'amour du prochain, l'humilité, la modération et la bonté du cœur. Jésus ne promet pas à ses fidèles le bien-être ici-bas mais seulement aux cieux ; pour arriver dans le royaume céleste, les hommes doivent souvent souffrir. Pour cette raison, Chelcicky polémique contre l'humanisme révolutionnaire de Martin Hûska et refuse de croire que les croyants puissent goûter joie et bonheur dans leur vie terrestre. Il refuse aussi catégoriquement la décision des maîtres de l'Université justifiant le combat physique pour les vérités de Dieu. Il ne cesse de répéter : Ce n'est pas le glaive corporel, mais celui de l'esprit et le bouclier de la foi qui sont les armes d'un chrétien humble.
La révolution hussite trouva en la personne de Chelcicky un critique incorruptible qui n'hésita pas à condamner la violence et la guerre, celle que menait l'Antéchrist (c'est-à-dire l'Église romaine et l'empereur), ou celle de ceux qui se faisaient appeler les « combattants de Dieu », les Hussites. La critique de Chelcicky sur les Hussites est toujours amicale, dictée par l'amour et le respect qu'il avait pour eux et, avant tout, pour les Tâborites. Sa voix n'est jamais celle d'un fanatique, d'un adversaire de la révolution. Il exprime son regret pour les pertes humaines, l'effusion de sang, la ruine du pays. Mais il lance aussi un avertissement contre la foi en la victoire de la violence révolutionnaire (206). Selon ses convictions profondes, l'Antéchrist remportera la victoire même si ses troupes sont vaincues par les armes, car il s'empare des cœurs hussites et leur inculque la soif du sang, l'orgueil, l'esprit dominateur et l'âpreté au gain. D'après Chelcicky c'est l'homme lui-même, ses convoitises, ses aspirations au succès et aux biens terrestres qui explique cette déviation de la révolution. Même les « frères bien-aimés » — les Tâborites — n'ont pas pu et ne peuvent résister à ces vices engendrés par le diable. Ils ont aussi commis des péchés, voire des crimes, et versé le sang inutilement dès qu'ils ont abandonné le Nouveau Testament et le combat spirituel, pour saisir le glaive temporel et s'emparer du pouvoir. Ainsi, dès les premières années de la révolution, une critique de la violence révolutionnaire, des fautes et des crimes perpétrés par les troupes hussites, s'est exprimée dans l'œuvre de Chelcicky.
Les traits positifs de cette critique ne doivent cependant pas faire illusion : d'une part les Tâborites ne cessèrent jamais de veiller sur la région où vivait Chelcicky, venaient le voir et le consultaient ; d'autre part en 1421, une préférence unilatérale et intransigeante accordée au combat spirituel signifiait une démobilisation et une défaite de la révolution. Les croisés n'auraient certainement point respecté la loi d'amour du Christ et auraient massacré ou brûlé vifs comme hérétiques les hussites sans défense. Le traité « Du combat spirituel » était un écrit antirévolutionnaire et un témoignage qui allait au-delà de la société de son temps et dans une certaine mesure il était dirigé contre tout ordre public et toute vie sociale.
Pierre Chelcicky fut le premier penseur dans l'histoire de la culture européenne à attaquer radicalement l'ordre féodal et la structure de la société médiévale, le premier à refuser l'équation : « le baptisé » = « le sujet ». Se fondant sur le Nouveau Testament et sur les principes hussites de l'imitation de la Bible, il examine d'un œil critique la société de son temps et surtout la doctrine des trois états (207). Jean Hus essaya de modifier cette doctrine en faveur de la bourgeoisie (208). Chelcicky dépasse complètement Hus et se détourne même de Wycliff, son maître préféré. Il refuse la théorie des trois états parce qu'elle est contraire aux Évangiles et au Christ ; il la rejette parce qu'elle est fausse et ne sert que les deux états supérieurs, le clergé et la noblesse. Entre les différents états il n'y a pas harmonie, mais lutte féroce ; seule la violence fait que les serfs travaillent pour les gentilshommes et les prêtres. Tandis que ces « états élevés » vivent dans le luxe, l'opulence et les réjouissances, « le peuple commun » peine à la sueur de son front et nourrit les autorités seigneuriales avec ses mains calleuses. Ni le Christ, ni saint Paul n'ont jamais approuvé ordre pareil ; c'est à l'Antéchrist et non au Christ que de telles formes d'oppression et d'exploitation sont chères. « Oh! Combien se sont-ils écartés des paroles de saint Paul qui enseigne que tous les états doivent souffrir si l'un d'entre eux se trouve dans la nécessité. Les uns pleurent parce qu'ils sont pillés, jetés en prison et volés, tandis que les seigneurs et les prêtres se moquent de leur misère (209) ». Avec des détails effrayants, Chelcicky énumère toutes les formes d'oppression et de violence auxquelles le serf est exposé. C'est une critique écrasante ; et en même temps une justification de la thèse qui revendique l'abolition des classes sociales et l'établissement d'une société sans classes (210), l'égalité absolue de tous les membres de la communauté chrétienne. Ni l'empereur, ni le roi ou les princes, ni même les juges et les magistrats ne doivent s'élever au-dessus des autres chrétiens, « car ils ont été créés égaux pour ne pas s'enorgueillir devant les autres (211) ».
