Les "simples tests sanguins" de la trisomie : un progrès?
JOSÉPHINE BATAILLE
CRÉÉ LE 25/04/2013 / MODIFIÉ LE 26/04/2013 À 16H35
Le CCNE a validé l'usage de tests permettant un dépistage sans risque de la trisomie 21, et en appelle à un changement culturel qui prépare la société à appréhender avec justesse l'usage des tests génétiques.
Le comité consultatif national d'éthique (CCNE) a rendu ce matin un avis (n°120) positif sur l'utilisation de tests génétiques qui permettent de détecter la trisomie 21 d'un fœtus à partir d'une simple prise de sang de la mère.
Un coup de tonnerre dans le ciel du dépistage anté-natal. Car la forme que prend le dépistage de la trisomie en France reste une exception par rapport à celui des autres maladies, comme l'a souligné le président du CCNE, Jean-Claude Ameisen. D'une part, parce que ce dépistage est proposé à toutes les femmes enceintes — 800 000 femmes chaque année — et non pas à celles qui présentent des « signes d'appel » (précédents familiaux etc), comme c'est le cas pour les autres maladies génétiques. D'autre part, parce qu'il concerne une maladie dont la gravité est discutable et abondamment discutée, mais qui est visée spécifiquement par la loi. Un fait unique, car en France, les maladies graves pouvant impliquer un test génétique et une interruption médicale de grossesse ne sont pas, et à dessein, listées par le législateur.
Saisi de cette question par la Direction générale de la santé mais aussi par le Collège national des gynécologues-obstétriciens français, et par l'entreprise Cerba, désireuse de développer dans l'Hexagone des tests déjà utilisés en Allemagne ou en Autriche, le CCNE n'a pas voulu rentrer dans le débat sur le bien-fondé du dépistage de la trisomie, mais se situer dans le cadre existant pour juger uniquement si l'usage de ces nouveaux tests sanguins poserait un problème éthique.
Et à cet égard sa réponse est extrêmement claire : en évitant de recourir à l'amniocentèse, génératrice de fausse couche et de complications, les tests sanguins constituent un « progrès ». « On réalise un prélèvement chez 24 000 femmes dont le fœtus présente des risques d'être atteints d'après les premiers examens. A 90 % des cas, le résultat est négatif. On pourrait éviter à 22 000 femmes de subir un test invasif qui n'est pas nécessaire. C'est un bénéfice. »
« On peut s'interroger sur l'objectif affiché de permettre aux parents de choisir de ne pas donner naissance aux enfants trisomiques », reconnaît la généticienne Dominique Stoppa-Lyonnet, rapporteur de l'avis, mais l'arrivée de ces nouveaux tests qui « perfectionnent » le dépistage de la trisomie ne change pas la nature de ce dépistage : elle met plutôt à jour sa logique, jusqu'à présent limitée uniquement par des questions techniques.
Les associations qui défendent la recherche sur la trisomie 21 et l'intégration du handicap dans la société n'ont pas caché leur colère à voir éludée la question de fond sur le principe même du dépistage.
Ainsi de la Fondation Lejeune, qui juge que « cet avis a manqué l’occasion de repenser collectivement le bien-fondé d’un système qui conduit, pour raison médicale, à l’éradication de la quasi-totalité d’une population ». L'association dénonce aussi « un texte qui valorise la vie d’un enfant sain (épargné grâce au test non invasif) plus que celle d’un enfant trisomique (inévitablement éliminé) ».
Mais le CCNE a voulu ne pas faire des tests sur la trisomie le cœur de son avis. Il était saisi, plus généralement, sur les possibilités futures de séquencer complètement le génome d'un fœtus. «
Cela pose la question de la médecine prédictive, de l'interprétation du génome, et de l'idée qu'on se fait du déterminisme génétique, comme si on pouvait lire l'avenir d'un foetus », souligne Jean-Claude Ameisen. Pour les membres du groupe de travail, l'urgence est donc de préparer la société à des interrogations d'une telle ampleur et d'en poser les termes.
« On ne peut plus se cacher derrière des impossibilités techniques pour éviter une réflexion éthique et sociétale sur la génétique humaine», insiste le généticien Patrick Gaudray, second rapporteur. « Nous sommes projetés dans un avenir qu'il est impossible de préciser étant donné le rythme des progrès techniques des dernières années. Notre avis est prospectif et délibérément ouvert. Il pose des questions plus qu'il n'apporte de réponses. »
D'après le CCNE, le défi qui se présente à nous ne pourra être relevé qu'à partir d'un profond changement culturel. Il faudra une véritable appropriation de ce qu'est la génétique par la société, un développement qualitatif de la médecine qui usera de ces compétences génétiques, et enfin un changement sociétal relatif à la place du handicap. « Le CCNE insiste sur la nécessité d'une prise en charge des personnes porteuses d'un handicap ou atteintes d'une maladie, notamment chronique et ou évolutive. Au delà d'une dimension humaine prépondérante, cette prise en charge implique une dimension essentielle de recherche, à la fois biomédicale et en sciences humaines et sociales. »
JOSÉPHINE BATAILLE
CRÉÉ LE 25/04/2013 / MODIFIÉ LE 26/04/2013 À 16H35
Le CCNE a validé l'usage de tests permettant un dépistage sans risque de la trisomie 21, et en appelle à un changement culturel qui prépare la société à appréhender avec justesse l'usage des tests génétiques.
