Linda Caille : "Les évangéliques français ne sont pas une sous-culture américaine"
Les évangéliques sont la branche du christianisme qui progresse le plus, y compris en France. Dans un livre qui vient de paraître, Soldats de Jésus, la journaliste Linda Caille propose une enquête fouillée et nuancée sur ces chrétiens convertis et militants si méconnus. Pendant cinq ans, cette spécialiste des faits religieux a sillonné la France des évangéliques, des megachurches aux petites communautés qui se réunissent dans des appartements. Interview.
Votre enquête est intitulée Soldats de Jésus. Les évangéliques à la conquête de la France. Pourquoi ce titre choc sur des chrétiens pourtant pacifiques ?
En 2013, sur les 600.000 évangéliques français, la moitié a moins de 35 ans, et ils en veulent ! 38% d’entre eux vont au culte chaque semaine. J’ai rencontré des jeunes des banlieues, des gentils branchés parisiens, des chefs d’entreprises. J'ai voulu mettre en avant leur engagement. Ils sont comme des soldats dans la mesure où leur vie est consacrée à une cause qui les dépasse: l’annonce de l’Evangile.
Par ailleurs, la Bible utilise des mots comme « soldat » et « armée ». Un exemple : Paul s'adresse à son fils spirituel Timothée en lui demandant de « souffrir comme un bon soldat de Jésus-Christ » (2 Timothée 2, 3).
Comment définir la foi évangélique ?
Un évangélique est un converti. Je donne la parole à des fidèles d’âge et de milieux sociaux différents, tous racontent à leur façon qu’il y a un avant et un après leur rencontre avec Jésus. Pour les évangéliques, un fidèle ne naît pas chrétien, il le devient, suite à cette rencontre. La foi n’est pas un héritage familial. Ils lisent tous les jours la Bible et pensent qu'il faut en témoigner autour d'eux.
Les évangéliques n'ont pas la réputation d'être ouverts d'esprit. Qu'en pensez-vous ?
J’ai enquêté pendant cinq ans en France. Au début, je m’attendais à rencontrer des fidèles disciplinés, uniformes et de droite, en fait, j'ai rencontré des Français ordinaires qui prennent le RER, paient leurs impôts et croient aux miracles. D'ailleurs, 47% d’entre eux votent à gauche.
Chez certains, il y a un profond désir de convertir l'autre et à la fois un grand mépris pour tous ceux qui ne sont pas comme eux. J’ai parlé avec des jeunes femmes qui refusent de lire les médias parce qu'elles sont convaincues qu'on leur cache tout. A force de toujours rechercher une pureté biblique, certains se privent d'apports intellectuels non négligeables. C’est pourquoi, les autres chrétiens reprochent à juste titre aux évangéliques une compréhension du monde « au ras des pâquerettes ».
La foi évangélique est souvent associée aux Etats-Unis. Mais, selon vous, elle a aussi des origines françaises, par exemple chez les camisards au XVIIIe siècle...
Beaucoup d'évangéliques français sont inspirés des Etats-Unis, c'est un fait. Mais ils ne sont pas une sous-culture américaine. Une de leurs racines historiques est effectivement le mouvement de résistance des camisards entre 1702 et 1710. Si j'en parle, c'est aussi pour rappeler sa dimension charismatique : chez les camisards cévenols, on a vu des enfants et des femmes illettrés, mais totalement inspirés par le Saint Esprit, commenter la Bible et enseigner les protestants.
Qui sont les premiers évangéliques français organisés ?
Les premiers évangéliques identifiés par les pouvoirs publics sont ceux qui refusent de signer le Concordat de Bonaparte en 1801. Pour ces chrétiens, il était en effet impensable que leurs ministres du culte soient des fonctionnaires payés par l'Etat. Ce principe, très laïc, est dans leur ADN. Il est la clé de leur indépendance financière, spirituelle et humaine.
De quelles Eglises venaient-ils ?
Ils étaient mennonites, anabaptistes, quakers, baptistes ou puritains. Leurs Eglises sont toutes nées quelque part entre Zurich, Strasbourg et Stuttgart dans la foulée de la Réforme protestante de 1517. Ils estimaient que Martin Luther et Jean Calvin n’allaient pas suffisamment loin dans leur réforme. Les premiers évangéliques sont une poignée d’insoumis, des rebelles parmi les rebelles protestants.
