Pour confirmer ses paroles concernant la mauvaise foi.
La mauvaise foi fait violence à la vérité, mais d'une manière qui en fait une espèce particulière de mensonge. Tout mensonge, en effet, n'est pas manifestation de mauvaise foi, et sans doute faut-il commencer par tenter de saisir ce qui est propre à cette dernière.
Le terme de "foi" nous indique probablement où chercher : du côté de ce qui a trait à la confiance, et sans doute aussi à la reconnaissance et à l'aveu. Le mensonge prend la forme de la mauvaise foi lorsqu'il est refus entêté de reconnaître une évidence, quelque chose qui, manifestement, est. C'est précisément ce genre de choses : ce qui se voit immédiatement, ce qui peut seulement se constater, qui paraît bien constituer l'objet propre de la mauvaise foi ; autrement dit, ce qui appelle comme attitude adéquate la reconnaissance, l'admission et/ou l'aveu : ce à quoi l'on peut et doit se fier. La mauvaise foi est peut-être même la seule façon de ne pas admettre l'évidence sans sombrer pour autant dans la pathologie. Elle consiste à refuser ce qui ne peut pas l'être, en une sorte d'ultime recours contre le désagrément imposé par la réalité, la volonté opposant son entêtement à l'entêtement des faits.
Faut-il alors y voir une sorte d'affirmation ou de désir de toute-puissance ? En un sens, oui, puisqu'il s'agit de ne pas supporter que quelque chose, qui pourtant me concerne, puisse exister, tranquillement et ouvertement, dans une absolue indifférence à l'égard ce qui me convient, me plaît, m'arrange. Et il ne s'agit pas seulement de ne pas le supporter, mais bel et bien de l'annuler, de faire en sorte que la chose en question n'existe pas pour moi, par-delà son irritante persistance à exister "objectivement" : je puis décréter qu'elle n'existe pas pour moi, et que ni mes paroles ni mes actes ne s'en trouveront modifiés. Faire preuve de mauvaise foi serait ainsi le contraire de "prendre acte", "prendre en compte", en un mot "assumer" (littéralement : prendre à soi, pour soi, avec soi, admettre, s'approprier).
C'est pourquoi la mauvaise foi atteint son paroxysme, devient une véritable manière de vivre, et prend un sens pleinement philosophique, lorsque elle porte, non plus sur tel ou tel acte ponctuel et isolé, mais sur la volonté elle-même et son pouvoir de décision. C'est ce qu'a bien compris Jean-Paul Sartre, semble-t-il, en appelant "mauvaise foi" l'attitude qui consiste à mettre nos actes sur le compte de quelque chose d'extérieur à nous (la nature, les circonstances, une "essence" qui nous définirait une fois pour toutes...), et donc à nier que nous en sommes les vrais auteurs et que nous devons en répondre. Car alors, nous retournons notre volonté contre elle-même, "voulant ne pas vouloir" en quelque sorte, décidant que nous ne décidons pas, et nous acharnant à nier un pouvoir que nous sommes pourtant en train d'exercer à l'instant même où nous le nions. Attitude qui réalise toute sa pureté lorsque nous revendiquons la paternité de nos actes si ces derniers sont gratifiants, et la rejetons lorsqu'ils sont plutôt sources de reproches...
Une chose semble sûre : à celui qui se cantonne dans cette posture, il n'y a pas grand-chose à dire... La mauvaise foi, par nature entêtée et d'une inventivité infinie, empêche tout dialogue. Ce qui ne doit pourtant pas empêcher de dialoguer à son sujet, avec bonne volonté et en toute bonne foi.
fin de la dérive.