*** w03 15/12 Ils ont recherché la route resserrée ***
Ils ont recherché la route resserrée
IL Y A près de 550 ans, de petits groupes de personnes qui se réclamaient du christianisme et qui vivaient à Prague, à Chelčice, à Vilémov, à Klatovy et dans d’autres villes de ce qui est aujourd’hui la République tchèque, sont parties de chez elles. Elles se sont installées près du village de Kunwald, dans une vallée du nord-est de la Bohême, où elles ont construit des habitations, cultivé la terre, lu la Bible et pris le nom d’Unité des Frères, Unitas Fratrum en latin.
Ces émigrants étaient issus de toutes les couches sociales : c’étaient des paysans, des nobles, des étudiants, des riches et des pauvres, des hommes et des femmes, des veuves et des orphelins. Ils avaient un désir commun : “ Nous nous sommes tournés vers Dieu au moyen de la prière, ont-ils écrit, et nous l’avons supplié de nous révéler sa gracieuse volonté en toutes choses. Nous voulions marcher dans ses voies. ” En somme, cette Unité des Frères (ou Frères tchèques, comme on a appelé par la suite cette communauté de croyants) recherchait ‘ la route resserrée qui mène à la vie ’. (Matthieu 7:13, 14.) Quelles vérités bibliques ces hommes ont-ils découvertes ? Quelle était la différence entre leurs croyances et celles de leur époque, et qu’ont-ils à nous apprendre ?
Pas de violence, pas de compromis
Au milieu du XVe siècle, plusieurs mouvements religieux ont contribué à la formation de l’Unité des Frères. L’un d’eux était le mouvement vaudois, qui remontait au XIIe siècle. Au départ, les vaudois s’étaient retirés du catholicisme, la religion d’État en Europe centrale, mais ils avaient repris ensuite une partie des enseignements catholiques. Un autre groupe avait joué son rôle : les hussites, les disciples de Jan Hus. Leur religion avait gagné la majeure partie de la population tchèque, mais ils étaient loin d’être unis. Une faction défendait les causes sociales, tandis qu’une autre se servait de la religion à des fins politiques. Les Frères ont également été influencés par les groupes chiliastes ainsi que par des biblistes de leur pays et de l’étranger.
Petr Chelčický (vers 1390-vers 1460), bibliste et réformateur tchèque, connaissait bien les enseignements des vaudois et des hussites. Il a rejeté les hussites en raison du tour violent que leur mouvement avait pris et il s’est détourné des vaudois parce qu’ils faisaient des compromissions. Il a condamné la guerre, qu’il jugeait incompatible avec le christianisme. Il a estimé que “ la loi du Christ ” devait guider le chrétien, quelles qu’en soient les conséquences (Galates 6:2 ; Matthieu 22:37-39). En 1440, Petr Chelčický a mis ses enseignements par écrit dans Le filet de la foi.
Grégoire de Prague, un jeune contemporain de Petr Chelčický, s’est tellement enthousiasmé pour les enseignements de ce dernier qu’il a quitté le mouvement hussite. En 1458, il a persuadé de petits groupes d’anciens hussites de diverses régions de la Tchéquie de partir de chez eux. Ils étaient parmi ceux qui l’ont suivi à Kunwald, où ils ont fondé une communauté religieuse. Par la suite, des groupes de vaudois tchèques et allemands les ont rejoints.
Une fenêtre sur le passé
Entre 1464 et 1467, ce groupe récent, mais de plus en plus important, a tenu plusieurs synodes dans la région de Kunwald et a pris des résolutions qui définissaient leur nouveau mouvement religieux. Toutes ces résolutions ont été scrupuleusement couchées par écrit dans une série de livres intitulée aujourd’hui Acta Unitatis Fratrum (Actes de l’Unité des Frères) et qui existe toujours. Ces Acta constituent une fenêtre sur le passé : ils donnent une image vivante de ce que les Frères croyaient. Leurs livres contiennent des lettres, des discours et même des détails sur leurs débats.
On lit dans les Acta, à propos des croyances des Frères : “ Nous sommes déterminés à établir notre administration uniquement par la lecture et par l’exemple de notre Seigneur et des saints apôtres, dans le silence, l’humilité et la patience, en aimant nos ennemis, en leur faisant et en leur souhaitant du bien, et en priant pour eux. ” Leurs écrits montrent par ailleurs qu’à l’origine les Frères prêchaient. Ils voyageaient deux par deux, tandis que les femmes étaient localement des missionnaires efficaces. Les Frères refusaient les charges politiques, ne prêtaient pas serment, n’exerçaient aucune activité militaire et ne prenaient pas les armes.