Dès 1424, Chelcicky formule ces idées révolutionnaires dans le traité intitulé « Sur les trois groupes sociaux (212) », les reprend dans sa Postille (1432), ainsi que dans son ouvrage principal appelé « Le Filet de la foi » (1442-1444). Il revient sans cesse aux problèmes sociaux fondamentaux et fait ainsi une esquisse remarquable de sociologie médiévale totalement opposée à la scolastique et à ses thèses sur la coexistence harmonieuse des trois états dans la société. Bien que la langue de Chelcicky soit entièrement tributaire de la Bible et que sa pensée soit fondée sur la foi dans l'enseignement du Christ et la nécessité de revenir à l'Église apostolique primitive, son tableau de la société diffère foncièrement des idées médiévales traditionnelles et se rapproche plutôt des utopies sociales de l'époque moderne. Il est naturel que Chelcicky refuse d'une façon tout à fait univoque l'enseignement et l'organisation de l'Église romaine. En développant ses thèses sur l'Antéchrist, il considère l'Église romaine comme un outil du diable et les membres du clergé comme les serviteurs de Satan (213). Il voit la principale cause du déclin de l'Église dans sa richesse, son pouvoir temporel et dans la Donation de Constantin. L'état ecclésiastique ne peut donc recevoir sa consécration de l'Église ; tous ceux qui s'adonnent de tout leur cœur à leur foi en Jésus-Christ et en son enseignement peuvent être prêtres. La foi se situe au premier plan des idées religieuses professées par Chelcicky : saint Paul est un des prédicateurs qu'il préfère. Ainsi le penseur de la Bohême méridionale dépassait les théologiens de l'Église calixtine et recommandait de créer une communauté de fidèles, indépendante de Rome.
Pierre Chelcicky refusait catégoriquement non seulement le pouvoir temporel de l'Église, mais aussi le pouvoir royal, celui des autorités seigneuriales et celui des villes. Chelcicky est le premier à critiquer Samuel VIIJ, ce passage clé de la Bible utilisé pour défendre la monarchie et l'institution du roi par Dieu. Par sa venue et par sa loi, le Christ abolit le droit des rois à gouverner les chrétiens par la force. Ce qui avait été jusqu'alors l'argument idéologique de la scolastique pour glorifier le pouvoir royal, se trouve ainsi abandonné, rejeté et mis en opposition avec le Nouveau Testament. « Car le pouvoir ne peut se manifester que par la cruauté (214) » : le pouvoir des rois, des princes, des seigneurs et de l'État, qui est toujours taché de sang, ne peut pas être en accord avec le Christ ; au contraire, c'est une œuvre diabolique, criminelle et absurde. Le concept de pouvoir est le point central de sa sociologie et prend le sens de « l'État (215) ». Pierre Chelcicky figure ainsi parmi les premiers savants européens à formuler une conception de l'État comme concept général abstrait et à avoir cherché un terme commun pour toutes les formes de pouvoir public. Pendant la Renaissance italienne, le concept abstrait « il stato » se développa surtout au cours du xve siècle et trouva sa meilleur expression dans l'œuvre de N. Machiavel (216). Au cœur de la Réforme tchèque, c'est Pierre Chelcicky qui formule le concept désignant tous les types et toutes les formes d'État ; il donne là un nouveau témoignage de la profondeur de sa pensée théorique. En outre, le savant de la Bohême méridionale considère l'État avant tout comme une coercition organisée par laquelle les uns gouvernent les autres ; il utilise donc le terme de « pouvoir » pour désigner l'État et élargit ainsi son champ sémantique. Le pouvoir d'État se sert de la force, « et pour le profit de son gouvernement il doit dominer les sujets ». Si l'État n'était pas doté de pouvoir, « il ne pourrait pas gouverner la multitude du peuple, car les uns se soulèveraient contre les autres (217)... ». Chelcicky analyse avec finesse le mécanisme des rapports de force et contribue ainsi à définir la conception théorique de l'État. Tout en partant de l'Évangile, il parvient à former des idées concernant la puissance de l'État qui seront exprimées sans ménagement par N. Machiavel (218), un demi-siècle plus tard. Bien entendu, ce dernier a rejeté le cadre biblique et a étudié le pouvoir d'État à partir de ses expériences politiques. Comme T. Hobbes, Chelcicky fait l'analyse d'un pouvoir d'État monolithique (219) et partage son profond pessimisme fondé sur les qualités éthiques, les aspirations et les émotions de l'homme.
