[ltr]Composition et message de la péricope de la femme adultère (Jn 7,53–8,11)[/ltr]
Jacek Oniszczuk
Traduction de Roland Meynet
https://doi.org/10.4000/rhetorique.488
Texte
Questions textuelles
Questions grammaticales et lexicographiques
[ltr]Agrandir Original (jpeg, 24k)[/ltr]
la suite c'est ici.
https://journals.openedition.org/rhetorique/488
Jacek Oniszczuk
Traduction de Roland Meynet
https://doi.org/10.4000/rhetorique.488
[ltr]Plan[/ltr]
TexteQuestions textuelles
Questions grammaticales et lexicographiques
- 1 Voir B. M. Metzger, A Textual Commentary on the Greek New Testament, Stuttgart, United Bible Societ (...)
- 2 Voir, par ex., J. Mateos – J. Barreto, El Evangelio de Juan. Análisis lingüístico y comentario exe (...)
- 3 Voir K. Wengst, Il vangelo di Giovanni, Brescia, Queriniana, 2005, p. 331.
- 4 Voir R. E. Brown, Giovanni. Commento al Vangelo spirituale, Assise, Cittadella, 1999, p. 435 ; voi (...)
- 5 Cité par R. Schnackenburg, Il Vangelo di Giovanni, II, Brescia, Paideia, 1977, p. 302.
1
La péricope qui rapporte l’histoire de la femme adultère est bien connue, surtout à cause de son message qui met en évidence la grande miséricorde de Dieu, laquelle se manifeste dans la personne de Jésus. Pourtant, les exégètes modernes y ont consacré des fleuves d’encre surtout pour d’autres raisons : ce sont d’abord les problèmes historico-critiques de l’authenticité du texte de Jean et de sa place dans le canon, c’est aussi la signification du geste mystérieux de Jésus qui écrit avec son doigt sur le sol. Parmi les problèmes historico-critiques, le plus important est celui que soulève la critique textuelle qui, avec la majorité des chercheurs, affirme qu’à l’origine la péricope n’appartenait pas à l’évangile de Jean1. C’est pourquoi certains commentaires importants ne la considèrent même pas2, ou s’ils la considèrent, ils ne la font pas remonter à Jésus et jugent qu’elle ne peut être comptée parmi les textes d’« une tradition communautaire de style juif3 ». Toutefois, la majorité des exégètes fait valoir à juste titre que le récit a toutes les caractéristiques d’une ancienne tradition sur Jésus4, reprenant souvent les mots de Wilhelm Heitmüller, qui appelle la péricope une « perle égarée de la tradition antique5 ».- 6 Dans l’édition critique du texte grec de la 28e édition de Nestle–Aland la péricope est mise entre (...)
- 7 Voir R. Meynet, Traité de rhétorique biblique, Pendé, Gabalda (Rhétorique sémitique 11), 2013. Les (...)
2
Le présent article se propose d’aborder le texte de Jn 7,53–8,11, en utilisant pour la première fois l’analyse rhétorique biblique et sémitique, non pas tant pour discuter les questions historico-critiques mais pour relever le défi d’interpréter le texte tel qu’il est maintenant dans le canon des Écritures, grâce à une analyse approfondie de sa composition. Le problème textuel dont il a été question aide, d’une manière très claire et objective, à délimiter le texte analysé6, et il sera repris brièvement dans la rubrique Texte, la première étape de la méthodologie utilisée ici. Une plus grande attention sera toutefois accordée à la composition de la péricope qui, avec les considérations sur son contexte biblique, permettront enfin d’aborder certaines questions d’interprétation, en particulier à propos du geste mystérieux de Jésus. Ainsi, le parcours exégétique suivi dans cette étude correspond aux principales étapes de l’analyse rhétorique biblique et sémitique (Texte, Contexte biblique et Interprétation), telle qu’elle est décrite dans le Traité de Roland Meynet7.Texte
- 8 Traduction de La Bible de Jérusalem, nouvelle édition revue et corrigée (Paris, éd. du Cerf, 1998) (...)
7,53 Et ils s’en allèrent chacun chez soi. 8,1 Quant à Jésus, il alla au mont des Oliviers. 2 Mais, dès l’aurore, de nouveau il fut là dans le Temple, et tout le peuple venait à lui, et s’étant assis il les enseignait. 3 Or les scribes et les Pharisiens amènent une femme surprise en adultère et, la plaçant au milieu, 4 ils disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. 5 Or, dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Toi donc, que dis-tu ? » 6 Ils disaient cela pour le mettre à l’épreuve, afin d’avoir matière à l’accuser. Mais Jésus, se baissant, se mit à écrire avec son doigt sur le sol. 7 Comme ils persistaient à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre ! » 8 Et se baissant de nouveau, il écrivait sur le sol. 9 Mais eux, entendant cela, s’en allèrent un à un, à commencer par les plus vieux ; et il fut laissé seul, avec la femme toujours là au milieu. 10 Alors, se redressant, Jésus lui dit : « Femme, où sont-ils ? Personne ne t’a condamnée ? » 11 Elle dit : « Personne, Seigneur. » Alors Jésus dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus. »8
Questions textuelles
- 9 Voir W. Willker, A Textual Commentary on the Greek Gospels. Vol. 4b. The Pericope de Adultera : Jo (...)