En 1906, à Los Angeles naît le pentecôtisme, un mouvement évangélique axé sur la guérison miraculeuse et qui influence toutes les Eglises. Une rupture ?
Pour moi, le mouvement pentecôtiste est un des réveils spirituels les plus fulgurants de l'histoire de l'humanité. Au début du XXème siècle, il n’existait pas un seul pentecôtiste dans le monde, en 2013, lorsqu’on veut les dénombrer, on n'est jamais à un million près. Avec eux, entre 1990 et 2000, les évangéliques seraient passés de 72 millions à 506 millions de fidèles, dont 200 millions de pentecôtistes. Preuve que les conversions à la foi chrétienne se portent bien dans le monde.
Le pentecôtisme historique choquait-il son époque ?
Ce qui choquait le plus, au début du XXème siècle, dans la bonne société américaine, blanche et protestante, ce n’était pas la foi en des guérisons miraculeuses, mais surtout ces cultes où on voyait côte à côte des Noirs, des Hispaniques, des Blancs, des femmes, des hommes. Tous priaient les uns pour les autres dans une ancienne étable transformée en église.
Le pentecôtisme est-il toujours évangélique ?
Oui, dans la mesure où la rencontre avec Jésus est au centre de la foi. Ce réveil spirituel n’a pas touché uniquement le monde évangélique, mais l'ensemble du christianisme mondial.
Un réformé, un catholique ou un orthodoxe pourrait fonctionner de cette manière aussi non ?
Oui bien sûr, les évangéliques n’ont pas le monopole du Saint-Esprit. Mais aujourd’hui, ce sont surtout eux qui proclament systématiquement et avec enthousiasme ce qui demeure le pilier de la foi chrétienne : Jésus-Christ est toujours vivant.
Vous ne parlez pas beaucoup de la théologie de la prospérité dans votre livre. Parce qu'elle est peu répandue chez les évangéliques français ?
Cette théologie est certainement une dérive importante en France. Pour les adeptes de cette déviance, si un croyant est béni par son Dieu, il est riche. S’il est riche, c’est qu’il est béni par son Dieu, donc un bon croyant doit être riche et donner de l’argent à son Eglise et surtout à son pasteur, qui ainsi s’enrichit.
Mais il y a aussi des aspects positifs. Quand un fidèle, ancien alcoolique, m’explique que depuis qu’il s’est converti, il ne boit plus, qu'il a ainsi une meilleure relation avec sa femme et ses enfants, c'est objectivement positif. Et s’il attribue cela à une action divine, je ne vois pas pourquoi je devrais mettre en doute son affirmation.
Les évangéliques ont-ils tendance à être sectaires ?
Les risques de dérives sectaires sont connus. Il y le « pasteur-gourou » qui confond sa volonté et celle de Dieu. Une Eglise peut aussi fonctionner en vase clos et étouffer ses fidèles qui croient vivre dans un îlot de pureté au milieu d’un monde qui s’effondre.
Mais pourquoi soupçonne-t-on souvent les évangéliques d'être sectaires ?
Dans le premier rapport parlementaire sur les sectes en 1995 et dans le second en 1999, une classification des « familles de sectes » a été utilisée. Le type « évangélique » apparaissait au milieu des « soucoupistes », des « lucifériens » et des « apocalyptiques ». C'était une erreur de vocabulaire, qui révélait une méconnaissance de l’histoire du protestantisme français depuis le XVIème siècle, mais cette mention a eu des conséquences néfastes pour les évangéliques. Souvenons-nous aussi de la couverture du Nouvel Observateur qui, en février 2004, titrait en une sur « les évangéliques, la secte qui veut conquérir le monde ».
Votre enquête montre que les évangéliques créent des liens entre les gens. N'est-ce pas la principale raison de leur succès ?
Les évangéliques sont solidaires les uns des autres, ils s'entraident pour les déménagements, les gardes d'enfants, des prêts de voitures, etc… Ils créent du lien social, ce dont la société française n’est plus capable.
Mais cette disponibilité et cette spontanéité ont un prix. Chez les évangéliques, le contrôle est collectif, on se mêle souvent de votre vie privée. Le pasteur peut être omniprésent et intrusif. Certes, leurs cultes sont débridés avec de la musique contemporaine, des guitares électriques et une batterie, mais leur doctrine conservatrice est verrouillée. Chez les réformés et chez des catholiques, c'est très différent : la liturgie peut être aux cordeaux, mais on ne se mêle pas de votre vie privée.
