[size=38]Bénédiction des couples homosexuels : le Vatican surpris par le refus africain[/size]
Analyse
Le refus des évêques africains, le 11 janvier, de bénir les couples homosexuels a créé la surprise au Vatican. Où l’on semble prendre subitement conscience de l’importance démographique du catholicisme africain.
- Loup Besmond de Senneville (à Rome),
- le 31/01/2024 à 15:06.
Le cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa, célèbre la messe à l’occasion du Synode des évêques à l’autel de la cathèdre dans la basilique Saint-Pierre au Vatican, le 13 octobre dernier.VATICAN MEDIA / IPA AGENCY/M
Le sujet est sur toutes les lèvres. Difficile, en ce début d’année, de croiser un official de la Curie romaine, ces chefs de bureau qui font tourner la machinerie vaticane, sans qu’il vous parle de lui-même de Fiducia supplicans. Rarement, ces dernières années, le Vatican aura été aussi préoccupé que par l’autorisation, donnée le 18 décembre 2023 par le dicastère pour la doctrine de la foi, avec l’approbation du pape François, de bénir les couples « en situation irrégulière », dont ceux formés par des personnes de même sexe.
Et s’il y a une réaction qui, depuis un mois, agite les cercles romains, c’est celle des évêques africains. Car leur « non », refusant d’une même voix, jeudi 11 janvier, de bénir les couples homosexuels, a été sans appel. « Cela causerait une confusion et serait en contradiction directe avec l’ethos culturel des communautés africaines », y argumentait le cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa, président du Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar et proche du pape François, puisqu’il fait partie des neuf cardinaux (le « C9 ») qui entoure le pape dans le gouvernement de l’Église.
« Une grosse surprise »
« Cela a été une grosse surprise », réagit une source vaticane très en vue, à Rome. Comme beaucoup au Vatican, cet acteur semble sonné par l’ampleur de la réaction. N’hésitant d’ailleurs pas à y voir un
« clair acte de rébellion », qu’il cherche cependant à expliquer par un contexte géopolitique :
« Ils ont affaire à l’islam et il faut qu’ils se positionnent clairement. Sans cela, ils seront grignotés. »Ce qui a surpris est davantage la forme, et la méthode de préparation du texte, écrite en solitaire par le théologien argentin, le cardinal Victor Manuel Fernandez, placé à la tête du dicastère pour la doctrine de la foi depuis l’automne, que le fond.
« On savait très bien ce que pensaient les Africains, ils l’avaient dit au Synode deux mois avant, de manière très claire », explicite la même source romaine.
À lire aussiBénédictions des couples homosexuels : le « non » des évêques africainsEn octobre, le sujet de l’homosexualité avait en effet été l’un des plus débattus au sein de la grande salle Paul-VI, où étaient réunis des cardinaux, évêques, religieux et laïcs du monde entier pour réfléchir à l’avenir de l’Église. À plusieurs reprises, au cours de ce sommet à huis clos, les représentants africains avaient affirmé qu’il était hors de question pour eux de bénir les couples homosexuels. Ils s’étaient aussi plaints de la
« pression » des grandes organisations internationales occidentales faisant de la dépénalisation de l’homosexualité, encore illégale dans plus de 30 pays sur le continent, l’une des conditions de l’octroi de fonds. Les évêques africains avaient aussi obtenu la suppression du sigle « LGBT » du rapport final du Synode.
« Comment se fait-il que nous ayons été incapables d’anticiper ? », s’interroge un vieux routard de la Curie. Une question qui trouve peut-être sa réponse dans la très faible présence de ressortissants du continent au sein de la machinerie vaticane. Depuis la démission forcée de Peter Turkson, à la tête du dicastère pour le développement humain intégral, en 2021, quelques mois après le départ à la retraite du cardinal Robert Sarah, ancien préfet de la Congrégation pour le culte divin, plus aucun Africain ne dirige un dicastère. Et on ne compte qu’une vingtaine de ressortissants du continent à travailler dans l’administration du pape.
« La parole s’est clairement libérée »
Le Synode d’octobre, qui a été un lieu inédit d’expression explicite des divergences entre catholiques – ce que ses promoteurs ont appelé
« l’unité dans la diversité » –, a-t-il encouragé les prélats africains à poursuivre sur cette voie ? C’est ce qu’explique en tout cas le cardinal Ambongo, qui, dès la publication de son texte, en a fait une prise de position
« synodale ». Beaucoup, au Vatican, voient aussi dans la prise de position africaine une expression plus libre qu’auparavant.
« La parole s’est clairement libérée, analyse un diplomate du Palais apostolique.
Ils osent exprimer leurs divergences. »Mais à Rome, certains analysent aussi l’émergence de cette voix africaine en rapport avec une réalité démographique, à l’heure où les catholiques de ce continent représentent désormais près de 20 % des fidèles. Un chiffre qui ne fait qu’augmenter, et qui pourrait, selon certaines projections, atteindre 40 % d’ici à 2100.
« La proportion des Africains augmente, alors que l’Europe catholique meurt de mort naturelle, que l’Église en Amérique latine commence à décroître et que l’Asie atteint un plafond », analyse une source vaticane. La question de l’homosexualité, sa définition doctrinale et l’accueil des personnes homosexuelles au sein de l’Église, estiment plusieurs sources romaines, devrait ainsi être l’un des
« points importants » d’un futur conclave.
--------