- 10 Voir par exemple à la fin de 8,8 l’insertion dans peu de manuscrits : henos hekastou autōn tas ham (...)
- 11 Ce n’est pas non plus le but de cet article de traiter des questions (fort intéressantes mais auss (...)
3
Pour les 183 mots que compte la péricope le texte grec présente plus de 80 variantes différentes9. La plupart sont des gloses ou des additions qui cherchent à expliquer certaines rugosités du récit10, mais qui, du point de vue de la critique textuelle, ne représentent pas de réel problème, car elles se trouvent dans des manuscrits relativement peu nombreux ou de peu d’autorité. On peut donc raisonnablement omettre de les analyser ; en revanche, il est nécessaire de traiter, même brièvement, de la question de l’authenticité johannique de la péricope11.- 12 Il faut mentionner surtout les plus anciens papyrus (P66,75), les meilleurs codex (Vaticanus et Si (...)
- 13 Les chercheurs notent que beaucoup de termes n’apparaissent pas dans Jn et sont plus caractéristiq (...)
4
La preuve textuelle contre l’appartenance de la péricope au texte original du quatrième Évangile est très claire. Pour ce qui est de la preuve externe la péricope est absente des manuscrits indépendants les plus anciens12 et chez les Pères de l’Église jusqu’au quatrième siècle. Le témoin le plus ancien qui relate la péricope est le codex de Bèze (Ve siècle) ; viennent ensuite de nombreux manuscrits grecs, la majorité de la tradition de la Vieille latine et de la Vulgate. Cependant, le récit est déjà mentionné dans la Didascalia apostolorum (un document de l’Église syrienne du IIIe siècle) et sa canonicité est assidûment défendue par les Pères latins (Ambroise, Augustin et Jérôme). L’examen de la preuve interne conduit à une conclusion similaire, soit à cause des caractéristiques du vocabulaire non johannique utilisé13, soit à cause d’une certaine interruption dans la continuité de la narration de 7,1 à 8,59. En outre, la position de la péricope dans les manuscrits n’est pas constante. Bien que la majorité la rapporte en Jn 7,53–8,11, certains la mettent après Jn 7,36 ou à la fin de Jean, après Luc 21,38 ou à la fin de Luc.- 14 F. Rousseau (« La femme adultère. Structure de Jn 7,53–8,11 », Biblica 59 [1978], p. 463-480) note (...)
- 15 L’omission de la péricope dans les manuscrits les plus anciens peut s’expliquer par la discipline (...)
5
En conclusion, bien que l’authenticité johannique de la péricope soit probablement à exclure, toutefois, étant donné les anciens témoignages ecclésiastiques et les caractéristiques de son texte14, ainsi que son message décidément évangélique, il n’est guère possible de douter de sa valeur canonique : il s’agit bien d’un récit qui provient de l’ancienne tradition orale sur Jésus15.Questions grammaticales et lexicographiques
- 16 Voir G. Kittel – G. Bromiley, Theological Dictionary of the New Testament (Abridged), 129, dans Bi (...)
- 17 Le sens du verbe est pertinent pour la discussion sur le fait que Jésus n’était pas analphabète ; (...)
- 18 Noter qu’en Ex 30,18 (Dt 9,10 ajoute la préposition grecque en, « avec »), la formulation est au d (...)
6
En 8,6 le geste énigmatique de Jésus est exprimé par l’expression grecque tōi daktylōi kategraphen eis tēn gēn (« avec le doigt il écrivait sur la terre »). Le verbe katagraphō est un verbe composé (kata + graphō), dont la racine signifie à l’origine « graver » (1R 6,28 ; Is 22,16 ; Dt 27,3 ; dans la Septante [LXX]16) ou plus généralement « enregistrer » ou « dessiner », mais dans le Nouveau Testament (NT) il se réfère le plus souvent à l’« écriture17 ». L’acte d’« écrire avec le doigt » est très rare dans la Bible et se réduit pratiquement à trois événements : outre celui de Jn 8,6, il n’apparaît que dans le cas des tables de pierre, confiées à Moïse sur le mont Sinaï, « écrites par le doigt de Dieu » (gegrammenas tōi daktylōitou theou ; Ex 31,18 ; voir aussi Dt 9,10 dans la LXX18) et dans le récit de l’écriture sur le mur du palais du roi Balthazar, faite par « les doigts d’une main d’homme » (daktyloi cheiros anthrōpou, Dn 5,5). L’acte d’« écrire sur la terre » n’apparaît que dans un texte de Jérémie, où le prophète menace ceux qui se détournent du Seigneur d’« être écrits sur la terre » (epi tēs gēs graphētōsan ; Jr 17,3, LXX ; le texte hébreu dit : « seront écrits sur la terre »).- 19 Voir Kittel – Bromiley, Theological Dictionary, op. cit., p. 53.