Pourquoi les évangéliques attirent-ils du monde, alors qu'ils sont si conservateurs ?
C'est un conservatisme qui cadre. Les jeunes évangéliques revendiquent des réponses claires dans une société aux valeurs floues. Et ceux qui se tournent vers les évangéliques ont besoin de cadres, puisqu'ils ne les trouvent pas ailleurs.
Dans votre enquête, vous parlez des déçus. Qui sont-ils ?
Une grande partie des déçus ont grandi dans les milieux évangéliques. Ce qui les séduisait au départ a fini par les étouffer : la radicalité, la collectivité, les cadres… Souvent issus de familles évangéliques, ils restent chrétiens mais ils se sont tournés vers d'autres Eglises.
C'est l'overdose ?
Oui. Les évangéliques ont une créativité incroyable pour parler de l'Evangile à ceux qui n'en connaissent rien. Mais une fois qu'un fidèle est rentré dans leur rang, il doit filer droit. « Avec eux, c’est marche ou crève », me disait une jeune femme évangélique. Elle ajoutait : « Chez eux, il y a une incapacité a gérer l’erreur de parcours, le doute. » Cette absence de compassion crée des déçus. Je suis sûre qu'ils sont encore plus durs envers les membres de leur famille chrétienne qu'envers un non-croyant de base.
En résumé, peut-on dire que les évangéliques occupent un vide, malgré les défauts de certains d'entre eux ?
Les évangéliques ont des côtés réactionnaires, braillards, zélés mais ils occupent une place laissée vide par d’un côté des partis politiques qui ne font plus rêver et de l’autre des Eglises chrétiennes qui peinent à renouveler la forme avec laquelle elles annoncent aux plus jeunes leurs convictions spirituelles.
A titre de comparaison, chez les protestants classiques, le fait de témoigner de sa foi, voire d’être ému lors d'un culte, relève du mauvais goût. D’ailleurs, il est frappant de constater que les attaques les plus virulentes envers les évangéliques viennent des autres chrétiens et non des athées. Les évangéliques secouent les autres chrétiens qui copient leur rassemblement, leur style, leur musique. Et c'est pourquoi il faut compter avec eux.
Les évangéliques sont la branche du christianisme qui progresse le plus, y compris en France. Dans un livre qui vient de paraître, Soldats de Jésus, la journaliste Linda Caille propose une enquête fouillée et nuancée sur ces chrétiens convertis et militants si méconnus. Pendant cinq ans, cette spécialiste des faits religieux a sillonné la France des évangéliques, des megachurches aux petites communautés qui se réunissent dans des appartements. Interview.
Votre enquête est intitulée Soldats de Jésus. Les évangéliques à la conquête de la France. Pourquoi ce titre choc sur des chrétiens pourtant pacifiques ?
En 2013, sur les 600.000 évangéliques français, la moitié a moins de 35 ans, et ils en veulent ! 38% d’entre eux vont au culte chaque semaine. J’ai rencontré des jeunes des banlieues, des gentils branchés parisiens, des chefs d’entreprises. J'ai voulu mettre en avant leur engagement. Ils sont comme des soldats dans la mesure où leur vie est consacrée à une cause qui les dépasse: l’annonce de l’Evangile.
Par ailleurs, la Bible utilise des mots comme « soldat » et « armée ». Un exemple : Paul s'adresse à son fils spirituel Timothée en lui demandant de « souffrir comme un bon soldat de Jésus-Christ » (2 Timothée 2, 3).
Comment définir la foi évangélique ?
Un évangélique est un converti. Je donne la parole à des fidèles d’âge et de milieux sociaux différents, tous racontent à leur façon qu’il y a un avant et un après leur rencontre avec Jésus. Pour les évangéliques, un fidèle ne naît pas chrétien, il le devient, suite à cette rencontre. La foi n’est pas un héritage familial. Ils lisent tous les jours la Bible et pensent qu'il faut en témoigner autour d'eux.
Les évangéliques n'ont pas la réputation d'être ouverts d'esprit. Qu'en pensez-vous ?
J’ai enquêté pendant cinq ans en France. Au début, je m’attendais à rencontrer des fidèles disciplinés, uniformes et de droite, en fait, j'ai rencontré des Français ordinaires qui prennent le RER, paient leurs impôts et croient aux miracles. D'ailleurs, 47% d’entre eux votent à gauche.