Pierre Chelcicky réfute également d'autres points élémentaires de la sociologie médiévale. Depuis les Pères de l'Église, l'idéologie féodale s'appuyait sur la péricope Rom. 13, 1-7, en particulier sur la thèse : « Que toute personne soit soumise aux puissances supérieures. » Pendant tout le moyen âge, ces paroles de saint Paul reviennent dans les écrits savants et affermissent les chrétiens dans la conviction qu'être serfs, travailler pour la noblesse et les prélats et leur obéir, est un précepte de Dieu (220). Le penseur qui avait tellement insisté sur l'amour du prochain et l'égalité des hommes devant le Christ, réfute également cet argument essentiel fondant les trois États. Dans son œuvre, Chelcicky revient plusieurs fois sur ces paroles de saint Paul et cherche à démontrer qu'elles concernaient non la société chrétienne, mais seulement les païens. A l'époque où l'apôtre formula ces idées, l'empereur et toutes les autorités séculières étaient païens. Comme au xve siècle l'empereur, le roi, les seigneurs et les magistrats sont chrétiens, les propos de saint Paul perdent toute actualité ; les chrétiens ne sont donc plus tenus par la Bible à la soumission aux autorités séculières. Cette interprétation développant les thèses plus anciennes de l'hérésie populaire (surtout celles des Vau-dois) (221) signifie bien une négation révolutionnaire de la structure sociale basée sur le droit divin des souverains et des autorités. Elle ouvre la voie d'une libération sociale au peuple serf. Cependant, Chelcicky s'oppose catégoriquement à ce que le peuple exploité s'efforce de se libérer par la force, par les armes ou par un soulèvement. L'humilité, l'amour du prochain et l'abnégation patiente doivent caractériser le combat spirituel des chrétiens contre les autorités, le pouvoir temporel et l'Etat. Le chrétien ne doit ni prêter serment, ni obéir aux autorités, si elles exigent de lui des actes contraires à l'enseignement du Christ. Le croyant doit plutôt souffrir, vivre dans la solitude et ne pas hésiter même à sacrifier humblement sa vie pour les vérités de Dieu. Cette œuvre, empreinte d'une profonde piété et caractérisée par l'isolement du monde pécheur, n'était donc pas un appel révolutionnaire dans l'instant. Au contraire, comparé aux prédicateurs contemporains et aux chefs des troupes hussites, Chelcicky représente une force démobilisatrice. Mais à considérer l'importance générale de cette pensée développée dans le contexte de la pensée européenne à la fin du Moyen Age, sa portée révolutionnaire apparaît clairement en ce que Chelcicky trace une ligne de démarcation nette entre les phénomènes trans-cendentaux et les phénomènes terrestres, entre le sacré et le séculier ; il permet ainsi à chacun de chercher sa propre voie. Sa revendication d'une égalité totale pour tous les hommes se rapproche des idéaux qui seront plus tard adoptés par le libéralisme bourgeois (222).
