Fréquemment sont proposés à des endroits de forte fréquentation de Nice et d’autres villes françaises des "cours bibliques gratuits". Qui sont ces croyants prêchant la parole de Dieu?
Alexandre Ori Publié le 04/09/2023 à 13:08, mis à jour le 04/09/2023 à 14:13Les témoins de Jéhovah déambulent dans les points névralgiques de Nice pour faire du prosélytisme. Photo Cyril Dodergny
Tête baissée à la sortie de la gare de Nice, les passants ignorent ces deux silhouettes qui se refusent au mouvement de la foule pressée. Souriantes à côté de leur chariot, elles attendent patiemment qu’un regard s’arrête sur leur pancarte. "Cours biblique gratuit" y est-il écrit. Un QR code aussi, accompagné des initiales "JW". Pour Jehovah’s witnesses. Les Témoins de Jéhovah.
Fidèles d’un mouvement religieux, créé aux États-Unis dans les années 1870 et se réclamant du christianisme, ils cherchent à "établir le royaume de Dieu sur Terre". De par le monde, ils seraient 8.699.048 répartis dans 239 pays. En France, l’organisation compte 136.419 fidèles.
Quant à Nice, deux lieux de culte sont implantés, avenue Saint-Joseph et rue Pie-François-Toesca.
Les binômes de "proclamateurs" sont souvent composés d’une femme et d’un homme âgé. Peut-être sont-ils sans emploi pour pouvoir se libérer toute une journée en pleine semaine. Ils se répartissent les grands axes de passage. L’aéroport, avenues Jean-Médecin et Libération, place Garibaldi, devant l’université Saint-Jean d’Angély.
Constat similaire dans d’autres villes françaises. Rien n’indique vraiment leur appartenance au groupe religieux. Sur les flyers le nom de Jéhovah n’apparaît que rarement.
Annoncer la bonne nouvelle et l’Apocalypse
Une fois la conversation engagée, se dévoilent des personnes bienveillantes, à l’écoute. Le ton calme, le regard vif et intense, ils rassurent. À toutes les questions, ils semblent avoir une réponse.
Pour cause, ils s’appuient sur "
les enseignements intemporels de la Bible". Du moins, c’est la justification qu’en fait un fidèle en expliquant que le texte sacré, vieux de près de 2.000 ans, "
répond en fait à des problèmes très contemporains". Un exemple? "
De plus en plus de jeunes viennent nous voir. Ils sont désemparés face au matérialisme de notre société. Ils ne comprennent pas pourquoi la Terre va si mal", dépeint avec un air empathique un fidèle.
Sa compagne de prêche précise: "
Nous leur annonçons la bonne nouvelle." Soit les Évangiles. Et la "
grande tribulation": l’Apocalypse. "
Tous les signes annonciateurs sont là, mais IL peut nous sauver", rassure immédiatement le prédicateur. Comment? "
Les réponses détaillées sont aussi sur notre site", répondent-ils.
Promesse tenue: en première page s’affiche l’illustration d’une petite fille arrosant une plante, de noires usines en arrière-plan. Quelques paragraphes plus bas, il est expliqué que "
Jéhovah va remplacer les gouvernements humains par un gouvernement céleste. Sous la direction de Jésus Christ, ce gouvernement va diriger la Terre."Enfin "
psaume 37: 29: Les justes posséderont la Terre et ils y vivront éternellement." Suivi de la "
signification: ceux qui respecteront les normes justes de Dieu vivront éternellement sur la Terre." Quid des athées et des croyants d’une autre religion? Des brebis égarées? Pour les ramener dans le "
bon" troupeau, les témoins prêchent "
la vraie religion". L’organisation se caractérise en effet par son restaurationnisme. Jéhovah les aurait chargés de témoigner de la seule foi véritable, acceptable.
"Quand vous voulez, où vous voulez"
D’où l’importance de convertir. Le salut de nombreuses âmes serait dans la balance.
"Vous pouvez donc assister à nos cours bibliques gratuits. On peut se retrouver quand vous voulez, où vous voulez", propose à la fin de l’échange une des témoins. Et après, faut-il rejoindre la communauté de fidèles? "
Rien n’est imposé. On peut suivre des cours pendant un an et arrêter du jour au lendemain si ça ne convient plus", assure la croyante. Mais au final, quel est le taux de conversion? Les deux "
proclamateurs" restent vagues. "
Plusieurs personnes s’arrêtent par semaine", évoquent-ils. À l’échelle nationale en 2022, 47.209 cours ont été dispensés et 2.026 baptêmes réalisés. Ce chiffre recouvre aussi les enfants de témoins qui ont été élevés au sein de la communauté. Ce qui laisse dubitatif quant à l’efficacité de la prédication de rue.
[size=33]Témoins de Jéhovah: est-ce une secte?[/size]
En raison de leur croyance en une apocalypse proche ou encore leur refus des transfusions sanguines, les Témoins de Jéhovah sont souvent considérés comme une secte par le grand public.
Mais en France, le mouvement religieux jouit du statut d’association cultuelle. Au nom de la liberté de croyance, il n’est donc pas considéré comme une secte. Cependant, la République ne reste pas aveugle aux potentielles dérives.
Ainsi veille la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Si la Miviludes précise ne "pas porter de jugement sur une croyance", elle surveille tout ce qui pourrait "entraîner de lourdes dérives auprès de populations vulnérables".
99 saisines à leur encontre
Dans son dernier rapport de novembre 2022, la Miviludes évoque les "multinationales de la spiritualité", dont font partie les Témoins qui comptabilisent 99 saisines à leur encontre. En 2019 il y en avait eu 78 et 62 en 2020.
En cause: le fait que "de nombreux Témoins de Jéhovah sont amenés, par leur doctrine, à être privés de transfusions sanguines sur le sol français" tandis que leur dogme "tend à décrédibiliser et à diaboliser les organes étatiques, dont la Justice." Depuis sa création en 2002, la mission n’a cessé d’alerter sur l’incompatibilité entre les valeurs de la mouvance religieuse et celles défendues par la République.
À l’encontre des valeurs républicaines?
Sont évoqués: la diabolisation de l’homosexualité, le refus de l’égalité femme-homme ou encore les thérapies de conversion. Sur son site internet JW. org, l’organisation assure: "Loin d’être une secte dangereuse, les Témoins de Jéhovah pratiquent une religion qui est bénéfique à ses membres et à la société.