L’Eglise américaine se prépare à « un changement culturel »
Céline Hoyeau, à Orlando, le 30/06/2017 à 7h09 Envoyer par email
Près de 3 000 responsables catholiques américains sont attendus à Orlando, en Floride, du 1er au 4 juillet, pour une convention inédite.
L’occasion d’une vaste réflexion sur la manière d’évangéliser et de rejoindre une Amérique en voie de sécularisation.
Il a beau être à la tête d’une des paroisses catholiques les plus dynamiques de Floride, avec ses 3 000 familles présentes le week-end à l’une des sept messes de Saint-Peter à Deland, le Père Thomas Connery est inquiet. « Nous avons beaucoup de retraités en Floride, donc les églises sont pleines, mais ôtez-les et c’est la catastrophe : nous n’arrivons pas à rejoindre les jeunes générations. Pour une personne baptisée, l’Église américaine perd six catholiques. On n’ose pas en parler entre prêtres, sans doute parce qu’on ne sait pas quoi faire, mais il est plus que temps de briser ce tabou. Imaginez une entreprise qui serait confrontée à un tel problème, elle décréterait aussitôt un plan d’urgence ! Et nous ? »
Les évêques américains n’ont pas encore de plan d’urgence, mais ils ont convoqué un rassemblement inédit : pour la première fois depuis cent ans, prêtres, laïcs, religieux et autres responsables de services et de mouvements de tous les États-Unis doivent réfléchir à la manière d’être de meilleurs « disciples missionnaires », selon les mots du pape François dans Evangelii gaudium. Tous se retrouveront du 1er au 4 juillet à Orlando, en Floride.
L’Église évangéliques attire les croyants
De fait, si les catholiques représentent la dénomination la plus importante aux États-Unis avec 77,4 millions de fidèles (22 % de la population), la fréquentation des paroisses est en baisse, tout comme les sacrements – sauf le baptême. De 2013 à 2016, le nombre d’enfants à avoir fait leur première communion a chuté de 50 000 (– 7 %), tandis que les écoles catholiques enregistraient une perte de 250 000 élèves sur la même période.
Certes, le nombre de catholiques augmente, mais cette hausse procède de l’immigration hispanique et… « même eux, nous n’arrivons pas toujours à les retenir », déplore le Père Connery. « Beaucoup se tournent vers les Églises évangéliques qui accordent une plus grande place à l’émotion, impliquent davantage les fidèles, utilisent des musiques plus proches de la culture moderne », analyse-t-il.
REPORTAGE : Saddleback, l’église où le fidèle est roi
La perte de vitesse de l’Église catholique américaine s’inscrit aussi, plus largement, dans le contexte d’une sécularisation rampante. Les Américains se déclarant « sans religion » (les « nones ») représentent près de 25 % de la population, contre 6 % en 1991. Cela fait d’eux désormais le « groupe religieux » le plus important aux États-Unis, selon une étude du Public Religion Research Center publiée en septembre 2016.
Réinventer la communication
« Ce que je trouve intéressant dans cette étude, ce sont les raisons de cette désaffection », souligne Claire Henning, directrice exécutive de Parish Catalyst, une agence formant les responsables de paroisse au leadership, sur tout le continent américain. « 60 % ne croient plus au message religieux, 66 % pensent que la religion cause plus de problèmes qu’elle n’apporte de solutions et 66 % estiment que leur enfant n’a pas besoin d’être éduqué dans la religion pour avoir des valeurs. Ce sont trois affirmations que nous devons regarder en face et analyser ».
À ses yeux, l’Église américaine doit ainsi amorcer un réel « changement culturel » : « Si nous voulons attirer des personnes éloignées, nous devons apprendre à regarder les choses d’une manière totalement nouvelle, assure-t-elle. Cela demande aussi de réinventer notre communication, de trouver un langage qui parle aux jeunes générations ».
À LIRE : L’évêque d’Atlanta exhorte les catholiques américains à « déraciner le racisme »
Dans cette optique, le Père Connery a mis en place dans sa paroisse des parcours Alpha dans sa paroisse. Il aspire à ce que l’Église américaine s’inspire des bonnes idées des évangéliques. « Les gens veulent une relation personnelle avec Dieu qui fasse sens, et pas des règles ou des cadres. Ils ont besoin que la religion ait un impact concret dans leur vie quotidienne », constate-t-il.
