Réforme du médicament - "Prescrire" : "Les conflits d'intérêts ne vont pas disparaître de sitôt"
Le Point.fr - Publié le 01/08/2011 à 20:01
La revue médicale indépendante de l'industrie pharmaceutique salue le projet de loi présenté par Xavier Bertrand. Mais elle souligne ses nombreuses failles.
Neuf mois après la révélation du scandale sur le Mediator, le ministre de la Santé Xavier Bertrand a présenté, lundi, en conseil des ministres son projet de loi sur le médicament, qui sera examiné par le Parlement dès septembre. Le Point.fr a interrogé le directeur de la rédaction de la revue Prescrire, Bruno Toussaint.
Le Point.fr : Que vous inspire le projet de loi sur le médicament ?
Bruno Toussaint : On nous avait annoncé une loi, on l'a. Ce texte contient des mesures intéressantes et bienvenues en termes de transparence. S'il est mis en oeuvre, c'est bien. Mais il n'est pas complet pour autant.
L'accent est en effet mis sur la transparence, avec notamment l'obligation pour l'entourage de ministres de remplir des déclarations d'intérêts. C'est une avancée ?
C'est une très bonne chose. Mais cela ne suffit pas. Il faut garantir l'accès du public à tous les documents qui ont permis de préparer la mise sur le marché d'un médicament.
Dans le même esprit, les médecins prescrivant un médicament pour d'autres raisons que son utilisation principale devront le préciser sur les ordonnances.
C'est de là qu'est parti tout le scandale du Mediator, un antidiabétique censé favoriser la perte de poids. Le médicament était prescrit en dehors de son autorisation de mise sur le marché (AMM). Mais attention, il ne faut pas pour autant interdire ces prescriptions hors AMM. Il existe en effet certaines maladies rares, qui n'intéressent pas les laboratoires pharmaceutiques, et qui nécessitent des traitements conçus pour d'autres maladies. C'est une bonne initiative, du moment que ce ne sont pas les firmes qui sont à la manoeuvre.
Justement, les laboratoires pharmaceutiques auront désormais l'obligation de rendre publics les avantages qu'ils procurent aux médecins. Cela va dans le bon sens ?
Tout à fait, mais attention aux détails. Le texte prévoit que cette déclaration soit effectuée au-delà d'un certain seuil, qui sera fixé par décret. Et contrairement à ce que l'on pense, ce sont souvent les plus petits cadeaux faits aux médecins ou aux pharmaciens qui font le plus d'effet. Il ne doit pas y avoir de seuil. Il ne faut pas rêver, en permettant cela, les conflits d'intérêts ne vont pas disparaître de sitôt.
D'autant qu'il n'y a rien dans le texte sur la recherche médicamenteuse...
C'est le problème. La recherche doit être indépendante des laboratoires pharmaceutiques, or ce n'est pas du tout le cas aujourd'hui. Les laboratoires cherchent eux-mêmes les produits qui les feront vivre. Avec une conséquence encore plus inquiétante : ce sont les firmes qui fournissent les données d'évaluation clinique de leurs médicaments. Là encore, le conflit d'intérêts n'est pas réglé.
Le projet de loi renforce considérablement les contrôles lors de la mise sur le marché de nouveaux médicaments.
C'est bien, mais il manque là encore un élément déterminant. Tout nouveau médicament mis sur le marché doit être comparé au médicament de référence déjà en vente dans le même domaine. Car il est impératif de s'assurer qu'il fait au moins mieux que ce qui existe déjà. Xavier Bertrand avait fait part de son exigence à ce sujet-là. Mais ça n'est pas dans le projet de loi final. J'espère que les parlementaires le feront évoluer.
Au final, êtes-vous d'accord avec Xavier Bertrand qui estime que ce projet de loi marque une réforme "radicale" du marché du médicament ?
Non. Tant qu'on ne se sera pas attaqué au financement de la recherche, il n'y aura pas de changement "radical" dans cette industrie.