Le caractère utopique de la sociologie de Chelcicky se retrouve également dans son attitude envers les villes. Pour le paysan qui vit d'une façon frugale et simple, la ville est une œuvre de Caïn, du diable, une forteresse de l'Antéchrist. L'administration municipale et celle du plat pays sont contraires au Nouveau Testament ; le chrétien ne peut les prendre en considération. Les villes sont aussi le siège du clergé riche, du luxe, de la fornication et des péchés de toutes sortes. L'ascétisme d'un simple paysan se mêle à une apothéose biblique de la paysannerie qui refuse catégoriquement la vie citadine, l'administration et la jurisprudence municipales, les forces armées des villes. En s'établissant dans les villes et en s'engageant dans le combat fait par les villes, les romains comme les hussites se sont détournés du Christ, ont vendu leurs âmes à Satan et préparé la perte de l'homme. L'idée que Chelcicky se fait de l'homme est un fruit de sa métaphysique transcen-dantale pessimiste. Elle considère l'homme comme un puits de vices et de tendances scélérates plutôt qu'un être mi-divin comme le voyaient les humanistes de la Renaissance (223). L'homme est un être faible, un roseau qui plie à tous les vents, proie du monde où le diable tend ses filets. Le cœur humain est le siège de péchés, de désirs et d'émotions coupables ; Chelcicky le voit avec inquiétude se détourner du Seigneur. Néanmoins, ce pessimiste, cet adversaire obstiné des guerres et de la violence est plein de souci et d'amour pour l'homme ; il se préoccupe de son salut et de sa vie spirituelle. Il refuse toutes les formes de l'oppression féodale et la domination de l'homme par l'Etat (on dirait aujourd'hui la manipulation de l'homme par l'Église et par l'État) : l'homme ne doit pas être une victime, ou une machine soumise aux ordres du pouvoir. Il va jusqu'à dénier aux tribunaux le droit de décider de la vie et de la mort de l'homme. A Baie, Nicolas Biskupec s'était déjà opposé à la peine de mort (224). Chelcicky donne une argumentation détaillée et explique pourquoi il ne faut pas tuer l'homme ni dans la guerre ni sur l'échafaud. Toutes les autorités qui justifient l'homicide sont mensongères (il polémique contre saint Augustin et Grégoire le Grand). Jésus se situe au-dessus de toute autorité avec sa loi d'amour et de patience : « pour cette raison les saints docteurs s'appuient à tort sur des citations en invitant à tuer les hommes (225). »
En la personne de Chelcicky, la Réforme tchèque atteignait un de ses sommets spirituels. Ses ouvrages en tchèque truffés de passages sombres et peu compréhensibles n'étaient pas bien sûr, destinés au grand public et leur portée politique n'était pas très grande. Elle resta limitée aux Tâbo-rites et aux petits groupes de zélateurs religieux qui se rassemblaient pour lire la Bible à la campagne et entretenaient même des contacts avec les « Frères de Chel-cice », une poignée de disciples et d'imitateurs de Pierre Chelcicky. C'est dans son œuvre que la Réforme populaire qui se développait en Bohème et en Moravie, à côté de la Réforme calixtine officielle et contre celle-ci, puisait ses sources idéologiques. L'œuvre philosophique de Chelcicky est d'une importance capitale pour la genèse de l'Unité des Frères ; a part cela, elle eut un retentissement faible, car elle était écrite pour des individus assez forts pour quitter la société et renoncer au monde, non pour de larges couches sociales.
Au commencement du xvie siècle, renaît l'intérêt pour le traité « Le Filet de la foi », et celui-ci fut imprimé. Plus tard l'écrivain tomba dans l'oubli et ne fut redécouvert par l'historiographie que dans la seconde moitié du xixe siècle. Entre autres penseurs, L. N. Tolstoj (226) fit alors connaissance des idées de Chelcicky et pour la première fois en Europe les considéra comme l'ensemble idéologique le plus original de la Réforme tchèque et la voix revivifiante d'un pur christianisme.
6. L'Unité des Frères.
Le développement louvoyant de l'Eglise calixtine, la pression de Rome et le retour au pouvoir de la vieille élite politique suscitèrent, dans la seconde moitié du xve siècle, la création de petites sectes radicales, mécontentes de l'état de choses. Elles ralliaient le plus souvent des serfs, de petits artisans et des miséreux qui exprimaient de cette façon leurs aspirations au salut et à la Réforme populaire. Les Frères de Chelcice se groupèrent autour de Chelcicky ; la communauté de Vlâsenice et d'autres petits groupes de hussites radicaux présentaient ces mêmes caractères. Les attaques contre la communauté des Frères de Kromëriz (227) (1450) nous font connaître les aspirations des adhérents à cette Réforme populaire. Dans la communauté, les prêtres étaient contrôlés par les laïcs, les rites religieux étaient réduits à la prière, le Pater ; on communiait sous les deux espèces aussi souvent que possible ; toute organisation ecclésiale, la création de couvents et la célébration des fêtes étaient strictement interdites. La plupart des revendications qu'on pourrait appeler tâborites se retrouvaient donc dans ces groupes.