« Une amorce de dialogue »
Or, relève un observateur, « le fossé s’est creusé entre l’institution, toujours puissante, riche, cadenassée, et la base. L’Église catholique américaine est assez dogmatique et sur la défensive, une attitude héritée, notamment, des scandales de la pédophilie ».
Plus largement, analyse Claire Henning, « il n’y a pas eu de place pour le doute ou le débat dans l’Église américaine pendant des années. On ne pouvait rien questionner sous peine d’être traité de cafeteria catholic, autrement dit de faire notre tri dans la doctrine ».
REPORTAGE : Des évangélisateurs français en quête d’idées aux Etats-Unis
La directrice de Parish Catalyst croit pourtant voir « une amorce de dialogue » : « Les catholiques américains commencent à réfléchir, de manière saine, aux raisons pour lesquelles ils croient. Nous avons besoin de cette ouverture si nous voulons nous adresser à une société sécularisée. »
_____________________________
« Des ponts » entre catholiques
En préparation depuis plusieurs années et intitulée « La joie de l’Évangile en Amérique », la Convention d’Orlando alternera du sessions plénières et ateliers spécifiques sur les défis auxquels l’Église américaine est confrontée : le climat politique et culturel actuel, la hausse des non religieux, l’impact des réseaux sociaux, les besoins et la contribution des Latinos, le racisme et l’exclusion, rejoindre les familles blessées, le souci pastoral pour les personnes homosexuelles… Lors de l’assemblée d’automne des évêques américains, Mgr Richard Malone, évêque de Buffalo (État de New York) et président de la commission pour les laïcs, le mariage, la famille et la jeunesse de l’épiscopat américain, a souligné que ce rassemblement sera l’occasion de « créer des ponts » là où l’Église américaine connaît de « claires divisions », à l’image de la société américaine. Il réunira des participants de différentes sensibilités, « pro-life » et tenants de la justice sociale, souvent opposés sur l’échiquier politique et religieux américain.
Céline Hoyeau, à Orlando
http://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/Monde/LEglise-americaine-prepare-changement-culturel-2017-06-30-1200859295
Céline Hoyeau, à Orlando, le 30/06/2017 à 7h09 Envoyer par email
Près de 3 000 responsables catholiques américains sont attendus à Orlando, en Floride, du 1er au 4 juillet, pour une convention inédite.
L’occasion d’une vaste réflexion sur la manière d’évangéliser et de rejoindre une Amérique en voie de sécularisation.
Il a beau être à la tête d’une des paroisses catholiques les plus dynamiques de Floride, avec ses 3 000 familles présentes le week-end à l’une des sept messes de Saint-Peter à Deland, le Père Thomas Connery est inquiet. « Nous avons beaucoup de retraités en Floride, donc les églises sont pleines, mais ôtez-les et c’est la catastrophe : nous n’arrivons pas à rejoindre les jeunes générations. Pour une personne baptisée, l’Église américaine perd six catholiques. On n’ose pas en parler entre prêtres, sans doute parce qu’on ne sait pas quoi faire, mais il est plus que temps de briser ce tabou. Imaginez une entreprise qui serait confrontée à un tel problème, elle décréterait aussitôt un plan d’urgence ! Et nous ? »
Les évêques américains n’ont pas encore de plan d’urgence, mais ils ont convoqué un rassemblement inédit : pour la première fois depuis cent ans, prêtres, laïcs, religieux et autres responsables de services et de mouvements de tous les États-Unis doivent réfléchir à la manière d’être de meilleurs « disciples missionnaires », selon les mots du pape François dans Evangelii gaudium. Tous se retrouveront du 1er au 4 juillet à Orlando, en Floride.
L’Église évangéliques attire les croyants
De fait, si les catholiques représentent la dénomination la plus importante aux États-Unis avec 77,4 millions de fidèles (22 % de la population), la fréquentation des paroisses est en baisse, tout comme les sacrements – sauf le baptême. De 2013 à 2016, le nombre d’enfants à avoir fait leur première communion a chuté de 50 000 (– 7 %), tandis que les écoles catholiques enregistraient une perte de 250 000 élèves sur la même période.