Le comité consultatif national d'éthique (CCNE) a rendu ce matin un avis (n°120) positif sur l'utilisation de tests génétiques qui permettent de détecter la trisomie 21 d'un fœtus à partir d'une simple prise de sang de la mère.
Un coup de tonnerre dans le ciel du dépistage anté-natal. Car la forme que prend le dépistage de la trisomie en France reste une exception par rapport à celui des autres maladies, comme l'a souligné le président du CCNE, Jean-Claude Ameisen. D'une part, parce que ce dépistage est proposé à toutes les femmes enceintes — 800 000 femmes chaque année — et non pas à celles qui présentent des « signes d'appel » (précédents familiaux etc), comme c'est le cas pour les autres maladies génétiques. D'autre part, parce qu'il concerne une maladie dont la gravité est discutable et abondamment discutée, mais qui est visée spécifiquement par la loi. Un fait unique, car en France, les maladies graves pouvant impliquer un test génétique et une interruption médicale de grossesse ne sont pas, et à dessein, listées par le législateur.
Saisi de cette question par la Direction générale de la santé mais aussi par le Collège national des gynécologues-obstétriciens français, et par l'entreprise Cerba, désireuse de développer dans l'Hexagone des tests déjà utilisés en Allemagne ou en Autriche, le CCNE n'a pas voulu rentrer dans le débat sur le bien-fondé du dépistage de la trisomie, mais se situer dans le cadre existant pour juger uniquement si l'usage de ces nouveaux tests sanguins poserait un problème éthique.
Et à cet égard sa réponse est extrêmement claire : en évitant de recourir à l'amniocentèse, génératrice de fausse couche et de complications, les tests sanguins constituent un « progrès ». « On réalise un prélèvement chez 24 000 femmes dont le fœtus présente des risques d'être atteints d'après les premiers examens. A 90 % des cas, le résultat est négatif. On pourrait éviter à 22 000 femmes de subir un test invasif qui n'est pas nécessaire. C'est un bénéfice. »
« On peut s'interroger sur l'objectif affiché de permettre aux parents de choisir de ne pas donner naissance aux enfants trisomiques », reconnaît la généticienne Dominique Stoppa-Lyonnet, rapporteur de l'avis, mais l'arrivée de ces nouveaux tests qui « perfectionnent » le dépistage de la trisomie ne change pas la nature de ce dépistage : elle met plutôt à jour sa logique, jusqu'à présent limitée uniquement par des questions techniques.
Les associations qui défendent la recherche sur la trisomie 21 et l'intégration du handicap dans la société n'ont pas caché leur colère à voir éludée la question de fond sur le principe même du dépistage.
Ainsi de la Fondation Lejeune, qui juge que « cet avis a manqué l’occasion de repenser collectivement le bien-fondé d’un système qui conduit, pour raison médicale, à l’éradication de la quasi-totalité d’une population ». L'association dénonce aussi « un texte qui valorise la vie d’un enfant sain (épargné grâce au test non invasif) plus que celle d’un enfant trisomique (inévitablement éliminé) ».
Mais le CCNE a voulu ne pas faire des tests sur la trisomie le cœur de son avis. Il était saisi, plus généralement, sur les possibilités futures de séquencer complètement le génome d'un fœtus. «
Cela pose la question de la médecine prédictive, de l'interprétation du génome, et de l'idée qu'on se fait du déterminisme génétique, comme si on pouvait lire l'avenir d'un foetus », souligne Jean-Claude Ameisen. Pour les membres du groupe de travail, l'urgence est donc de préparer la société à des interrogations d'une telle ampleur et d'en poser les termes.
« On ne peut plus se cacher derrière des impossibilités techniques pour éviter une réflexion éthique et sociétale sur la génétique humaine», insiste le généticien Patrick Gaudray, second rapporteur. « Nous sommes projetés dans un avenir qu'il est impossible de préciser étant donné le rythme des progrès techniques des dernières années. Notre avis est prospectif et délibérément ouvert. Il pose des questions plus qu'il n'apporte de réponses. »
D'après le CCNE, le défi qui se présente à nous ne pourra être relevé qu'à partir d'un profond changement culturel. Il faudra une véritable appropriation de ce qu'est la génétique par la société, un développement qualitatif de la médecine qui usera de ces compétences génétiques, et enfin un changement sociétal relatif à la place du handicap. « Le CCNE insiste sur la nécessité d'une prise en charge des personnes porteuses d'un handicap ou atteintes d'une maladie, notamment chronique et ou évolutive. Au delà d'une dimension humaine prépondérante, cette prise en charge implique une dimension essentielle de recherche, à la fois biomédicale et en sciences humaines et sociales. »