En 1457, un autre groupe de croyants qui se faisaient appeler les « Frères de la loi du Christ » ou plus brièvement les « Frères (228) «vint rejoindre ces communautés vivant presque illégalement dans les campagnes tchèques et mo-raves. Les romains et les calixtins ne respectèrent pas longtemps cette appellation et considérèrent bientôt les « Frères » comme des hérétiques ; ils les appelaient « picards », ce qui rappelait les chiliastes tâborites et annonçait déjà une malédiction et une condamnation.
La structure sociale des premiers groupes de l'Unité des Frères est tout à fait homogène : ce sont des serfs, de petits artisans et des miséreux. Le frère Grégoire lui-même, considéré comme le fondateur de l'Unité, travaille comme tailleur et adopte la pauvreté, bien qu'il soit d'origine noble. Sur le plan idéologique, les Frères s'appuient sur les éléments radicaux des sermons de Rokycana (frère Grégoire était apparenté avec lui), renouent avec l'esprit des Tâborites, avec l'hérésie vaudoise populaire et adoptent les idées fondamentales de Chelcicky. Dans son sillage, ils font du Nouveau Testament la ligne directrice de leur vie et refusent le monde ainsi que le pouvoir séculier. L'opuscule du frère Grégoire intitulé « Sur le pouvoir séculier ou sur le pouvoir du glaive » est presque une paraphrase textuelle du traité « Sur les trois groupes sociaux (229) » de Chelcicky. On ne peut concilier le pouvoir séculier avec les Évangiles et avec la loi de la grâce. Les Frères ne doivent jamais faire appel à l'aide du roi ou des autorités, ni demander leur protection ; il est inadmissible de prêter serment aux autorités, d'exercer une charge et de se faire enrôler dans l'armée. Donc les riches et les nobles ne peuvent devenir membres de la communauté des Frères.
A ses débuts, l'Unité des Frères était donc dirigée contre la société féodale et se situait en dehors du monde, c'est-à-dire en dehors du système social contemporain. Aussi bien en 1457 (date qui est considérée comme l'année de la fondation de l'Unité des Frères) le frère Grégoire et ses fidèles quittèrent-ils Prague et se réfugièrent à la campagne, en Bohême orientale, dans le village de Kunvald. Dans ce nouveau foyer, se développait une activité prédicatrice intense des laïcs, car ce groupe de Frères n'avait pas encore de prêtres dans son sein. En 1467 eurent lieu une élection et (avec l'aide des Vaudois), une ordination des prêtres. L'origine sociale des trois premiers prêtres élus indique encore quelles couches sociales se rassemblaient autour du petit noyau : L'un était paysan, l'autre meunier et le troisième tailleur. L'élection des prêtres n'est pas seulement un tournant décisif dans l'évolution de l'Unité, mais aussi une date importante dans l'histoire de la Réforme tchèque : pour la première fois, une communauté hussite ose rompre tous les liens avec Rome et se sépare aussi bien de l'Église romaine que de l'Église calixtine. Il est vrai qu'en 1420 à Tâbor, les chiliastes élurent leurs prêtres, leurs « seniores » et l'évêque ; mais c'étaient pour la plupart des prêtres déjà ordonnés auparavant. En 1467, les Frères élisent parmi eux des laïcs qu'ils instituent eux-mêmes prêtres (230). L'évêque vaudois qui garantit la continuité depuis l'Unité des Frères jusqu'à l'Église du Christ primitive doit assurer les rapports avec l'Église apostolique.