Certes, le nombre de catholiques augmente, mais cette hausse procède de l’immigration hispanique et… « même eux, nous n’arrivons pas toujours à les retenir », déplore le Père Connery. « Beaucoup se tournent vers les Églises évangéliques qui accordent une plus grande place à l’émotion, impliquent davantage les fidèles, utilisent des musiques plus proches de la culture moderne », analyse-t-il.
REPORTAGE : Saddleback, l’église où le fidèle est roi
La perte de vitesse de l’Église catholique américaine s’inscrit aussi, plus largement, dans le contexte d’une sécularisation rampante. Les Américains se déclarant « sans religion » (les « nones ») représentent près de 25 % de la population, contre 6 % en 1991. Cela fait d’eux désormais le « groupe religieux » le plus important aux États-Unis, selon une étude du Public Religion Research Center publiée en septembre 2016.
Réinventer la communication
« Ce que je trouve intéressant dans cette étude, ce sont les raisons de cette désaffection », souligne Claire Henning, directrice exécutive de Parish Catalyst, une agence formant les responsables de paroisse au leadership, sur tout le continent américain. « 60 % ne croient plus au message religieux, 66 % pensent que la religion cause plus de problèmes qu’elle n’apporte de solutions et 66 % estiment que leur enfant n’a pas besoin d’être éduqué dans la religion pour avoir des valeurs. Ce sont trois affirmations que nous devons regarder en face et analyser ».
À ses yeux, l’Église américaine doit ainsi amorcer un réel « changement culturel » : « Si nous voulons attirer des personnes éloignées, nous devons apprendre à regarder les choses d’une manière totalement nouvelle, assure-t-elle. Cela demande aussi de réinventer notre communication, de trouver un langage qui parle aux jeunes générations ».
À LIRE : L’évêque d’Atlanta exhorte les catholiques américains à « déraciner le racisme »
Dans cette optique, le Père Connery a mis en place dans sa paroisse des parcours Alpha dans sa paroisse. Il aspire à ce que l’Église américaine s’inspire des bonnes idées des évangéliques. « Les gens veulent une relation personnelle avec Dieu qui fasse sens, et pas des règles ou des cadres. Ils ont besoin que la religion ait un impact concret dans leur vie quotidienne », constate-t-il.
« Une amorce de dialogue »
Or, relève un observateur, « le fossé s’est creusé entre l’institution, toujours puissante, riche, cadenassée, et la base. L’Église catholique américaine est assez dogmatique et sur la défensive, une attitude héritée, notamment, des scandales de la pédophilie ».
Plus largement, analyse Claire Henning, « il n’y a pas eu de place pour le doute ou le débat dans l’Église américaine pendant des années. On ne pouvait rien questionner sous peine d’être traité de cafeteria catholic, autrement dit de faire notre tri dans la doctrine ».
REPORTAGE : Des évangélisateurs français en quête d’idées aux Etats-Unis
La directrice de Parish Catalyst croit pourtant voir « une amorce de dialogue » : « Les catholiques américains commencent à réfléchir, de manière saine, aux raisons pour lesquelles ils croient. Nous avons besoin de cette ouverture si nous voulons nous adresser à une société sécularisée. »
_____________________________
« Des ponts » entre catholiques
En préparation depuis plusieurs années et intitulée « La joie de l’Évangile en Amérique », la Convention d’Orlando alternera du sessions plénières et ateliers spécifiques sur les défis auxquels l’Église américaine est confrontée : le climat politique et culturel actuel, la hausse des non religieux, l’impact des réseaux sociaux, les besoins et la contribution des Latinos, le racisme et l’exclusion, rejoindre les familles blessées, le souci pastoral pour les personnes homosexuelles… Lors de l’assemblée d’automne des évêques américains, Mgr Richard Malone, évêque de Buffalo (État de New York) et président de la commission pour les laïcs, le mariage, la famille et la jeunesse de l’épiscopat américain, a souligné que ce rassemblement sera l’occasion de « créer des ponts » là où l’Église américaine connaît de « claires divisions », à l’image de la société américaine. Il réunira des participants de différentes sensibilités, « pro-life » et tenants de la justice sociale, souvent opposés sur l’échiquier politique et religieux américain.
Céline Hoyeau, à Orlando
http://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/Monde/LEglise-americaine-prepare-changement-culturel-2017-06-30-1200859295