[size=38]En Afrique, « certains pasteurs évangéliques achètent le titre de docteur honoris causa »[/size]
Lecture en 3 min.
« Aujourd’hui, pour des intérêts autres que ceux de l’Église, certains individus se donnent la liberté, par orgueil, d’exercer une fonction pour laquelle ils n’ont pas la formation ou la compétence, ou pire, qu’ils ne méritent pas », dénonce Bony Guiblehon.[size=12]PHILIPPE LISSAC/GODONG/MAXPPP
[/size]
La Croix : Dans un article paru dans Fraternité Matin début mars, vous décrivez un phénomène de mercantilisation de titres honorifiques dans certaines églises évangéliques. De quoi s’agit-il ?
Bony Guiblehon : L’une des particularités des églises évangéliques africaines est l’existence en leur sein d’une course effrénée aux titres et honneurs dans laquelle excellent de nombreux pasteurs consacrés ou autoproclamés.
Le dernier titre qui fait polémique est celui du doctorat honoris causa que des pasteurs ou fidèles achètent. Selon des entretiens que nous avons eus avec des fidèles et pasteurs qui souhaitent garder l’anonymat, deux grands réseaux évangéliques et pasteurs sont impliqués sur le marché d’attribution de ce doctorat. Le premier est dirigé par le Président fondateur d’une organisation non gouvernementale (ONG) qui est le partenaire privilégié d’une université américaine dont le campus Afrique, Asie et Moyen-Orient se trouve au Malawi.
Dans le processus d’attribution des doctorats, cette ONG, en tant que partenaire et représentante pour la sous-région, identifie de potentiels candidats et les propose à l’université américaine. Les lauréats — et c’est là toute la question — payent auprès de l’ONG une somme qui varie entre 4 600 000 et 5 000 000 FCFA [7 600 € NDLR] pour couvrir les frais administratifs et toutes les autres charges liées à la cérémonie de remise du diplôme qui se déroule au Malawi.
Le deuxième réseau concerne une autre université américaine dont le campus-pôle francophone se trouve au Canada. Le représentant de cette université pour la Côte d’Ivoire est un pasteur avec qui nous avons eu un entretien le 20 décembre 2019. Il a précisé que « l’objectif de sa structure est de récompenser les serviteurs de Dieu les plus méritants et contrairement au président de l’ONG qui demande jusqu’à 5 000 000 FCFA aux candidats, chez lui, les candidats paient des sommes dérisoires négociées avec l’université pour ne pas” bloquer l’avancement des pasteurs” ».
Pourquoi les pasteurs cherchent-ils ce titre de docteur honoris causa ?
Bony Guiblehon : Derrière la course aux honneurs, il y a plusieurs enjeux.
D’abord la lutte pour le positionnement social. En fait, la surenchère est une façon ingénieuse pour certains pasteurs d’avoir une reconnaissance sociale. Elle leur permet une hiérarchisation et une « élitisation » du corps pastoral qui les positionne en haut de la hiérarchie sacerdotale ou sociale. Quant aux fidèles, situés dans les strates inférieures de l’Église, ils ne sont pas en reste : ceux qui ont de l’argent achètent aussi des doctorats à travers les mêmes circuits ou réseaux.
Il y a, ensuite, le leadership des organisations nationales « inter-dénominationnelles ». Généralement, les pasteurs les plus gradés ou docteurs estiment que les titres leur donnent le droit de diriger toutes les grandes organisations fédérales ecclésiastiques nationales et ainsi de contrôler tous les leviers du pouvoir. Dans cette logique, certains acceptent difficilement la remise en cause de leur leadership dans la gouvernance des affaires de l’Église, surtout en matière financière et du renouvellement des mandats électoraux.
Enfin, le dernier enjeu est le contrôle des politiques de rente. Aujourd’hui, beaucoup de pasteurs aspirent aux privilèges que leur confère leur titre : voiture de luxe, résidence somptueuse, voyage en première classe, salaire confortable, tout en cultivant la peur par des menaces d’ordre magique.
