Mourir par peur d'avoir mal
Le Point.fr - Publié le 16/12/2011 à 16:48 - Modifié le 16/12/2011 à 17:36
Le Point.fr ouvre son espace de débat au professeur Didier Raoult, spécialiste des maladies infectieuses tropicales émergentes à la faculté de médecine de Marseille.
Une évolution majeure s'est produite dans les priorités de la société et de la médecine. La lutte contre la douleur figure désormais parmi les premiers objectifs. Ce qui a provoqué des changements parfois très dangereux dans la prise en charge des malades.
J'ai eu l'occasion de voir des patients reçus aux urgences pour une méningite ou pour une péritonite non diagnostiquées et traités par de la morphine pour calmer la douleur ! Le fait d'avoir dissimulé la douleur derrière les morphiniques a autorisé le retour au domicile de ces patients calmés. Sauf que la maladie a évolué et que cette prescription a retardé de façon importante le diagnostic, faisant courir des risques de séquelles, voire des problèmes vitaux.
La douleur est un symptôme d'appel extrêmement important sur le plan médical. Elle traduit une souffrance du corps. Quand elle est inexpliquée, elle alerte le médecin et le pousse à en identifier la cause. Les maladies où la sensation douloureuse disparaît par atteinte nerveuse - la lèpre ou la syphilis non traitée par exemple - engendrent rapidement des mutilations. L'absence de signal douloureux ne permet plus de limiter les actes dangereux, ce qui expose le patient à des blessures ou à des brûlures...
15 000 morts par an
Notre société supporte de moins en moins la douleur. C'est l'une des causes de la surconsommation de médicaments antidouleur, qui est maintenant associée à une mortalité considérable directement due à ces médicaments. Une étude récente du Lancet montre qu'aux États-Unis les médicaments légaux dérivés de l'opium ont vu leurs ventes quadrupler entre 1999 et 2010. Selon les estimations officielles, les médicaments antidouleur causeraient la mort de près de 15 000 personnes chaque année aux États-Unis. Dans certains États, cette cause de mortalité dépasse celle des accidents de la route ! Plus encore, la mort résultant de l'usage de médicaments dérivés de l'opium vendus légalement dépasse maintenant aux États-Unis les décès dus aux drogues illicites dérivées de l'opium ! En pratique, il devient clair que pour diminuer toutes nos douleurs, nous avons créé une addiction aux "drogues légales" qui tuent actuellement plus que les drogues illégales. C'est devenu, dans les pays riches, un problème majeur de santé publique.
La douleur fait partie de la vie et sert à signaler la maladie. Autant il est légitime de tout mettre en oeuvre pour calmer les douleurs insupportables dont la cause est connue - en particulier les douleurs chroniques d'origine neurologique -, autant nous sommes entrés dans une surutilisation de ces drogues. J'ai ainsi vu une angine douloureuse traitée par de la morphine en intraveineuse ! L'illusion d'un monde sans douleur est mortelle.
Le Point.fr - Publié le 16/12/2011 à 16:48 - Modifié le 16/12/2011 à 17:36
Le Point.fr ouvre son espace de débat au professeur Didier Raoult, spécialiste des maladies infectieuses tropicales émergentes à la faculté de médecine de Marseille.
Une évolution majeure s'est produite dans les priorités de la société et de la médecine. La lutte contre la douleur figure désormais parmi les premiers objectifs. Ce qui a provoqué des changements parfois très dangereux dans la prise en charge des malades.
J'ai eu l'occasion de voir des patients reçus aux urgences pour une méningite ou pour une péritonite non diagnostiquées et traités par de la morphine pour calmer la douleur ! Le fait d'avoir dissimulé la douleur derrière les morphiniques a autorisé le retour au domicile de ces patients calmés. Sauf que la maladie a évolué et que cette prescription a retardé de façon importante le diagnostic, faisant courir des risques de séquelles, voire des problèmes vitaux.
La douleur est un symptôme d'appel extrêmement important sur le plan médical. Elle traduit une souffrance du corps. Quand elle est inexpliquée, elle alerte le médecin et le pousse à en identifier la cause. Les maladies où la sensation douloureuse disparaît par atteinte nerveuse - la lèpre ou la syphilis non traitée par exemple - engendrent rapidement des mutilations. L'absence de signal douloureux ne permet plus de limiter les actes dangereux, ce qui expose le patient à des blessures ou à des brûlures...
15 000 morts par an
Notre société supporte de moins en moins la douleur. C'est l'une des causes de la surconsommation de médicaments antidouleur, qui est maintenant associée à une mortalité considérable directement due à ces médicaments. Une étude récente du Lancet montre qu'aux États-Unis les médicaments légaux dérivés de l'opium ont vu leurs ventes quadrupler entre 1999 et 2010. Selon les estimations officielles, les médicaments antidouleur causeraient la mort de près de 15 000 personnes chaque année aux États-Unis. Dans certains États, cette cause de mortalité dépasse celle des accidents de la route ! Plus encore, la mort résultant de l'usage de médicaments dérivés de l'opium vendus légalement dépasse maintenant aux États-Unis les décès dus aux drogues illicites dérivées de l'opium ! En pratique, il devient clair que pour diminuer toutes nos douleurs, nous avons créé une addiction aux "drogues légales" qui tuent actuellement plus que les drogues illégales. C'est devenu, dans les pays riches, un problème majeur de santé publique.
La douleur fait partie de la vie et sert à signaler la maladie. Autant il est légitime de tout mettre en oeuvre pour calmer les douleurs insupportables dont la cause est connue - en particulier les douleurs chroniques d'origine neurologique -, autant nous sommes entrés dans une surutilisation de ces drogues. J'ai ainsi vu une angine douloureuse traitée par de la morphine en intraveineuse ! L'illusion d'un monde sans douleur est mortelle.