[size=33]Coqs, canards, cloches... Qui en veut aux bruits de la campagne ?[/size]
Par Thibaut Déléaz
Modifié le 05/09/2019 à 14:52 - Publié le 05/09/2019 à 09:05 | Le Point.fr
Victoire pour Maurice. Ce coq vivant à Saint-Pierre-d'Oléron (Charente-Maritime) va pouvoir continuer de chanter en paix. Ainsi en a décidé, ce jeudi 5 septembre, le tribunal correctionnel de Rochefort, saisi par les voisins Jean-Louis et Joëlle Biron, des Limousins qui ont acheté sur l'île leur résidence secondaire. Ils ne supportaient plus d'entendre l'animal chanter dès le matin et avaient donc dépêché un huissier pour constater que Maurice pousse la chansonnette très tôt chaque jour. Ils avaient ensuite attaqué les propriétaires, Corinne et Jacky Fesseau.
C'est presque devenu une habitude : on ne compte plus le nombre de procès intentés à des cloches, coqs, canards et autres crapauds par des voisins qui ne supportent plus de les entendre. Le cas de Maurice, devenu symbole malgré lui de cette opposition, a même franchi nos frontières, jusqu'aux États-Unis, où il a eu droit aux honneurs du New York Times. Ces conflits de voisinage, hautement médiatisés et en forte hausse, témoigneraient, selon certains, d'une véritable scission du pays, écartelé entre la France des villes et la France des champs.
Dans ce face-à-face, ce sont deux visions qui s'affrontent. Côté rural, on entend défendre ces sons qui font partie du patrimoine historique. Ils seraient mis en danger par des « néoruraux » récemment arrivés des villes qui ne veulent plus entendre un coq chanter ou des cloches sonner. Côté « néo-rural », d'anciens urbains venus échapper au brouhaha citadin défendent coûte que coûte le droit au silence chez soi.
Au Biot (Haute-Savoie), ce sont, par exemple, les cloches des vaches qui dérangeaient des riverains, essentiellement propriétaires de résidences secondaires. Après une pétition – plus de 120 000 signatures ! – et une manifestation pour défendre les bovins, le maire Henri-Victor Tournier a finalement coupé la poire en deux en gardant les cloches, mais en déplaçant l'abreuvoir pour éloigner les bêtes.
Lire aussi Landes : quand des canards provoquent une querelle de voisinage
Les cloches des églises en prennent aussi pour leur grade. À Saint-Chartres (Vienne), un habitant ayant sa résidence secondaire près de l'église veut faire taire les trois angélus quotidiens. « À 7 heures du matin, quand on a des enfants et des petits-enfants, et que c'est branle-bas de combat comme si la guerre était déclarée, ça me dérange », déclarait-il en février dernier à France 3 Nouvelle-Aquitaine. Il a porté l'affaire devant la justice.
Parfois, cette aversion au bruit tourne au ridicule, comme lorsque des touristes logés au presbytère des Bondons (Lozère) demandent au maire de faire sonner les cloches plus tard le matin pour préserver leur sommeil. Dans le Var, le maire du Beausset, Georges Ferrero, a même reçu l'été dernier des plaintes de vacanciers contre le bruit… des cigales ! « Ils m'ont demandé : “Est-ce que vous avez des produits insecticides pour passer sur les arbres ?” » raconte le maire, encore perplexe, à France Bleu Provence.
En 2016, ne supportant plus le bruit des cloches, un couple d'Équemauville (Calvados) est même allé sectionner les câbles électriques de l'église à deux reprises. Les policiers ont retrouvé leur trace quand ils sont venus se plaindre du bruit auprès du maire quelques jours plus tard : le ton est monté, et l'édile s'en est sorti avec cinq jours d'ITT.
Lire aussi Églises : pourquoi les cloches ne sonnent-elles plus ?
Le coq Maurice a eu de la chance. Car si la majorité des cas sont réglés à l'amiable, le tribunal, quand il est saisi, n'est pas toujours clément avec les animaux et les églises. Dans le Bas-Rhin, le tribunal administratif a tranché : les cloches d'Asswiller, attaquées par deux couples, devront sonner moins fort entre 22 heures et 7 heures, ou se taire.