À lire aussi
Pour les évêques d’Afrique, le défi des nouvelles spiritualités
La même logique capitaliste est observée dans la construction de temples gigantesques financés à coups de milliards de francs CFA par des fidèles pour la plupart pauvres et dont ces pasteurs espèrent tirer profit financièrement ou économiquement, par leur nombre. Il en va de même de la suppression de l’âge de la retraite des pasteurs dans les statuts et règlements intérieurs de certaines Églises.
Les pasteurs ont-ils perdu toute crédibilité ?
Bony Guiblehon : Dans la Bible, un prophète ne s’autoproclame jamais mais le devient par l’appréciation des autres, c’est-à-dire lorsque les autres approuvent sa parole comme étant réellement une parole révélée. Le pastorat est donc un ministère qui ne s’invente pas ou ne s’autoproclame pas, contrairement à ce que nous constatons dans des églises. Car aujourd’hui, pour des intérêts autres que ceux de l’Église, certains individus se donnent la liberté, par orgueil, d’exercer une fonction pour laquelle ils n’ont pas la formation ou la compétence, ou pire, qu’ils ne méritent pas. Cette situation entérine non seulement la banalisation de cette fonction sacrée mais aussi l’insignifiance accrue de la notion même de pasteur et sa perte de crédibilité.
(1) « Le scandale des doctorats honoris causa dans les Églises évangéliques de Côte d’Ivoire : devoir de vérité », In Fraternité Matin N° 16570. P. 14, publié jeudi 12 mars.
Bony Guiblehon est anthropologue, spécialiste des religions et enseignant chercheur à l’université de Bouaké, en Côte d’Ivoire. Lui-même pasteur, il fustige les titres ronflants décernés dans certaines églises évangéliques en échange d’argent.
- Recueilli par Lucie Sarr,
- le 25/03/2020 à 16:04
Lecture en 3 min.
« Aujourd’hui, pour des intérêts autres que ceux de l’Église, certains individus se donnent la liberté, par orgueil, d’exercer une fonction pour laquelle ils n’ont pas la formation ou la compétence, ou pire, qu’ils ne méritent pas », dénonce Bony Guiblehon.[size=12]PHILIPPE LISSAC/GODONG/MAXPPP
[/size]
COMMENTER
ENVOYER PAR MAIL
PARTAGER SUR FACEBOOK
PARTAGER SUR TWITTER
MODIFIER LA TAILLE DU TEXTE
TÉLÉCHARGER AU FORMAT PDF
LECTURE FACILE
IMPRIMER
RÉAGIR
ENVOYER
PARTAGER
TWITTER
La Croix : Dans un article paru dans Fraternité Matin début mars, vous décrivez un phénomène de mercantilisation de titres honorifiques dans certaines églises évangéliques. De quoi s’agit-il ?
Bony Guiblehon : L’une des particularités des églises évangéliques africaines est l’existence en leur sein d’une course effrénée aux titres et honneurs dans laquelle excellent de nombreux pasteurs consacrés ou autoproclamés.
Le dernier titre qui fait polémique est celui du doctorat honoris causa que des pasteurs ou fidèles achètent. Selon des entretiens que nous avons eus avec des fidèles et pasteurs qui souhaitent garder l’anonymat, deux grands réseaux évangéliques et pasteurs sont impliqués sur le marché d’attribution de ce doctorat. Le premier est dirigé par le Président fondateur d’une organisation non gouvernementale (ONG) qui est le partenaire privilégié d’une université américaine dont le campus Afrique, Asie et Moyen-Orient se trouve au Malawi.
