Pourquoi certains croyants changent-ils de religion ?
Chrétiens, ils ont embrassé l'islam. Musulmans, ils ont demandé le baptême. Qui sont ces convertis qui dérangent ? La Vie a interrogé un pasteur, un imam et un évêque pour comprendre leurs motivations.Que signifie devenir musulman quand on est chrétien ?
> Tareq Oubrou,
Recteur de la mosquée de Bordeaux, théologien et écrivain :
« Islam et christianisme sont deux religions du salut universel, il y a une compétition normale entre elles. Je connais des chrétiens qui viennent se convertir, ils ne croient pas à la Trinité, donc je considère qu’ils ne sont pas chrétiens, même s’ils ont reçu le baptême. Les vrais croyants qui ont été touchés par Jésus sont très rares. Donc si un chrétien sociologique veut devenir musulman, ça se justifie dans ce contexte français où le catholicisme s’est beaucoup sécularisé. Il y a des prêtres qui ne connaissent rien à la théologie catholique et ils sont incapables de la défendre. Par contre, les chrétiens d’Orient sont très hostiles au fait qu’un de leurs membres se convertisse. »
> Gilles Boucomont,
Pasteur de l’Église protestante unie du Marais, Paris IVe :
« La plupart des chrétiens qui se convertissent à l’islam vont y trouver un sens de la loi qu’ils n’ont pas dans le catholicisme ou le protestantisme, où les exigences de foi ont été euphémisées. Ils aiment dans l’islam le mélange d’exigence et de simplicité. De fait, un match se joue entre la mosquée et la communauté évangélique, deux lieux où l’on n’a pas peur de dire la loi de Dieu. Le problème est que, dans la foulée de 1968, pour la première fois dans l’histoire de l’Occident, les citoyens ont perdu le sens de la loi. Le catéchisme chrétien se réduit parfois à un sentimentalisme sympathique. L’Évangile libérateur nous affranchit aussi de la loi, mais quand elle n’a pas été intégrée… Les conversions de chrétiens vers les musulmans sont un vrai signal d’alarme : nous ne faisons pas notre travail face aux chrétiens en attente de repères ! Il faut réintégrer quelque chose du « père » dans la foi. »
> Michel Dubost,
Évêque d’Évry-Corbeil-Essonnes, président du Conseil des évêques pour le dialogue interreligieux :
« C’est fréquent. Les chrétiens sont beaucoup moins missionnaires que les musulmans, et ça commence dans les cours de récré : les petits musulmans posent d’emblée la question religieuse, mais pas les petits chrétiens ! L’islam est très attirant pour les plus jeunes. Les musulmans mettent la pratique avant la foi : ils proposent aux jeunes des rites et des gestes. Ils vont de la pratique à la foi. Les chrétiens font l’inverse : d’abord ils valorisent la foi, puis la pratique. Les adolescents sont tellement peu sûrs de ce qu’ils croient qu’ils préfèrent d’abord pratiquer, plutôt qu’adhérer à un corpus théologique. C’est ce que leur propose l’islam, qui leur donne des repères qui seront ensuite renforcés par les préceptes coraniques. Cela représente un grand défi pour l’Église. Il faut réfléchir sérieusement à la formation des chrétiens. Ces derniers pensent de manière abusive que le Christ est venu abolir la loi et que le "vrai" christianisme transcende la loi, mais c’est faux. Le Christ n’abolit pas la loi, il l’accomplit. De nombreux catholiques ont troqué cette vérité pour un romantisme, croyant s’abstraire d’une formalisation de la loi, avec des repères structurants. Je constate par exemple combien il est difficile de parler du péché pour les catholiques. Alors que l’islam est totalement décomplexé à ce sujet. »
Et devenir chrétien quand on est musulman ?
> Tareq Oubrou,
Recteur de la mosquée de Bordeaux, théologien et écrivain :
« Si l’on se réfère à la théologie fondamentale, dans l’islam, il est clair que la foi ne peut être imposée, elle doit être assumée librement. Le Coran fait l’éloge de la raison. Mais les choses se compliquent quand on appartient à la religion par l’appartenance à une communauté culturelle, identitaire ou ethnique. En effet, des musulmans sociologiques quittent leur religion. L’intégrisme islamiste inquiète beaucoup les musulmans sociologiques qui peuvent être tentés de devenir chrétiens. Il est très rare que de vrais musulmans quittent l’islam. Celui-ci est né avec le pouvoir et dans une société qui ne connaît pas la séparation des ordres. Donc, la sortie de la religion signe celle de l’unité nationale… En France, aussi, cela se vit au niveau des tripes, car les musulmans se sentent vulnérables, marginalisés. Il y a une condamnation théologique pour ceux qui apostasient. La conversion n’est possible que si elle est pacifique, si elle n’est pas accompagnée de trouble à l’ordre public. Dans les pays où l’islam fait partie de la culture, toute conversion pose problème. Mais je ne sais pas trop ce qui se passe là-bas. »
> Gilles Boucomont,
Pasteur de l’Église protestante unie du Marais, Paris IVe :
« À cause du battage médiatique autour des petits "Gaulois" qui se convertissent à l’islam, on oublie tous ces musulmans qui viennent au christianisme, surtout au protestantisme, pour trois raisons de ressemblance avec l’islam : l’absence de clergé, la centralité des Écritures, l’interdiction des images. Parmi eux, des musulmans qui cherchent à s’intégrer dans une société qu’ils croient chrétienne, mais aussi de vrais croyants ayant fait une expérience forte du Christ. Un quart des gens que je baptise viennent de l’islam. Dans leurs familles, cela passe très mal. Certains convertis sont menacés, ostracisés. On ne les baptise pas tous lors d’un culte public, ce qui est une entorse aux principes de la Réforme. Le pire pour un converti de l’islam est d’être coupé de ses racines, et de son réseau relationnel. Hélas, les Églises ne font pas ce qu’elles devraient faire pour ces personnes en rupture : leur offrir une famille de substitution, avec une vraie vie fraternelle. »
> Michel Dubost,
Évêque d’Évry-Corbeil-Essonnes, président du Conseil des évêques pour le dialogue interreligieux :
« Les gens qui sont réellement musulmans et se rallient à une foi chrétienne réellement vécue sont très rares. En général, ils ont été marqués par une relation forte avec un chrétien, ou par une expérience mystique. Je n’en ai rencontré qu’un ou deux alors que je baptise fréquemment des personnes de culture musulmane, qui étaient en fait agnostiques même si elles faisaient le ramadan. Si le converti vient d’une famille musulmane croyante, cela pose de graves difficultés. »