La Bible en français du XVe au milieu du XXe siècle.
Il faut bien le reconnaître, la Bible n’a jamais eu, dans le paysage littéraire français, une place aussi centrale qu’elle en a eu en Allemagne ou en Angleterre. La Bible de Luther ou la King James Version ont imprimé profondément leur marque dans la culture qui les a portées. Une multitude de citations, d’allusions ou d’imitations stylistiques dans de très nombreuses œuvres littéraires classiques ou contemporaines témoignent d’une profonde influence de ces versions prestigieuses de la Bible. Rien de tel pour ce qui concerne la culture française. Blaise Pascal ou Paul Claudel lisent encore la version latine de la Bible pour que se produise en eux cette émotion profonde qui féconde le génie littéraire. La Vulgate affleure dans leur œuvre, plus que toute traduction française.
Frontispice de la Bible d'Olivétan, 4 juin 1535,
fonds Société biblique française
D’où vient ce phénomène ?
Les traductions françaises étaient-elles donc de si mauvaise qualité ?
Il faut remonter au XVIe siècle et à l’apparition de la Réforme pour comprendre que l’absence de référence majeure en matière de traduction biblique en français tient plus à la sociologie religieuse qu’à l’absence de talent des traducteurs. En Allemagne et en Angleterre, le mouvement réformiste conduisit à rejeter l’Église catholique mais à conserver la Bible. En France, souvent avec l’appui du pouvoir politique, l’Église catholique conserva son influence prédominante, mais c’est la Bible qui fut bâillonnée.
À partir de là, la France s’est singularisée dans son rapport à la Bible. Alors que dans la culture allemande, russe ou anglo-américaine on apprend à lire avec la Bible, et même très souvent dans la Bible, l’enfant français apprend à lire une langue rationalisée, épurée de toute référence biblique. La Bible n’a pas modelé la langue et la culture françaises, autant qu’elle a pu le faire dans d’autres cultures européennes. Pour qu’une telle fécondation puisse avoir lieu, il faut la rencontre d’une traduction de qualité avec une majorité de la population ou en tout cas avec une large part de la classe intellectuelle. L’histoire de la traduction de la Bible en langue française montre bien que la Bible est restée confinée soit parmi les seuls esprits éclairés du catholicisme français, soit parmi les protestants, trop minoritaires pour influencer profondément la culture de leur pays.
I. La Bible au XIVe et XVe siècle. Premières traductions en langue courante