Un monument aux victimes de la Shoah controversé à Amsterdam
Des riverains ont mené une bataille juridique pendant treize ans pour tenter d’annuler le projet, au motif d’un risque important d’afflux de touristes. La justice leur a donné tort, estimant le projet plus important que leurs plaintes, et a autorisé le chantier, qui doit s’achever en 2020.
- Sabine Cessou (à Bruxelles),
- le 24/07/2019 à 10:37
Maquette de l’Holocaust Namenmonument Nederland. REMKO DE WAAL/EPA/MAXPPPIl aura fallu treize années de bataille juridique pour qu’un monument sur lequel sont inscrits les noms des 102 000 victimes néerlandaises de la Shoah soit autorisé sur Weesperstraat, une artère passante de l’ancien quartier juif d’Amsterdam. Ce labyrinthe de briques et d’acier poli devrait être terminé en 2020 dans le quartier résidentiel de Plantage, à l’Est de la gare centrale. Vu du ciel, il forme les lettres du mot hébreu signifiant « in memoriam ».
Les riverains ont protesté en justice contre le projet, pourtant autorisé en 2016 par la municipalité. Ils anticipent les nuisances liées à sa fréquentation, dans une ville devenue allergique au tourisme de masse. Plus de 18 millions de personnes visitent en effet la capitale économique des Pays-Bas chaque année, soit plus que la population totale du pays.
Un projet architectural signé Daniel Libeskind
La justice a toutefois donné tort, le 9 juillet, aux habitants. Elle estime en effet le projet « plus important » que leurs plaintes. Face à des objections sur la sécurité routière et la largeur du trottoir, l’argument moral des avocats du Comité national d’Auschwitz (NAC) semble avoir porté. Ces derniers estimaient que le monument donnait « une interprétation historique à l’une des pages les plus noires de notre histoire ».
Dessiné par le studio de l’architecte américain Daniel Libeskind – qui a réalisé le Musée juif de Berlin –, le nouvel « Holocaust Namenmonument » s’ajoutera à la liste déjà fournie des sites incontournables de la ville. Un Musée historique juif et un Musée national de l’Holocauste existent déjà dans le même quartier. Mais ils ne sont pas les plus fréquentés : pas moins de 1,2 million de touristes font la queue chaque année devant la maison d’Anne Frank, dans le Jordaan.
Les pages cachées du journal d’Anne Frank
Le NAC n’a pas lâché prise face à l’adversité. « C’est important pour tous les proches des victimes, et un avertissement important pour les générations à venir », indique Jacques Grishaver, son président. À l’origine, le monument devait être érigé dans le parc Wertheim, situé en bordure de l’ancien quartier juif, où se trouve également le monument d’Auschwitz de Jan Wolkers. Face à la levée de boucliers des riverains et de la veuve de Wolkers elle-même, le maire avait annulé ce plan en 2014.
24 arbres abattus, 55 replantés
Un processus public de sélection du site a ensuite été mené à bien, pendant près d’un an, reportant le choix sur Weesperstraat. Toutes les procédures ont été conduites dans les règles, avec l’octroi d’un permis environnemental et l’aval d’un comité de « protection sociale », puis celui du conseil municipal, donné à deux reprises à l’unanimité. Pour compenser l’abattage de 24 arbres, 55 nouveaux arbres seront plantés dans les environs.
L’abattage d’arbres est très mal vu à Amsterdam, une ville qui tient à ses espaces verts. Parmi les opposants au monument figure ainsi la Fondation Groene Plantage (« Plantage vert »). Seule concession faite aux protestataires, qui estiment risqué d’ériger ces murs de 2 à 6 mètres de hauteur au-dessus de la station de métro de Weesperstraat : la municipalité se réserve le droit de faire « démolir le monument de manière temporaire ou permanente » en cas de sinistre sur le tunnel du métro.
Cette histoire qui a mené les parties rivales au tribunal administratif, avec un « sentiment de honte » selon le NAC, ne s’arrête peut-être pas là. Les riverains ont six semaines pour faire appel.