À Margny-lès-Compiègne, petite commune de l'Oise, c'est Coco le coq qui a été contraint au silence par le tribunal. « J'ai été condamné à payer 600 euros et j'ai dû l'éloigner en le plaçant chez une amie pour éviter l'astreinte de 50 euros par jour », explique au Point Nicolas Boucher, son propriétaire. La plaignante, une hôtesse de l'air aux horaires décalés, soutient que le chant de Coco l'empêchait de se reposer. « La juge et la greffière se sont tout de même déplacées pour constater le chant du coq ! Il y a d'autres choses à gérer en France. »
Nicolas Boucher, qui vit aujourd'hui dans la maison de sa grand-mère décédée – le coq lui appartenait –, ne comprend pas pourquoi la présence de Coco est soudainement devenue un problème. « On a toujours eu des animaux. Mes grands-parents avaient construit ce poulailler, est-ce qu'on doit le démonter maintenant ? » Pour lui, « c'est comme si les gens partaient à la mer et se plaignaient des mouettes ! Quand on n'aime pas la nature, on ne vient pas s'installer à la campagne. »
Nicolas Boucher a été condamné à payer 600 euros à sa voisine à cause du chant de son coq Coco.
:copyright: Elie JULIEN / MAXPPP / PHOTOPQR/LE PARISIEN/MAXPPP
Les procès débouchent aussi parfois sur des situations ubuesques. Annie et Michel Pecheras ont été condamnés par la Cour de cassation à reboucher la mare de leur jardin de Grignols (Gironde), qui attire de nombreuses grenouilles, trop bruyantes au goût de leurs voisins. Mais pour respecter la décision de justice, ils devraient se mettre en infraction avec le Code de l'environnement, leur point d'eau abritant pas moins de huit espèces protégées, selon France Bleu Dordogne. Un nouveau procès est prévu en novembre.
« Les juges sont déconnectés de la campagne », dénonce auprès du PointBruno Dionis du Séjour, maire de Gajac (Gironde) et auteur d'une lettre ouverte aux parlementaires sur le sujet, qui estime, par ailleurs, que « la justice a autre chose à faire ». « Les éleveurs ont des vaches, les agriculteurs des tracteurs et des animaux vivent dans la nature. Quand on est en ville, on accepte les bruits de la ville, alors, pourquoi pas à la campagne ? »
Les deux camps seraient-ils irréconciliables ? Côté campagne, des élus montent au créneau pour défendre la ruralité – et les bruits qui vont avec – que les néoruraux viendraient mettre en danger. Certains, comme à Saint-André-de-Valborgne (Gard), ont choisi l'humour. « Attention, village français, vous pénétrez à vos risques et périls, prévient un panneau planté à l'entrée de la commune. Ici, nous avons des clochers qui sonnent régulièrement, des coqs qui chantent très tôt, des troupeaux qui vivent à proximité. […] Si vous ne supportez pas ça, vous n'êtes pas au bon endroit. »
Certains élus préfèrent répliquer par l'humour. « Attention, village français », prévient ainsi un panneau à l'entrée de Saint-André-de-Valborgne.
:copyright: PHILIPPE HUGUEN / AFP
D'autres ont choisi la voie réglementaire. À Saint-Pierre-d'Oléron, le maire Christophe Sueur a pris un arrêté pour proclamer le « caractère rural » de sa commune, espérant protéger Maurice le coq. Faudra-t-il en venir à modifier la législation ? C'est le souhait de Bruno Dionis du Séjour, qui, dans sa lettre ouverte aux parlementaires, demandait « solennellement » que le chant du coq, les cloches de l'église ou encore le braiment de l'âne « soient proclamés patrimoine national ».
Son appel a été entendu par Pierre Morel-À-L'Huissier : le député de Lozère a déposé fin juillet une proposition de loi « visant à définir et à protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises ». « L'idée, ce serait de voir si on peut d'une manière ou d'une autre protéger le patrimoine rural », explique-t-il au Point, assurant que « c'est très sérieux, ce n'est pas une proposition pipeau ! »
Concrètement, « chant du coq, tintement des cloches, braiment de l'âne, odeur du fumier ou des poulaillers [et] coassements de batraciens » pourraient être classés « patrimoine sensoriel des campagnes » et ainsi protégés des poursuites pour troubles anormaux du voisinage. « Quand on vit dans la ruralité, il y a des bruits et odeurs consubstantiels à la vie ou à l'agriculture. Si on porte plainte là-dessus, on porte atteinte à la vie rurale traditionnelle », soutient le député.