- 20 Voir A. Watson (« Jesus and the Adulteress », Biblica 80 [1999], p. 101-108), pour qui cet usage i (...)
7
Dans les mots qui suivent le geste « d’écrire sur la terre » Jésus utilise le substantif grec anamartētos, traduit ici par « sans péché » (8,7), un hapax dans le NT (dans la LXX il n’apparaît que trois fois : Dt 29,18 ; 2M 8,4 ; 12,42). Dans la littérature grecque le terme est assez fréquent et signifie généralement « sans défaut », pas nécessairement dans le sens moral ou religieux, mais le contexte de la scène johannique implique la non-culpabilité devant Dieu, mais sans référence spécifique à la sphère sexuelle19. L’utilisation du substantif au singulier et avec l’article défini ne semble pas du tout étrange, car il est impliqué par la construction grammaticale de la phrase ho anamartētos hymōn prōtos ep’autēn baletō lithon), où le « premier » qui jette la pierre ne peut être qu’un seul, mais il n’est pas davantage défini20.- 21 Voir Kittel – Bromiley, Theological Dictionary, op. cit., p. 932.
- 22 Voir Schnackenburg, Il Vangelo di Giovanni, op. cit., II, p. 311.
8
Au début ce sont « les scribes et les pharisiens » (8,3) qui conduisent la femme adultère à Jésus, mais à la fin ceux qui quittent la scène les premiers sont « les plus vieux » (8,9). L’adjectif comparatif pluriel presbyteroi, qui n’apparaît qu’ici dans Jean, prend souvent dans la tradition juive et chrétienne un sens technique, indiquant une mission (voir Mt 15,2) ou un titre désignant les membres d’un organisme officiel, en particulier le Sanhédrin (voir Lc 22,66 ; 1Tim 4,1421). Mais dans Jn 8,9 on doit plutôt exclure le sens technique, parce que le contexte suggère qu’il s’agit ici simplement de gens d’un âge avancé22.Composition
- 23 La traduction de la réécriture suit à la lettre le texte grec et ne peut donc pas respecter la gra (...)
- 24 Pour une explication détaillée de la terminologie utilisée dans l’analyse rhétorique biblique, voi (...)
9
Le texte23 de la péricope, de la taille d’un passage24, est composé de trois parties disposées concentriquement précédées d’une introduction (7,53–8,2). Celle-ci fournit les circonstances de l’événement : le temps (« à l’aube »), le lieu (« le temple ») et l’activité de Jésus (« s’étant assis, il enseignait ») :[ltr]Agrandir Original (jpeg, 24k)[/ltr]
10
Le premier segment bimembre oppose l’« aller » (7,53) des protagonistes de la scène précédente (y compris les « pharisiens » ; voir 7,47) et l’« aller » de Jésus (8,1), préparant ainsi le conflit, développé plus tard, entre les protagonistes de cette scène et le Maître. Les circonstances de l’événement sont importantes, car dès le début elles montrent la grande autorité de Jésus (« s’étant assis il les enseignait » dans le « temple »), qui sera ensuite comparée à celle de « Moïse » et de la « Loi » (8,5).11
La symétrie du corps du récit autour de la partie centrale (8,6c- est facilement démontrable grâce à une série de parallélismes formels, mis en évidence dans la réécriture :- les termes initiaux pour les parties extrêmes : « conduisent » (3a) et « sortaient » (9a) qui indiquent deux mouvements opposés ;
- le substantif « femme », deux fois dans chacune des parties extrêmes (3b.4b ; 9d.10b) et l’expression « au milieu » (3c.9d) ;
- la présence des questions, limitée aux parties extrêmes (5b.10bc) ;
- la régularité du verbe « dire », trois fois dans chacune des parties extrêmes (4a.5b.6a ; 10a.11a.11c) et une seule dans la partie centrale (7b) ;
- les verbes appartenant au vocabulaire judiciaire « accuser » (6b) et « condamner » (10c.11d) ;
- l’opposition sémantique entre « prendre » (3b.4b) et « laisser » (9c).
12
On notera que la composition des parties extrêmes est similaire : chacune est formée de trois morceaux, et en outre les morceaux centraux se correspondent, en s’opposant. En effet, alors que le premier contient le seul discours des accusateurs qui, se tournant vers Jésus avec le vocatif « Maitre », lui dénoncent le péché de la femme et qu’ils veulent la lapider (4b-5), l’autre rapporte le seul discours de l’« accusée » qui, se tournant vers Jésus avec le vocatif « Seigneur », confirme que personne ne veut plus la condamner (11).- 25 Entre les segments 6ab et 6cd il y a une nette séparation, ce qui justifie leur distribution en de (...)
13
La première partie se focalise sur la question posée à Jésus (5b) ; en effet, les morceaux extrêmes sont narratifs (3-4a ; 6ab), tandis que le morceau central, contenant la question, est discursif (4b-525). Dans les deux membres de 5 les accusateurs opposent ce que « Moïse avait ordonné » (5a) à ce que Jésus pourrait « dire » (5b).la suite c'est ici.
https://journals.openedition.org/rhetorique/488