Les premiers prêtres commencent à s'occuper de l'organisation de l'Unité et mettent sur pied la première profession de foi (231). Les Frères s'y expriment d'une façon extrêmement critique envers l'Église romaine. Ils refusent les richesses de l'Église et les sacrements, mais conservent la confession publique et instaurent l'aide à leurs prêtres pauvres. Les principes fondamentaux des fidèles groupés autour des premières « communes » (c'est ainsi qu'ils appellent leurs simples temples) sont l'amour fraternel, une vie humble et patiente et l'obéissance aux autorités,
uniquement en ce qui n'est pas contraire à l'enseignement du Christ. Ils rejettent encore explicitement le serment et l'exercice de fonctions officielles par les Frères. Les Frères se réclament avec amour de la mémoire de Martin Hûska et des autres « martyrs » chiliastes. L'Unité n'a pas non plus échappé aux phénomènes qui accompagnent la transformation progressive d'une secte en Église ; en outre les changements sociaux survenus en Bohême se reflètent également dans l'Unité. La communauté des Frères survécut à la persécution grâce surtout à l'atmosphère empreinte de tolérance religieuse définie ci-dessus (232) ; mais elle n'aurait pas survécu à ses dissensions internes qui surgirent vers la fin du xve siècle. Les premiers gentilshommes et bourgeois, inquiétés par l'esprit conservateur de l'Église calixtine et alarmés par l'agressivité de l'oligarchie seigneuriale, adhérèrent à l'Unité. Mais, selon les principes de Chel-cick^, il n'y avait pas de place pour « le monde » dans la communauté des « Frères de la loi du Christ ». Une divergence entre l'idéal et la réalité se reproduisit. Ce qui avait été possible pour un petit groupe s'avéra absolument impossible pour une Église en pleine croissance. Chaque jour, les prêtres et les « seniores » de l'Unité devaient répondre à la question de l'attitude à adopter vis-à-vis des autorités, des tribunaux et des mandats lancés par les magistrats et le roi.
Les théologiens de l'Unité formulèrent peu à peu une thèse distinguant les choses essentielles et secondaires pour le salut de l'homme. Deux groupes s'opposaient : les uns cherchaient la sûreté du salut dans les actes, dans une stricte et totale imitation du Christ ; les autres se fondaient sur saint Paul et insistaient sur la foi dans le salut grâce aux mérites du Christ. Ce second courant qui contient déjà nettement l'essentiel de la piété luthérienne et réformatrice postérieure (233), était plus proche des réalités, car il permettait les compromis que le croyant est obligé d'adopter dans l'État, et faisait confiance à la foi en la grâce de Dieu qui sauvera les élus. Cette grâce de Dieu, les mérites de Jésus-Christ, la foi, l'amour et l'espoir représentent les prémisses essentielles du salut, tandis que les Écritures, l'Église, les sacrements, les ordres et les rites ne sont que les prémisses secondaires et auxiliaires. Ainsi par la discussion sur le salut et sur les choses essentielles et auxiliaires, la théologie des Frères s'adaptait à la situation sociale dans laquelle ils se trouvaient. La lutte sur la future orientation de l'Église des Frères se poursuivit au cours de plusieurs synodes et fut caractérisée comme un duel entre vieux et jeunes. Les vieux s'en tenaient fidèlement aux principes originaux d'une pauvreté absolue à l'écart du monde, tandis que les jeunes défendaient le droit de vivre dans la société, d'observer les règles essentielles et de réformer les aspects auxiliaires. Les disputes théologiques étaient accompagnées de discussions pour savoir si les membres de l'Unité pouvaient remplir les fonctions d'échevins, si le commerce et les affaires étaient une occupation conforme à l'enseignement du Christ. En 1496-1497, les querelles intérieures au sein de l'Unité se terminèrent par la victoire des jeunes et par une scission au sein de la communauté. « Le parti mineur » — ceux qui étaient restés en minorité et avaient perdu — refusa de reconnaître les changements réalisés dans l'enseignement de l'Unité et commença à vivre séparé comme un nouveau et petit groupe de croyants. « Le parti majeur » victorieux se mit ensuite à transformer énergiquement l'Unité en une Église protestante. A partir de 1500, l'Unité eut à sa tête quatre évêques qui assuraient une organisation minutieuse des croyants. L'Unité rédigea un bref résumé de sa foi, un catéchisme (1501-1502) et imprima son premier recueil de chants (1501), car le chant fut toujours un élément liturgique important de cette Église hussite.
