André Vingt-Trois : « Il se prépare une société de violence »
MARIE-LUCILE KUBACKI
CRÉÉ LE 16/04/2013 / MODIFIÉ LE 16/04/2013 À 15H10
C’est par un discours critique à l'égard du gouvernement sur le mariage pour tous et la laïcité qu’André Vingt-Trois, Président de la Conférence des évêques de France, a ouvert l’assemblée plénière des évêques qui se tient à Paris du 16 au 18 avril.
Le mariage pour tous
« La société a perdu sa capacité d’intégration et surtout sa capacité d’homogénéiser des différences dans un projet commun ». Ce matin, alors que s’ouvrait l’assemblée plénière des évêques de France, André Vingt-Trois, son président, par ailleurs archevêque de Paris, a tenu des propos très critiques à l’égard du projet de loi sur le mariage pour tous qui vient d’être adopté au Sénat. Selon lui, la loi « participe de ce phénomène (perte de la capacité d’intégration de la société, ndlr.) et va l’accentuer en le faisant porter sur le point le plus indiscutable de la différence qui est la différence sexuelle, et donc va provoquer (…) l’occultation de l’identité sexuelle comme réalité psychologique et la fermentation, la germination d’une revendication forte de la reconnaissance de la sexualité différenciée ». Son raisonnement est le suivant : « Si l’on fait disparaître les moyens d’identification de la différence dans les relations sociales, cela veut dire que, par un mécanisme psychologique que nous connaissons bien, on entraîne une frustration de l’expression personnelle, et que la compression de la frustration débouche un jour ou l’autre sur la violence pour faire reconnaître son identité particulière contre l’uniformité officielle. C’est ainsi que se prépare une société de violence ». Une mise en cause attendue de la loi, qui s’inscrivait, dans celle, plus générale et musclée du gouvernement. Il a ensuite estimé « qu’il eût été plus raisonnable et plus simple de ne pas mettre ce processus en route » au regard « des problèmes réels qu’il faudra affronter de toute façon ».
Les chrétiens et la laïcité
Mais l’archevêque de Paris ne s’est pas arrêté là dans sa critique. Pour lui, il existe désormais une « fracture » entre le pouvoir civil et les chrétiens : « Nous ne devons plus attendre des lois civiles qu’elles défendent notre vision de l’homme. Nous devons trouver en nous-mêmes, en notre foi au Christ les motivations profondes de nos comportements », a-t-il martelé, estimant que « la suite du Christ » ne s’accommodait plus « d’un vague conformisme social » mais relevait d’un « choix délibéré » qui marquait les chrétiens dans leur différence. Faisant allusion aux intentions du gouvernement de « légiférer sur la laïcité », il a affirmé que s’il était compréhensible que la vie commune, notamment dans les entreprises, soit régie par des règles de cohabitation pacifique, « il serait dommageable pour la cohésion nationale de stigmatiser les personnes attachées à une religion et à sa pratique, spécialement les juifs et les musulmans », regrettant qu’aucun des cultes connus en France n’ait été « consulté ni même contacté sur ces sujets » ni « associé au travail préparatoire ». Son analyse repose sur le fait que, selon lui, « les mesures coercitives provoquent plus de repliement et de fermeture que de tolérance et d’ouverture ». C’est là qu’est la subtilité de son discours : s’il enjoint les chrétiens à ne plus attendre des lois civiles qu’elles défendent leur vision de l’homme, à ne pas « rester muets devant les périls », c'est-à-dire, à se manifester selon leurs convictions et à résister, c’est précisément selon lui pour retrouver un « projet commun » et éviter le risque des communautarismes, des « organisations en ghetto ou en contre-culture ».
La nouvelle évangélisation
Critique envers le gouvernement, André Vingt-Trois a également jeté du poil à gratter aux chrétiens. Partant du contexte actuel, mariage pour tous et laïcité, il les a exhortés à la responsabilité individuelle, leur rappelant que vouloir changer le monde ne valait rien s’ils ne commençaient pas par balayer devant leur porte, dans une série de questions où il a abordé les sujets les plus polémiques : « À quoi bon combattre pour la sauvegarde du mariage hétérosexuel stable et construit au bénéfice de l’éducation des enfants, si nos propres pratiques rendent peu crédible la viabilité de ce modèle ? À quoi bon nous battre pour défendre la dignité des embryons humains, si les chrétiens eux-mêmes tolèrent l’avortement dans leur propre vie ? À quoi bon nous battre contre l’euthanasie si nous n’accompagnons pas humainement nos frères en fin de vie ? », a-t-il interrogé, expliquant que ce n’était pas la théorie mais le vécu qui attestait « du bien fondé » des principes. Dans un style très combattif –il a parlé d’un « combat à mener »- il a réfuté le fait qu’il s’agisse d’idéologie ou de politique, déplaçant la grille de lecture à la question de la « conversion permanente » des chrétiens, à commencer par eux-mêmes. Le combat n’est donc pas tant dans l’affrontement politique au pouvoir mais à un niveau personnel et spirituel, dans la conduite que chacun mène selon sa conscience. Sa définition de la nouvelle évangélisation repose donc sur l’idée que chaque chrétien doit commencer par s’interroger sur sa propre conduite.
