Islamophobie, la tension monte
DAVID MÉTREAU
CRÉÉ LE 16/08/2013 / MODIFIÉ LE 19/08/2013 À 19H03
L'actualité de ces derniers jours a été marquée par une succession d'actes anti-musulmans. Comment expliquer cette atmosphère ?
« Un climat d’islamophobie règne en France aujourd’hui, on ne peut pas se voiler la face » a déclaré Kamel Kabtane, recteur de la grande mosquée de Lyon. La veille, le dimanche 11 août, un militaire de 23 ans venait d'être écroué. Il avait prévu de tirer à l’arme à feu sur une mosquée d'un quartier populaire de Vénissieux en banlieue lyonnaise, selon le ministère de l’Intérieur. Deux jours plus tard, à Trappes dans les Yvelines, une jeune fille voilée de 16 ans a porté plainte, se disant victime d'une agression islamophobe par deux hommes qui lui auraient arraché son voile, menacée avec un cutter et insultée. Moins d'un mois avant, la ville s'embrasait après le contrôle de police d'une jeune femme portant le niqab, interdit par la loi dans l'espace public.
« Quand je regarde les faits, je vois une augmentation assez nette d'actes, islamophobes ou anti-musulmans, quelle que soit la terminologie, non seulement en région parisienne mais dans toute la France », constate M'hammed Henniche, secrétaire général de l'union des association musulmanes de Seine-Saint-Denis (UAM 93). « Chaque jour il se passe un acte de violence ou une dégradation, à Nanterre, à Trappes, en Gironde, etc. » Parmi les causes de ce malaise il pointe du doigt l'attitude de Manuel Valls, ministre de l'Intérieur, « qui a relancé un débat inutile sur le voile à l'université », la libération de l'expression raciste « qui se cache derrière un discours anti-musulmans. » Enfin selon lui, « la communauté musulmane n'est plus complexée comme avant. Aujourd'hui, la plupart des musulmans se sentent français. La deuxième ou troisième génération n'est plus comme celle de leurs parents ou grands-parents à raser les murs. Pourquoi doit-on être discret ? » Pour M'hammed Henniche, la solution à ce problème viendra de la société civile et non du politique avec la mise en place d'un maillage d'associations musulmanes.
À l'inverse pour le P. Christian Delorme, prêtre du diocèse de Lyon et engagé depuis plus de 40 ans dans le dialogue islamo-chrétien, les actes d'islamophobie augmentent à cause de l'affirmation de l'islam dans l'espace public. « N'importe qui peut constater l'allergie d'une grande part de la population à l'égard de l'islam et des musulmans qui ont des comportements trop ostentatoires. Une majorité de Français n'admet pas que la société a changé. Certains comportements religieux ne sont pas acceptés par tout le monde » estime-il. Selon lui, le mot islamophobie devrait désigner uniquement l'intolérance, le racisme et les agressions et non le fait de trouver désagréable l'islam ostentatoire. « Il ne faut oublier que dans l'histoire de France, la liberté a été associée à la privatisation de la religion. L'islam ostentatoire vient réveiller des cicatrices anciennes. » En revanche, il s'agit pour lui et d'être « très ferme » avec la diffusion d'idées mensongères sur l'islam et de traiter les musulmans comme les autres. « J'ai remarqué qu'il n'y a pas eu vraiment beaucoup de monde au rassemblement après le projet d'attaque de la mosquée de Vénissieux. Il y aurait surement eu plus de monde si ça avait été pour une synagogue, à cause de l'histoire. Tout le monde n'est pas égal dans l'image de la victime. »
Si Guylain Chevrier, historien et formateur en travail social, note également une visibilité accrue des symboles religieux comme le voile à l'université où il enseigne, le malaise vient du « communautarisme de certains musulmans et de leur refus de se mélanger à la communauté des citoyens ». Il propose un débat et un dialogue sur la place de l'islam en France « qui a une place dans la modernité et où le droit est au-dessus de la croyance ». Le mot islamophobie le dérange, car il permet de mettre ensemble des réalités complément différentes : « L'islamophobie, ce sont les actes anti-musulmans, le racisme, mais aussi le refus d'une religion ou d'une partie de ceux qui la pratiquent. C'est un mot qui peut être utilisé pour empêcher tout débat. » Pour autant, il ne nie pas les actes de racisme et de haine contre les musulmans : « Il faut tout mettre sur la table et ne pas relativiser, il y a un vrai problème avec l'islam militant et communautaire, l'islam du voile. Les peurs viennent de ce que nous ne disons pas. »
Nabil, 25 ans , musulman pratiquant, juge que l'ignorance et la méconnaissance de l'islam entrainent la haine. « Entre le débat sur l'identité nationale, le débat sur les minaret, le débat sur le halal, le débat sur voile, l’histoire des pains au chocolat et j'en passe, tout ce matraquage médiatique fait que la population commence à avoir pas mal de préjugés ». Les préjugés, Alaume Houdry les combat. L'association Coexister dont il est le secrétaire national, prône le dialogue interreligieux chez les jeunes qui peuvent apprendre à se parler « dans le respect des ressemblances et des différences ». Le jeune homme regrette que le gouvernement « tienne un double discours en condamnant les agressions mais en disant que le voile c'est mal, ce qui encourage les préjugés. » Un débat comme celui sur le voile à l'université étant caduque à ses yeux. « La notion de laïcité n'est pas prise du bon côté. Il s'agit d'effacer le religieux. On ne doit pas parler de religion. Ce qui n 'était pas le cas au début du XXe siècle. » La solution pour sortir de ce climat de tension et d'islamophobie ? « Le dialogue, tout simplement. Le dialogue, le respect et une meilleure compréhension de l'autre. »
DAVID MÉTREAU
CRÉÉ LE 16/08/2013 / MODIFIÉ LE 19/08/2013 À 19H03
L'actualité de ces derniers jours a été marquée par une succession d'actes anti-musulmans. Comment expliquer cette atmosphère ?