Très tôt, les Frères commencèrent à nouer des contacts internationaux et cherchèrent des amis, des alliés et de nouveaux membres pour leur communauté. Les premiers rapports furent établis avec les vaudois. L'ordination des prêtres de l'Unité ainsi que la première tentative des vaudois allemands pour s'établir en Moravie montrent la profondeur de ces liens. Les Tâborites avaient déjà été en relations avec eux par l'intermédiaire de M. Hagen. En 1480, des groupes de paysans vaudois arrivèrent en Brandebourg et dans le voisinage des villes de Fulnek et Lanskroun (en Moravie), et s'établirent dans les villages où ils pouvaient mener une vie religieuse conforme aux principes des Frères (234), sous la protection de la noblesse calixtine. Cependant, Mathias, roi de Hongrie, nouveau maître de la Moravie, persécutait les calixtins et d'autres hérétiques ; aussi les Frères se réfugièrent dans les pays voisins, notamment en Moldavie sous la protection du duc Etienne le Grand. Faisant de l'Église l'assemblée des élus de Dieu dispersés dans le monde, surmontant mal les divergences intérieures, les Frères dirigeants firent des recherches dans les institutions chrétiennes apparentées pour voir comment elles résolvaient les problèmes d'ordre ecclésiologique et dogmatique. Quatre délégués de l'Unité quittèrent la Bohême en 1491 pour faire l'enquête (235) à Constantinople, en Russie, en Asie Mineure, en Palestine et en Egypte. Ils examinèrent aussi la possibilité d'entrer en contact avec les communautés chrétiennes qui confessaient l'Évangile. Mais cette tentative remarquable pour établir une coopération internationale autour de la Réforme tchèque populaire resta infructueuse. Les Frères ne trouvèrent nulle part des communautés religieuses tout à fait semblables ; ni une réponse satisfaisante au problème de l'attitude que la communauté religieuse devait adopter en face du monde et de la société. En 1498, en Italie, la délégation des Frères qui étudiait la vie des communautés vaudoises constata que les anciens « pauvres de Lyon » eux-mêmes ne vivaient pas à l'écart de la société, et que « c'étaient des gens riches qui aimaient le monde (236) ». Pendant ce voyage en Italie, les Frères virent aussi « le marché des simo-niaques » à Rome et entrèrent en relations culturelles plus étroites avec les communautés vaudoises du Nord de l'Italie. C'est probablement à ce moment que commence à se manifester l'intérêt des vaudois (237) pour la traduction des écrits de l'Unité des Frères, ceux de Lucas, chef delà délégation. L'Unité finalement renoua avec fruit l'intense coopération des Tâborites avec les Vaudois (238) et la poursuivit systématiquement
Lucas de Prague est une grande personnalité de la Réforme tchèque et le plus grand théologien de l'Unité des Frères naissante (239) ; il est le fondateur de son programme religieux : environ cent cinquante traités théologiques signés par lui visent à établir le nouveau système ecclésiastique dans lequel l'Unité devrait vivre. Parmi les autorités dont il se réclame, à côté de Hus, Wycliff, les Tâborites, Chelcicky', les Pères primitifs figure aussi F. Pétrarque (240) qu'il range parmi les voix qui avaient demandé une réforme de l'Église et devancé l'Unité des Frères. D'après Lucas de Prague, l'Unité était née pour renouveler l'Église, pour le salut du monde ; ils éliminent de l'Eglise romaine tout ce qui est faux et ressuscitent les bons principes anciens de l'Église primitive du Christ. Sur le plan ecclésiologique, Lucas mène à bon terme les efforts de Hus (241). Dans l'esprit de la distinction entre l'essentiel et l'auxiliaire pour le salut, il sépare l'Église essentielle et l'Église servante. L'Église essentielle est constituée par l'assemblée de tous les élus du Christ, et ceux-ci sont opposés à l'Église du diable. L'Église servante qui vit ici-bas doit amener les fidèles au sein de l'Église essentielle ; mais elle n'est pas un but en soi et ne peut ni sauver l'homme, ni remplacer la puissance de la foi, prémice fondamentale du salut. Lucas va donc plus loin que Hus et soumet le principe de l'Église au principe de la foi ; il peut ainsi parvenir à l'œcuménisme. Aucune Église de ce monde ne peut prétendre être unique, universelle, catholique, car elle n'a qu'une importance secondaire pour le salut de l'âme humaine. Nombre de personnages et de mouvements religieux précédant l'Unité avaient fait des efforts pour réformer l'Église ; dans l'avenir, l'Église doit être « semper reformanda ». Ainsi, dès le début du xvie siècle, l'Unité des Frères se range parmi les Églises réformées qui s'appliquent à effectuer une réforme permanente dans leur sein (242).