Chez certains, il y a un profond désir de convertir l'autre et à la fois un grand mépris pour tous ceux qui ne sont pas comme eux. J’ai parlé avec des jeunes femmes qui refusent de lire les médias parce qu'elles sont convaincues qu'on leur cache tout. A force de toujours rechercher une pureté biblique, certains se privent d'apports intellectuels non négligeables. C’est pourquoi, les autres chrétiens reprochent à juste titre aux évangéliques une compréhension du monde « au ras des pâquerettes ».
La foi évangélique est souvent associée aux Etats-Unis. Mais, selon vous, elle a aussi des origines françaises, par exemple chez les camisards au XVIIIe siècle...
Beaucoup d'évangéliques français sont inspirés des Etats-Unis, c'est un fait. Mais ils ne sont pas une sous-culture américaine. Une de leurs racines historiques est effectivement le mouvement de résistance des camisards entre 1702 et 1710. Si j'en parle, c'est aussi pour rappeler sa dimension charismatique : chez les camisards cévenols, on a vu des enfants et des femmes illettrés, mais totalement inspirés par le Saint Esprit, commenter la Bible et enseigner les protestants.
Qui sont les premiers évangéliques français organisés ?
Les premiers évangéliques identifiés par les pouvoirs publics sont ceux qui refusent de signer le Concordat de Bonaparte en 1801. Pour ces chrétiens, il était en effet impensable que leurs ministres du culte soient des fonctionnaires payés par l'Etat. Ce principe, très laïc, est dans leur ADN. Il est la clé de leur indépendance financière, spirituelle et humaine.
De quelles Eglises venaient-ils ?
Ils étaient mennonites, anabaptistes, quakers, baptistes ou puritains. Leurs Eglises sont toutes nées quelque part entre Zurich, Strasbourg et Stuttgart dans la foulée de la Réforme protestante de 1517. Ils estimaient que Martin Luther et Jean Calvin n’allaient pas suffisamment loin dans leur réforme. Les premiers évangéliques sont une poignée d’insoumis, des rebelles parmi les rebelles protestants.
En 1906, à Los Angeles naît le pentecôtisme, un mouvement évangélique axé sur la guérison miraculeuse et qui influence toutes les Eglises. Une rupture ?
Pour moi, le mouvement pentecôtiste est un des réveils spirituels les plus fulgurants de l'histoire de l'humanité. Au début du XXème siècle, il n’existait pas un seul pentecôtiste dans le monde, en 2013, lorsqu’on veut les dénombrer, on n'est jamais à un million près. Avec eux, entre 1990 et 2000, les évangéliques seraient passés de 72 millions à 506 millions de fidèles, dont 200 millions de pentecôtistes. Preuve que les conversions à la foi chrétienne se portent bien dans le monde.
Le pentecôtisme historique choquait-il son époque ?
Ce qui choquait le plus, au début du XXème siècle, dans la bonne société américaine, blanche et protestante, ce n’était pas la foi en des guérisons miraculeuses, mais surtout ces cultes où on voyait côte à côte des Noirs, des Hispaniques, des Blancs, des femmes, des hommes. Tous priaient les uns pour les autres dans une ancienne étable transformée en église.
Le pentecôtisme est-il toujours évangélique ?
Oui, dans la mesure où la rencontre avec Jésus est au centre de la foi. Ce réveil spirituel n’a pas touché uniquement le monde évangélique, mais l'ensemble du christianisme mondial.
Un réformé, un catholique ou un orthodoxe pourrait fonctionner de cette manière aussi non ?
Oui bien sûr, les évangéliques n’ont pas le monopole du Saint-Esprit. Mais aujourd’hui, ce sont surtout eux qui proclament systématiquement et avec enthousiasme ce qui demeure le pilier de la foi chrétienne : Jésus-Christ est toujours vivant.
Vous ne parlez pas beaucoup de la théologie de la prospérité dans votre livre. Parce qu'elle est peu répandue chez les évangéliques français ?
Cette théologie est certainement une dérive importante en France. Pour les adeptes de cette déviance, si un croyant est béni par son Dieu, il est riche. S’il est riche, c’est qu’il est béni par son Dieu, donc un bon croyant doit être riche et donner de l’argent à son Eglise et surtout à son pasteur, qui ainsi s’enrichit.
