Bien connu pour sa Grammaire de l’hébreu biblique (Rome, Institut Biblique Pontifical, 1947), Paul Joüon l’est moins pour sa traduction des évangiles : L’Évangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ (Paris, Beauchesne, 1930 ; collection Verbum Salutis). Et pourtant cette traduction ne manque pas d’intérêt, comme on peut le subodorer à la lecture du sous-titre : Traduction et Commentaire du texte original grec, compte tenu du substrat sémitique.
Sur l’expression « substrat sémitique », il faut s’entendre… et sans vouloir relancer un débat qui a fait rage au XIXe siècle, et resurgit fréquemment depuis (cf. J. Vergote, « Grec biblique » dans DBS III : 1320-1369 ; quelques exemples – disputés – sont fournis par les travaux de Guillemard, Dalman ou encore Burney), on peut dire grosso modo que deux écoles s’affrontent : ceux qui voient dans un ou plusieurs évangiles des compositions en grec influencées par l’araméen ou l’hébreu, et ceux qui pensent déceler un grec de traduction et supposent un archétype en langue sémitique.
Le grec des évangiles a été écrit par des hommes dont la langue maternelle – la langue de Jésus – était l’araméen. (…) Il est donc assez naturel qu’on trouve dans le grec des évangiles de nombreux aramaïsmes et de nombreux hébraïsmes, hébraïsmes directs et surtout hébraïsmes indirects (septantièmes). Bien entendu, des aramaïsmes, même nombreux, ne suffisent pas à démontrer que le texte grec de tel évangile est la traduction d’un texte araméen; ils prouvent simplement que l’écrivain subissait dans une certaine mesure l’influence de sa langue maternelle ou, dans certains cas, l’influence des récits et surtout des paroles de Jésus qu’il avait entendu rapporter ou qu’il récitait lui-même en araméen. – p.x-xi
Joüon est de la première école et tente de rendre compte dans sa traduction de toutes ces influences. Si sa traduction n’a rien de très-original, on appréciera surtout ses notes abondantes, qui relèvent précisément toutes les influences sémitiques susceptibles d’éclairer le sens d’une tournure en grec :
La restitution du substrat permet assez souvent de mieux saisir la valeur exacte d’un mot ou d’une locution de notre texte grec. (…) L’attention donnée au substrat araméen est particulièrement utile pour éviter la traduction trop mécanique des « temps » grecs. p.xv-xvi
Effectivement Joüon parvient à démontrer, par un fourmillement de notes intéressant ce substrat, à quel point de nombreuses tournures passablement intelligibles en grec font meilleur sens compte tenu de leur « substrat sémitique ».
→ Fichier trouvé sur Gallica, que j’ai mis également sur Archive par commodité. Du même Joüon, on peut signaler deux commentaires philologiques sur Ruth et le Cantique des cantiques, ainsi qu’une série d’articles Notes de lexicographie hébraïque parus dans la revue Biblica.