[size=33]VIDÉO. Le coq Maurice autorisé à chanter. Les conflits de voisinage entre ruraux, attachés à leurs traditions, et « néoruraux », attachés au silence, se multiplient.[/size]
Par Thibaut Déléaz
Modifié le 05/09/2019 à 14:52 - Publié le 05/09/2019 à 09:05 | Le Point.fr
Victoire pour Maurice. Ce coq vivant à Saint-Pierre-d'Oléron (Charente-Maritime) va pouvoir continuer de chanter en paix. Ainsi en a décidé, ce jeudi 5 septembre, le tribunal correctionnel de Rochefort, saisi par les voisins Jean-Louis et Joëlle Biron, des Limousins qui ont acheté sur l'île leur résidence secondaire. Ils ne supportaient plus d'entendre l'animal chanter dès le matin et avaient donc dépêché un huissier pour constater que Maurice pousse la chansonnette très tôt chaque jour. Ils avaient ensuite attaqué les propriétaires, Corinne et Jacky Fesseau.
C'est presque devenu une habitude : on ne compte plus le nombre de procès intentés à des cloches, coqs, canards et autres crapauds par des voisins qui ne supportent plus de les entendre. Le cas de Maurice, devenu symbole malgré lui de cette opposition, a même franchi nos frontières, jusqu'aux États-Unis, où il a eu droit aux honneurs du New York Times. Ces conflits de voisinage, hautement médiatisés et en forte hausse, témoigneraient, selon certains, d'une véritable scission du pays, écartelé entre la France des villes et la France des champs.
Traditions contre silence
Dans ce face-à-face, ce sont deux visions qui s'affrontent. Côté rural, on entend défendre ces sons qui font partie du patrimoine historique. Ils seraient mis en danger par des « néoruraux » récemment arrivés des villes qui ne veulent plus entendre un coq chanter ou des cloches sonner. Côté « néo-rural », d'anciens urbains venus échapper au brouhaha citadin défendent coûte que coûte le droit au silence chez soi.
Au Biot (Haute-Savoie), ce sont, par exemple, les cloches des vaches qui dérangeaient des riverains, essentiellement propriétaires de résidences secondaires. Après une pétition – plus de 120 000 signatures ! – et une manifestation pour défendre les bovins, le maire Henri-Victor Tournier a finalement coupé la poire en deux en gardant les cloches, mais en déplaçant l'abreuvoir pour éloigner les bêtes.
Lire aussi Landes : quand des canards provoquent une querelle de voisinage
Les cloches des églises en prennent aussi pour leur grade. À Saint-Chartres (Vienne), un habitant ayant sa résidence secondaire près de l'église veut faire taire les trois angélus quotidiens. « À 7 heures du matin, quand on a des enfants et des petits-enfants, et que c'est branle-bas de combat comme si la guerre était déclarée, ça me dérange », déclarait-il en février dernier à France 3 Nouvelle-Aquitaine. Il a porté l'affaire devant la justice.
Faire taire les cigales
Parfois, cette aversion au bruit tourne au ridicule, comme lorsque des touristes logés au presbytère des Bondons (Lozère) demandent au maire de faire sonner les cloches plus tard le matin pour préserver leur sommeil. Dans le Var, le maire du Beausset, Georges Ferrero, a même reçu l'été dernier des plaintes de vacanciers contre le bruit… des cigales ! « Ils m'ont demandé : “Est-ce que vous avez des produits insecticides pour passer sur les arbres ?” » raconte le maire, encore perplexe, à France Bleu Provence.
En 2016, ne supportant plus le bruit des cloches, un couple d'Équemauville (Calvados) est même allé sectionner les câbles électriques de l'église à deux reprises. Les policiers ont retrouvé leur trace quand ils sont venus se plaindre du bruit auprès du maire quelques jours plus tard : le ton est monté, et l'édile s'en est sorti avec cinq jours d'ITT.
Lire aussi Églises : pourquoi les cloches ne sonnent-elles plus ?
Condamnations
Le coq Maurice a eu de la chance. Car si la majorité des cas sont réglés à l'amiable, le tribunal, quand il est saisi, n'est pas toujours clément avec les animaux et les églises. Dans le Bas-Rhin, le tribunal administratif a tranché : les cloches d'Asswiller, attaquées par deux couples, devront sonner moins fort entre 22 heures et 7 heures, ou se taire.