Mais il y a aussi des aspects positifs. Quand un fidèle, ancien alcoolique, m’explique que depuis qu’il s’est converti, il ne boit plus, qu'il a ainsi une meilleure relation avec sa femme et ses enfants, c'est objectivement positif. Et s’il attribue cela à une action divine, je ne vois pas pourquoi je devrais mettre en doute son affirmation.
Les évangéliques ont-ils tendance à être sectaires ?
Les risques de dérives sectaires sont connus. Il y le « pasteur-gourou » qui confond sa volonté et celle de Dieu. Une Eglise peut aussi fonctionner en vase clos et étouffer ses fidèles qui croient vivre dans un îlot de pureté au milieu d’un monde qui s’effondre.
Mais pourquoi soupçonne-t-on souvent les évangéliques d'être sectaires ?
Dans le premier rapport parlementaire sur les sectes en 1995 et dans le second en 1999, une classification des « familles de sectes » a été utilisée. Le type « évangélique » apparaissait au milieu des « soucoupistes », des « lucifériens » et des « apocalyptiques ». C'était une erreur de vocabulaire, qui révélait une méconnaissance de l’histoire du protestantisme français depuis le XVIème siècle, mais cette mention a eu des conséquences néfastes pour les évangéliques. Souvenons-nous aussi de la couverture du Nouvel Observateur qui, en février 2004, titrait en une sur « les évangéliques, la secte qui veut conquérir le monde ».
Votre enquête montre que les évangéliques créent des liens entre les gens. N'est-ce pas la principale raison de leur succès ?
Les évangéliques sont solidaires les uns des autres, ils s'entraident pour les déménagements, les gardes d'enfants, des prêts de voitures, etc… Ils créent du lien social, ce dont la société française n’est plus capable.
Mais cette disponibilité et cette spontanéité ont un prix. Chez les évangéliques, le contrôle est collectif, on se mêle souvent de votre vie privée. Le pasteur peut être omniprésent et intrusif. Certes, leurs cultes sont débridés avec de la musique contemporaine, des guitares électriques et une batterie, mais leur doctrine conservatrice est verrouillée. Chez les réformés et chez des catholiques, c'est très différent : la liturgie peut être aux cordeaux, mais on ne se mêle pas de votre vie privée.
Pourquoi les évangéliques attirent-ils du monde, alors qu'ils sont si conservateurs ?
C'est un conservatisme qui cadre. Les jeunes évangéliques revendiquent des réponses claires dans une société aux valeurs floues. Et ceux qui se tournent vers les évangéliques ont besoin de cadres, puisqu'ils ne les trouvent pas ailleurs.
Dans votre enquête, vous parlez des déçus. Qui sont-ils ?
Une grande partie des déçus ont grandi dans les milieux évangéliques. Ce qui les séduisait au départ a fini par les étouffer : la radicalité, la collectivité, les cadres… Souvent issus de familles évangéliques, ils restent chrétiens mais ils se sont tournés vers d'autres Eglises.
C'est l'overdose ?
Oui. Les évangéliques ont une créativité incroyable pour parler de l'Evangile à ceux qui n'en connaissent rien. Mais une fois qu'un fidèle est rentré dans leur rang, il doit filer droit. « Avec eux, c’est marche ou crève », me disait une jeune femme évangélique. Elle ajoutait : « Chez eux, il y a une incapacité a gérer l’erreur de parcours, le doute. » Cette absence de compassion crée des déçus. Je suis sûre qu'ils sont encore plus durs envers les membres de leur famille chrétienne qu'envers un non-croyant de base.
En résumé, peut-on dire que les évangéliques occupent un vide, malgré les défauts de certains d'entre eux ?
Les évangéliques ont des côtés réactionnaires, braillards, zélés mais ils occupent une place laissée vide par d’un côté des partis politiques qui ne font plus rêver et de l’autre des Eglises chrétiennes qui peinent à renouveler la forme avec laquelle elles annoncent aux plus jeunes leurs convictions spirituelles.
A titre de comparaison, chez les protestants classiques, le fait de témoigner de sa foi, voire d’être ému lors d'un culte, relève du mauvais goût. D’ailleurs, il est frappant de constater que les attaques les plus virulentes envers les évangéliques viennent des autres chrétiens et non des athées. Les évangéliques secouent les autres chrétiens qui copient leur rassemblement, leur style, leur musique. Et c'est pourquoi il faut compter avec eux.