Le nouveau pontificat
Autre point de son discours, le premier, l’élection du nouveau pape François. Soulignant la « liesse médiatique » suscitée par ce nouveau pontificat, signe d’une « attente » des gens, il a noté que « cet engouement » risquait d’être éphémère s’il ne « s’attachait qu’aux signes les plus superficiels », tout en précisant avec humour que la « bienveillance ne faisait jamais de mal ». Des propos qui ont suscité de petits rires parmi les évêques réunis dans l’auditorium de la CEF. Discours poil à gratter oblige, il a abordé la question de la réception de Vatican II. L’élection du cardinal Bergoglio marque selon lui « un tournant » dans la vie de l’Église, dans la mesure où il est « le premier pape à n’avoir du Concile Vatican II qu’une connaissance médiatisée », n’y ayant pas participé directement. Ce tournant, c’est celui de l’entrée dans ce qu’il a appelé « le temps des héritiers » : « il me semble que les modalités d’interprétation des textes conciliaires et de leurs applications vont devenir particulièrement importantes et significatives », a-t-il affirmé. Alors que les évêques s’apprêtent à plancher sur le statut de l’enseignement catholique et la présence des catholiques dans la société contemporaine, alors que le pape François vient d’ouvrir la voie à une réforme de la Curie, alors que devant les locaux de la CEF, avenue de Breteuil à Paris le Comité de la jupe, composé de femmes qui demandent une meilleure représentativité dans l’Eglise, forme un cercle de silence, le temps des héritiers est en marche.
MARIE-LUCILE KUBACKI
CRÉÉ LE 16/04/2013 / MODIFIÉ LE 16/04/2013 À 15H10
C’est par un discours critique à l'égard du gouvernement sur le mariage pour tous et la laïcité qu’André Vingt-Trois, Président de la Conférence des évêques de France, a ouvert l’assemblée plénière des évêques qui se tient à Paris du 16 au 18 avril.
Le mariage pour tous
« La société a perdu sa capacité d’intégration et surtout sa capacité d’homogénéiser des différences dans un projet commun ». Ce matin, alors que s’ouvrait l’assemblée plénière des évêques de France, André Vingt-Trois, son président, par ailleurs archevêque de Paris, a tenu des propos très critiques à l’égard du projet de loi sur le mariage pour tous qui vient d’être adopté au Sénat. Selon lui, la loi « participe de ce phénomène (perte de la capacité d’intégration de la société, ndlr.) et va l’accentuer en le faisant porter sur le point le plus indiscutable de la différence qui est la différence sexuelle, et donc va provoquer (…) l’occultation de l’identité sexuelle comme réalité psychologique et la fermentation, la germination d’une revendication forte de la reconnaissance de la sexualité différenciée ». Son raisonnement est le suivant : « Si l’on fait disparaître les moyens d’identification de la différence dans les relations sociales, cela veut dire que, par un mécanisme psychologique que nous connaissons bien, on entraîne une frustration de l’expression personnelle, et que la compression de la frustration débouche un jour ou l’autre sur la violence pour faire reconnaître son identité particulière contre l’uniformité officielle. C’est ainsi que se prépare une société de violence ». Une mise en cause attendue de la loi, qui s’inscrivait, dans celle, plus générale et musclée du gouvernement. Il a ensuite estimé « qu’il eût été plus raisonnable et plus simple de ne pas mettre ce processus en route » au regard « des problèmes réels qu’il faudra affronter de toute façon ».