La théologie de Lucas de Prague fit de l'Unité des Frères une Église ouverte même aux nobles et aux riches bourgeois et la rendit capable de participer à la vie publique. Le processus au cours duquel le groupe religieux se transforma en secte puis en Église trouva là son point d'aboutissement et la Réforme populaire prit une nouvelle forme dans l'Unité des Frères. Dès le commencement du xvie siècle, des gentilshommes adhèrent individuellement à l'Unité et offrent à leurs coreligionnaires protection et refuge. En même temps, l'Unité manifesta sa loyauté envers le pouvoir d'État (dans les lettres adressées au roi Ladislas), les villes et les offices d'échevins ; et elle abandonna peu à peu son antipathie primitive pour le savoir et l'instruction, permit à ses membres de se nourrir par le commerce, de travailler pour les autorités, d'acquitter les redevances seigneuriales et même de faire le service militaire sur l'ordre des autorités. Aux yeux des Frères, tout ceci était secondaire, car le salut était réservé aux âmes qui croyaient et qui, avec la foi, conservaient l'espoir et l'amour. L'Unité des Frères se soumit ainsi au système féodal et cessa d'être une organisation maintenant les traditions révolutionnaires hussites. Aussi vit-on disparaître graduellement les chiliastes tâbo-rites de la liste des autorités dont les Frères se réclamaient, et l'influence de Pierre Chelcicky diminua à son tour. Sur le plan idéologique, l'Unité des Frères tendit bientôt à la coopération avec Luther et Zwingli, avec lesquels Lucas de Prague et d'autres théologiens de l'Unité étaient entrés en relations (243). L'Unité des Frères liée aux néo-utra-quistes voulait se débarrasser des éléments radicaux et elle revêtait le caractère d'une Église réformée continuant à entretenir des relations amicales avec les adhérents de la Réforme radicale, notamment les anabaptistes (244). Le rapprochement des Frères avec le monde fit qu'au xvie siècle, les gentilshommes et les bourgeois, membres de l'Unité, devinrent une force politique et culturelle importante dans le royaume de Bohême. Pourtant la recherche systématique des réformes et le développement d'une tradition ecclésiastique indépendante exposa l'Unité aux persécutions. Ladislas II avait déjà lancé plusieurs mandats contre les Frères ; mais surtout Ferdinand 1er prit des mesures sévères contre eux après la défaite de la révolte des états ; il fit interdire leurs assemblées obligeant ainsi les membres de l'Unité à émigrer en grand nombre, surtout en Pologne où une branche, indépendante des Frères polonais (245) se développa.
L'Unité des Frères continuait à vivre en dehors de la loi, car elle était continuellement suspecte de mener une politique d'opposition. La pression exercée par Rome sur les Habsbourg obligea l'empereur Maximilien et Rodolphe à ne reconnaître que l'activité de deux Églises en Bohême (calixtine et romaine) et à interdire l'activité de la troisième. Pour cette raison, dans la seconde moitié du xvie siècle, s'établit une jonction des utraquistes avec l'Unité qui trouve son point d'accomplissement dans la préparation de la Confession tchèque (1575) (246). La Confession tchèque est une modification de la profession de foi d'Augsbourg et une synthèse des traditions hussites (les Quatre Articles), de la profession de foi de l'Unité et du luthéranisme. La Confession tchèque fut adoptée à la Diète du pays et l'empereur Maximilien II s'engagea oralement à la respecter. Ce fut seulement l'empereur Rodolphe II qui la déclara loi du pays par ses Lettres de Majesté en 1609. Dans la lutte pour la rédaction de ce document, la tolérance religieuse des romains, calixtins et Frères fit encore ses preuves ; les principes de paix religieuse adoptés à Kutnâ Hora en 1485, s'y retrouvent notamment l'interdiction faite aux autorités de contraindre le peuple à adopter une confession religieuse ; au contraire, le document réclame la liberté religieuse pour tous ceux qui étaient partisans de la Confession tchèque.
L'Unité des Frères survécut ainsi à toutes les attaques et eut sa part dans les libertés religieuses que la Bohême et la Moravie assuraient mieux que tout autre pays européen. Dans le domaine culturel, les membres de l'Unité des Frères jouèrent un rôle important avec le développement de l'imprimerie et de la littérature tchèque. La genèse de la grammaire tchèque et les efforts pour élever la culture tchèque sont liés au nom de Jean Blahoslav (247) qui fut chef île l'Unité dans la première moitié du xvie siècle. Au xvne siècle, la personne de Jean Comenius, dernier évêque de, l'Unité, pédagogue et philosophe de renommée mondiale, en représente un autre sommet. Avec lui, la Réforme tchèque quitte les sommets qu'elle avait atteints, dans les horreurs de, la guerre de Trente ans et de la Contre-Réforme. L'éternel émigrant Comenius personnifie symboliquement la fin Lragique de la Réforme tchèque écrasée et étouffée par la Contre-Réforme victorieuse des Habsbourg.