Dans le processus d’attribution des doctorats, cette ONG, en tant que partenaire et représentante pour la sous-région, identifie de potentiels candidats et les propose à l’université américaine. Les lauréats — et c’est là toute la question — payent auprès de l’ONG une somme qui varie entre 4 600 000 et 5 000 000 FCFA [7 600 € NDLR] pour couvrir les frais administratifs et toutes les autres charges liées à la cérémonie de remise du diplôme qui se déroule au Malawi.
Le deuxième réseau concerne une autre université américaine dont le campus-pôle francophone se trouve au Canada. Le représentant de cette université pour la Côte d’Ivoire est un pasteur avec qui nous avons eu un entretien le 20 décembre 2019. Il a précisé que « l’objectif de sa structure est de récompenser les serviteurs de Dieu les plus méritants et contrairement au président de l’ONG qui demande jusqu’à 5 000 000 FCFA aux candidats, chez lui, les candidats paient des sommes dérisoires négociées avec l’université pour ne pas” bloquer l’avancement des pasteurs” ».
Pourquoi les pasteurs cherchent-ils ce titre de docteur honoris causa ?
Bony Guiblehon : Derrière la course aux honneurs, il y a plusieurs enjeux.
D’abord la lutte pour le positionnement social. En fait, la surenchère est une façon ingénieuse pour certains pasteurs d’avoir une reconnaissance sociale. Elle leur permet une hiérarchisation et une « élitisation » du corps pastoral qui les positionne en haut de la hiérarchie sacerdotale ou sociale. Quant aux fidèles, situés dans les strates inférieures de l’Église, ils ne sont pas en reste : ceux qui ont de l’argent achètent aussi des doctorats à travers les mêmes circuits ou réseaux.
Il y a, ensuite, le leadership des organisations nationales « inter-dénominationnelles ». Généralement, les pasteurs les plus gradés ou docteurs estiment que les titres leur donnent le droit de diriger toutes les grandes organisations fédérales ecclésiastiques nationales et ainsi de contrôler tous les leviers du pouvoir. Dans cette logique, certains acceptent difficilement la remise en cause de leur leadership dans la gouvernance des affaires de l’Église, surtout en matière financière et du renouvellement des mandats électoraux.
Enfin, le dernier enjeu est le contrôle des politiques de rente. Aujourd’hui, beaucoup de pasteurs aspirent aux privilèges que leur confère leur titre : voiture de luxe, résidence somptueuse, voyage en première classe, salaire confortable, tout en cultivant la peur par des menaces d’ordre magique.
À lire aussi
Pour les évêques d’Afrique, le défi des nouvelles spiritualités
La même logique capitaliste est observée dans la construction de temples gigantesques financés à coups de milliards de francs CFA par des fidèles pour la plupart pauvres et dont ces pasteurs espèrent tirer profit financièrement ou économiquement, par leur nombre. Il en va de même de la suppression de l’âge de la retraite des pasteurs dans les statuts et règlements intérieurs de certaines Églises.
Les pasteurs ont-ils perdu toute crédibilité ?
Bony Guiblehon : Dans la Bible, un prophète ne s’autoproclame jamais mais le devient par l’appréciation des autres, c’est-à-dire lorsque les autres approuvent sa parole comme étant réellement une parole révélée. Le pastorat est donc un ministère qui ne s’invente pas ou ne s’autoproclame pas, contrairement à ce que nous constatons dans des églises. Car aujourd’hui, pour des intérêts autres que ceux de l’Église, certains individus se donnent la liberté, par orgueil, d’exercer une fonction pour laquelle ils n’ont pas la formation ou la compétence, ou pire, qu’ils ne méritent pas. Cette situation entérine non seulement la banalisation de cette fonction sacrée mais aussi l’insignifiance accrue de la notion même de pasteur et sa perte de crédibilité.
(1) « Le scandale des doctorats honoris causa dans les Églises évangéliques de Côte d’Ivoire : devoir de vérité », In Fraternité Matin N° 16570. P. 14, publié jeudi 12 mars.