De l’unité à la désunion
Cependant, au bout de quelques décennies, l’Unité des Frères n’a plus été à la hauteur de son nom. Les Frères se sont divisés à la suite de débats au sujet de l’application avec laquelle ils devaient pratiquer leurs croyances. En 1494, ils se sont scindés en deux groupes : le parti majeur et le parti mineur. Le parti majeur a assoupli ses croyances initiales, alors que le parti mineur prêchait que les Frères devaient rester fermement attachés à leur position contre la politique et le monde. — Voir l’encadré “ Que sait-on du parti majeur ? ”
Un membre du parti mineur a écrit par exemple : “ Les gens qui marchent sur deux routes ont peu de garanties qu’ils resteront avec Dieu, car ce n’est que rarement et dans de petites choses qu’ils sont disposés à se sacrifier et à se soumettre à lui, et dans les grandes choses ils font ce qui leur plaît. [...] C’est parmi ceux qui ont l’esprit ferme et une bonne conscience, qui suivent jour après jour le Seigneur Christ sur la route resserrée avec leur croix, que nous voulons être comptés. ”
Des membres du parti mineur considéraient l’esprit saint comme la force agissante de Dieu, son “ doigt ”. Pour eux, la rançon était le prix que Jésus, homme parfait, avait payé avec sa vie humaine, en échange de ce que le pécheur Adam avait perdu. Ils ne vénéraient pas Marie, la mère de Jésus. Ils avaient rétabli la doctrine de la prêtrise pour tous les croyants, sans vœu de célibat. Ils avaient encouragé tous les membres de la congrégation à prêcher publiquement et ils expulsaient les pécheurs qui ne se repentaient pas. Ils se tenaient strictement à l’écart des activités militaires et politiques (voir l’encadré “ Les croyances des Frères du parti mineur ”). Comme il adhérait aux résolutions renfermées dans les Acta, le parti mineur se considérait comme l’héritier véritable de l’Unité des Frères originelle.
Décriés et persécutés
Le parti mineur ne se gênait pas pour critiquer les autres religions, y compris le parti majeur. “ Vous enseignez qu’il faut baptiser les petits enfants qui n’ont pas leur propre foi, a-t-il écrit, et en cela vous suivez ce qu’a institué un évêque appelé Dionysius, qui a encouragé le baptême des nouveau-nés à l’instigation d’insensés [...]. Presque tous les enseignants et les docteurs font de même, Luther, Melanchthon, Bucer, Korvín, Jiles, Bullinger, [...] le parti majeur, qui tous trafiquent ensemble. ”
Il n’est pas surprenant que le parti mineur ait été persécuté. En 1524, un de ses dirigeants, Jan Kalenec, a été flagellé et torturé au moyen du feu. Plus tard, trois membres du parti mineur sont morts sur le bûcher. Le parti mineur semble s’être éteint vers 1550, à la mort de ses derniers dirigeants. Ensuite, il a disparu des documents historiques.
Quoi qu’il en soit, les croyants du parti mineur ont marqué de leur empreinte le paysage religieux de l’Europe médiévale. Certes, puisque “ la vraie connaissance ” n’était pas encore devenue abondante à leur époque, ils n’ont pas réussi à dissiper les ténèbres spirituelles qui régnaient depuis longtemps (Daniel 12:4). Néanmoins, leur vif désir de rechercher la route resserrée et de la suivre, malgré l’opposition, mérite le respect des chrétiens d’aujourd’hui.
[Entrefilet, page 13]
Cinquante des 60 livres bohémiens (tchèques) publiés entre 1500 et 1510 l’auraient été par des membres de l’Unité des Frères.
[Encadré, page 11]
Que sait-on du parti majeur ?
Qu’est devenu le parti majeur ? Après la disparition du parti mineur, le parti majeur est demeuré un mouvement religieux, qu’on appelle toujours l’Unité des Frères. Avec le temps, ce groupe a modifié ses croyances initiales. À la fin du XVIe siècle, l’Unité des Frères a formé une confédération avec les utraquistes tchèques, qui étaient globalement luthériens. Les Frères ont toutefois continué de traduire et de publier la Bible ainsi que d’autres ouvrages religieux. Détail intéressant, sur les pages de titre de leurs premières publications apparaissait le Tétragramme (les quatre lettres hébraïques qui composent le nom de Dieu).
En 1620, le royaume tchèque a été ramené de force au catholicisme. De nombreux Frères du parti majeur ont alors quitté le pays et ont poursuivi leurs activités ailleurs. Leur groupe a pris par la suite le nom d’Église morave