« Un climat d’islamophobie règne en France aujourd’hui, on ne peut pas se voiler la face » a déclaré Kamel Kabtane, recteur de la grande mosquée de Lyon. La veille, le dimanche 11 août, un militaire de 23 ans venait d'être écroué. Il avait prévu de tirer à l’arme à feu sur une mosquée d'un quartier populaire de Vénissieux en banlieue lyonnaise, selon le ministère de l’Intérieur. Deux jours plus tard, à Trappes dans les Yvelines, une jeune fille voilée de 16 ans a porté plainte, se disant victime d'une agression islamophobe par deux hommes qui lui auraient arraché son voile, menacée avec un cutter et insultée. Moins d'un mois avant, la ville s'embrasait après le contrôle de police d'une jeune femme portant le niqab, interdit par la loi dans l'espace public.
« Quand je regarde les faits, je vois une augmentation assez nette d'actes, islamophobes ou anti-musulmans, quelle que soit la terminologie, non seulement en région parisienne mais dans toute la France », constate M'hammed Henniche, secrétaire général de l'union des association musulmanes de Seine-Saint-Denis (UAM 93). « Chaque jour il se passe un acte de violence ou une dégradation, à Nanterre, à Trappes, en Gironde, etc. » Parmi les causes de ce malaise il pointe du doigt l'attitude de Manuel Valls, ministre de l'Intérieur, « qui a relancé un débat inutile sur le voile à l'université », la libération de l'expression raciste « qui se cache derrière un discours anti-musulmans. » Enfin selon lui, « la communauté musulmane n'est plus complexée comme avant. Aujourd'hui, la plupart des musulmans se sentent français. La deuxième ou troisième génération n'est plus comme celle de leurs parents ou grands-parents à raser les murs. Pourquoi doit-on être discret ? » Pour M'hammed Henniche, la solution à ce problème viendra de la société civile et non du politique avec la mise en place d'un maillage d'associations musulmanes.
À l'inverse pour le P. Christian Delorme, prêtre du diocèse de Lyon et engagé depuis plus de 40 ans dans le dialogue islamo-chrétien, les actes d'islamophobie augmentent à cause de l'affirmation de l'islam dans l'espace public. « N'importe qui peut constater l'allergie d'une grande part de la population à l'égard de l'islam et des musulmans qui ont des comportements trop ostentatoires. Une majorité de Français n'admet pas que la société a changé. Certains comportements religieux ne sont pas acceptés par tout le monde » estime-il. Selon lui, le mot islamophobie devrait désigner uniquement l'intolérance, le racisme et les agressions et non le fait de trouver désagréable l'islam ostentatoire. « Il ne faut oublier que dans l'histoire de France, la liberté a été associée à la privatisation de la religion. L'islam ostentatoire vient réveiller des cicatrices anciennes. » En revanche, il s'agit pour lui et d'être « très ferme » avec la diffusion d'idées mensongères sur l'islam et de traiter les musulmans comme les autres. « J'ai remarqué qu'il n'y a pas eu vraiment beaucoup de monde au rassemblement après le projet d'attaque de la mosquée de Vénissieux. Il y aurait surement eu plus de monde si ça avait été pour une synagogue, à cause de l'histoire. Tout le monde n'est pas égal dans l'image de la victime. »
Si Guylain Chevrier, historien et formateur en travail social, note également une visibilité accrue des symboles religieux comme le voile à l'université où il enseigne, le malaise vient du « communautarisme de certains musulmans et de leur refus de se mélanger à la communauté des citoyens ». Il propose un débat et un dialogue sur la place de l'islam en France « qui a une place dans la modernité et où le droit est au-dessus de la croyance ». Le mot islamophobie le dérange, car il permet de mettre ensemble des réalités complément différentes : « L'islamophobie, ce sont les actes anti-musulmans, le racisme, mais aussi le refus d'une religion ou d'une partie de ceux qui la pratiquent. C'est un mot qui peut être utilisé pour empêcher tout débat. » Pour autant, il ne nie pas les actes de racisme et de haine contre les musulmans : « Il faut tout mettre sur la table et ne pas relativiser, il y a un vrai problème avec l'islam militant et communautaire, l'islam du voile. Les peurs viennent de ce que nous ne disons pas. »
Nabil, 25 ans , musulman pratiquant, juge que l'ignorance et la méconnaissance de l'islam entrainent la haine. « Entre le débat sur l'identité nationale, le débat sur les minaret, le débat sur le halal, le débat sur voile, l’histoire des pains au chocolat et j'en passe, tout ce matraquage médiatique fait que la population commence à avoir pas mal de préjugés ». Les préjugés, Alaume Houdry les combat. L'association Coexister dont il est le secrétaire national, prône le dialogue interreligieux chez les jeunes qui peuvent apprendre à se parler « dans le respect des ressemblances et des différences ». Le jeune homme regrette que le gouvernement « tienne un double discours en condamnant les agressions mais en disant que le voile c'est mal, ce qui encourage les préjugés. » Un débat comme celui sur le voile à l'université étant caduque à ses yeux. « La notion de laïcité n'est pas prise du bon côté. Il s'agit d'effacer le religieux. On ne doit pas parler de religion. Ce qui n 'était pas le cas au début du XXe siècle. » La solution pour sortir de ce climat de tension et d'islamophobie ? « Le dialogue, tout simplement. Le dialogue, le respect et une meilleure compréhension de l'autre. »