[size=38]Quand on n'aime pas la nature, on ne vient pas s'installer à la campagne.[/size]
À Margny-lès-Compiègne, petite commune de l'Oise, c'est Coco le coq qui a été contraint au silence par le tribunal. « J'ai été condamné à payer 600 euros et j'ai dû l'éloigner en le plaçant chez une amie pour éviter l'astreinte de 50 euros par jour », explique au Point Nicolas Boucher, son propriétaire. La plaignante, une hôtesse de l'air aux horaires décalés, soutient que le chant de Coco l'empêchait de se reposer. « La juge et la greffière se sont tout de même déplacées pour constater le chant du coq ! Il y a d'autres choses à gérer en France. »
Nicolas Boucher, qui vit aujourd'hui dans la maison de sa grand-mère décédée – le coq lui appartenait –, ne comprend pas pourquoi la présence de Coco est soudainement devenue un problème. « On a toujours eu des animaux. Mes grands-parents avaient construit ce poulailler, est-ce qu'on doit le démonter maintenant ? » Pour lui, « c'est comme si les gens partaient à la mer et se plaignaient des mouettes ! Quand on n'aime pas la nature, on ne vient pas s'installer à la campagne. »
Nicolas Boucher a été condamné à payer 600 euros à sa voisine à cause du chant de son coq Coco.
:copyright: Elie JULIEN / MAXPPP / PHOTOPQR/LE PARISIEN/MAXPPP
[size=38]Quand on est en ville, on accepte les bruits de la ville, alors, pourquoi pas à la campagne ?[/size]
Les procès débouchent aussi parfois sur des situations ubuesques. Annie et Michel Pecheras ont été condamnés par la Cour de cassation à reboucher la mare de leur jardin de Grignols (Gironde), qui attire de nombreuses grenouilles, trop bruyantes au goût de leurs voisins. Mais pour respecter la décision de justice, ils devraient se mettre en infraction avec le Code de l'environnement, leur point d'eau abritant pas moins de huit espèces protégées, selon France Bleu Dordogne. Un nouveau procès est prévu en novembre.
« Les juges sont déconnectés de la campagne », dénonce auprès du PointBruno Dionis du Séjour, maire de Gajac (Gironde) et auteur d'une lettre ouverte aux parlementaires sur le sujet, qui estime, par ailleurs, que « la justice a autre chose à faire ». « Les éleveurs ont des vaches, les agriculteurs des tracteurs et des animaux vivent dans la nature. Quand on est en ville, on accepte les bruits de la ville, alors, pourquoi pas à la campagne ? »
Les deux camps seraient-ils irréconciliables ? Côté campagne, des élus montent au créneau pour défendre la ruralité – et les bruits qui vont avec – que les néoruraux viendraient mettre en danger. Certains, comme à Saint-André-de-Valborgne (Gard), ont choisi l'humour. « Attention, village français, vous pénétrez à vos risques et périls, prévient un panneau planté à l'entrée de la commune. Ici, nous avons des clochers qui sonnent régulièrement, des coqs qui chantent très tôt, des troupeaux qui vivent à proximité. […] Si vous ne supportez pas ça, vous n'êtes pas au bon endroit. »
Certains élus préfèrent répliquer par l'humour. « Attention, village français », prévient ainsi un panneau à l'entrée de Saint-André-de-Valborgne.
:copyright: PHILIPPE HUGUEN / AFP
Bientôt une loi ?
D'autres ont choisi la voie réglementaire. À Saint-Pierre-d'Oléron, le maire Christophe Sueur a pris un arrêté pour proclamer le « caractère rural » de sa commune, espérant protéger Maurice le coq. Faudra-t-il en venir à modifier la législation ? C'est le souhait de Bruno Dionis du Séjour, qui, dans sa lettre ouverte aux parlementaires, demandait « solennellement » que le chant du coq, les cloches de l'église ou encore le braiment de l'âne « soient proclamés patrimoine national ».
[size=38]L'idée, ce serait de voir si on peut, d'une manière ou d'une autre, protéger le patrimoine rural.[/size]
Son appel a été entendu par Pierre Morel-À-L'Huissier : le député de Lozère a déposé fin juillet une proposition de loi « visant à définir et à protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises ». « L'idée, ce serait de voir si on peut d'une manière ou d'une autre protéger le patrimoine rural », explique-t-il au Point, assurant que « c'est très sérieux, ce n'est pas une proposition pipeau ! »
Concrètement, « chant du coq, tintement des cloches, braiment de l'âne, odeur du fumier ou des poulaillers [et] coassements de batraciens » pourraient être classés « patrimoine sensoriel des campagnes » et ainsi protégés des poursuites pour troubles anormaux du voisinage. « Quand on vit dans la ruralité, il y a des bruits et odeurs consubstantiels à la vie ou à l'agriculture. Si on porte plainte là-dessus, on porte atteinte à la vie rurale traditionnelle », soutient le député.