Le Point.fr - Publié le 01/08/2011 à 20:01
La revue médicale indépendante de l'industrie pharmaceutique salue le projet de loi présenté par Xavier Bertrand. Mais elle souligne ses nombreuses failles.
Neuf mois après la révélation du scandale sur le Mediator, le ministre de la Santé Xavier Bertrand a présenté, lundi, en conseil des ministres son projet de loi sur le médicament, qui sera examiné par le Parlement dès septembre. Le Point.fr a interrogé le directeur de la rédaction de la revue Prescrire, Bruno Toussaint.
Le Point.fr : Que vous inspire le projet de loi sur le médicament ?
Bruno Toussaint : On nous avait annoncé une loi, on l'a. Ce texte contient des mesures intéressantes et bienvenues en termes de transparence. S'il est mis en oeuvre, c'est bien. Mais il n'est pas complet pour autant.
L'accent est en effet mis sur la transparence, avec notamment l'obligation pour l'entourage de ministres de remplir des déclarations d'intérêts. C'est une avancée ?
C'est une très bonne chose. Mais cela ne suffit pas. Il faut garantir l'accès du public à tous les documents qui ont permis de préparer la mise sur le marché d'un médicament.
Dans le même esprit, les médecins prescrivant un médicament pour d'autres raisons que son utilisation principale devront le préciser sur les ordonnances.
C'est de là qu'est parti tout le scandale du Mediator, un antidiabétique censé favoriser la perte de poids. Le médicament était prescrit en dehors de son autorisation de mise sur le marché (AMM). Mais attention, il ne faut pas pour autant interdire ces prescriptions hors AMM. Il existe en effet certaines maladies rares, qui n'intéressent pas les laboratoires pharmaceutiques, et qui nécessitent des traitements conçus pour d'autres maladies. C'est une bonne initiative, du moment que ce ne sont pas les firmes qui sont à la manoeuvre.
Justement, les laboratoires pharmaceutiques auront désormais l'obligation de rendre publics les avantages qu'ils procurent aux médecins. Cela va dans le bon sens ?
Tout à fait, mais attention aux détails. Le texte prévoit que cette déclaration soit effectuée au-delà d'un certain seuil, qui sera fixé par décret. Et contrairement à ce que l'on pense, ce sont souvent les plus petits cadeaux faits aux médecins ou aux pharmaciens qui font le plus d'effet. Il ne doit pas y avoir de seuil. Il ne faut pas rêver, en permettant cela, les conflits d'intérêts ne vont pas disparaître de sitôt.
D'autant qu'il n'y a rien dans le texte sur la recherche médicamenteuse...
C'est le problème. La recherche doit être indépendante des laboratoires pharmaceutiques, or ce n'est pas du tout le cas aujourd'hui. Les laboratoires cherchent eux-mêmes les produits qui les feront vivre. Avec une conséquence encore plus inquiétante : ce sont les firmes qui fournissent les données d'évaluation clinique de leurs médicaments. Là encore, le conflit d'intérêts n'est pas réglé.
Le projet de loi renforce considérablement les contrôles lors de la mise sur le marché de nouveaux médicaments.
C'est bien, mais il manque là encore un élément déterminant. Tout nouveau médicament mis sur le marché doit être comparé au médicament de référence déjà en vente dans le même domaine. Car il est impératif de s'assurer qu'il fait au moins mieux que ce qui existe déjà. Xavier Bertrand avait fait part de son exigence à ce sujet-là. Mais ça n'est pas dans le projet de loi final. J'espère que les parlementaires le feront évoluer.
Au final, êtes-vous d'accord avec Xavier Bertrand qui estime que ce projet de loi marque une réforme "radicale" du marché du médicament ?
Non. Tant qu'on ne se sera pas attaqué au financement de la recherche, il n'y aura pas de changement "radical" dans cette industrie.