Les chrétiens et la laïcité
Mais l’archevêque de Paris ne s’est pas arrêté là dans sa critique. Pour lui, il existe désormais une « fracture » entre le pouvoir civil et les chrétiens : « Nous ne devons plus attendre des lois civiles qu’elles défendent notre vision de l’homme. Nous devons trouver en nous-mêmes, en notre foi au Christ les motivations profondes de nos comportements », a-t-il martelé, estimant que « la suite du Christ » ne s’accommodait plus « d’un vague conformisme social » mais relevait d’un « choix délibéré » qui marquait les chrétiens dans leur différence. Faisant allusion aux intentions du gouvernement de « légiférer sur la laïcité », il a affirmé que s’il était compréhensible que la vie commune, notamment dans les entreprises, soit régie par des règles de cohabitation pacifique, « il serait dommageable pour la cohésion nationale de stigmatiser les personnes attachées à une religion et à sa pratique, spécialement les juifs et les musulmans », regrettant qu’aucun des cultes connus en France n’ait été « consulté ni même contacté sur ces sujets » ni « associé au travail préparatoire ». Son analyse repose sur le fait que, selon lui, « les mesures coercitives provoquent plus de repliement et de fermeture que de tolérance et d’ouverture ». C’est là qu’est la subtilité de son discours : s’il enjoint les chrétiens à ne plus attendre des lois civiles qu’elles défendent leur vision de l’homme, à ne pas « rester muets devant les périls », c'est-à-dire, à se manifester selon leurs convictions et à résister, c’est précisément selon lui pour retrouver un « projet commun » et éviter le risque des communautarismes, des « organisations en ghetto ou en contre-culture ».
La nouvelle évangélisation
Critique envers le gouvernement, André Vingt-Trois a également jeté du poil à gratter aux chrétiens. Partant du contexte actuel, mariage pour tous et laïcité, il les a exhortés à la responsabilité individuelle, leur rappelant que vouloir changer le monde ne valait rien s’ils ne commençaient pas par balayer devant leur porte, dans une série de questions où il a abordé les sujets les plus polémiques : « À quoi bon combattre pour la sauvegarde du mariage hétérosexuel stable et construit au bénéfice de l’éducation des enfants, si nos propres pratiques rendent peu crédible la viabilité de ce modèle ? À quoi bon nous battre pour défendre la dignité des embryons humains, si les chrétiens eux-mêmes tolèrent l’avortement dans leur propre vie ? À quoi bon nous battre contre l’euthanasie si nous n’accompagnons pas humainement nos frères en fin de vie ? », a-t-il interrogé, expliquant que ce n’était pas la théorie mais le vécu qui attestait « du bien fondé » des principes. Dans un style très combattif –il a parlé d’un « combat à mener »- il a réfuté le fait qu’il s’agisse d’idéologie ou de politique, déplaçant la grille de lecture à la question de la « conversion permanente » des chrétiens, à commencer par eux-mêmes. Le combat n’est donc pas tant dans l’affrontement politique au pouvoir mais à un niveau personnel et spirituel, dans la conduite que chacun mène selon sa conscience. Sa définition de la nouvelle évangélisation repose donc sur l’idée que chaque chrétien doit commencer par s’interroger sur sa propre conduite.
Le nouveau pontificat
Autre point de son discours, le premier, l’élection du nouveau pape François. Soulignant la « liesse médiatique » suscitée par ce nouveau pontificat, signe d’une « attente » des gens, il a noté que « cet engouement » risquait d’être éphémère s’il ne « s’attachait qu’aux signes les plus superficiels », tout en précisant avec humour que la « bienveillance ne faisait jamais de mal ». Des propos qui ont suscité de petits rires parmi les évêques réunis dans l’auditorium de la CEF. Discours poil à gratter oblige, il a abordé la question de la réception de Vatican II. L’élection du cardinal Bergoglio marque selon lui « un tournant » dans la vie de l’Église, dans la mesure où il est « le premier pape à n’avoir du Concile Vatican II qu’une connaissance médiatisée », n’y ayant pas participé directement. Ce tournant, c’est celui de l’entrée dans ce qu’il a appelé « le temps des héritiers » : « il me semble que les modalités d’interprétation des textes conciliaires et de leurs applications vont devenir particulièrement importantes et significatives », a-t-il affirmé. Alors que les évêques s’apprêtent à plancher sur le statut de l’enseignement catholique et la présence des catholiques dans la société contemporaine, alors que le pape François vient d’ouvrir la voie à une réforme de la Curie, alors que devant les locaux de la CEF, avenue de Breteuil à Paris le Comité de la jupe, composé de femmes qui demandent une meilleure représentativité dans l’Eglise, forme un cercle de silence, le temps des héritiers est en marche.