[size=52]Loi sur la nationalité en Inde : les musulmans mis au ban
[size=14]Par Sébastien Farcis, correspondant à New Delhi — 12 décembre 2019 à 20:31[/size]
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[size=10]Manifestation contre la loi sur la nationalité, jeudi à Guwahati (Nord-Est). Photo Biju Boro. AFP
Adopté cette semaine, le texte permet aux immigrés d’être plus facilement naturalisés en fonction de leur religion. Tous les cultes de la région sont concernés, sauf l’islam.
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Loi sur la nationalité en Inde : les musulmans mis au ban
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La loi représente «un grand jour pour l’Inde et symbolise notre esprit de compassion et de fraternité. Elle va mettre fin aux souffrances de ceux qui sont persécutés depuis des années». C’est avec ce message humaniste que le Premier ministre indien, Narendra Modi, a célébré mercredi soir le passage de la loi réformant le droit à la nationalité indienne. Adoptée par les deux Chambres cette semaine, la loi facilite la naturalisation des Afghans, Pakistanais et Bangladais qui pourront devenir Indiens s’ils vivent dans le pays depuis le 31 décembre 2014, soit au bout de cinq ans au lieu de onze ans pour tout autre étranger. Mais cette «fraternité» est limitée. Seuls les adeptes de six religions pourront en bénéficier : hindous, bouddhistes, chrétiens, sikhs, jaïns et zoroastriens. Toutes les grandes religions régionales, sauf l’islam. Pour les nationalistes hindous au pouvoir (BJP, Parti du peuple indien), cette mesure a pour but d’offrir un refuge aux minorités religieuses persécutées dans ces trois pays musulmans. Mais pour l’opposition, cette «compassion» sélective représente une tentative de dynamitage des fondations laïques de l’Inde dans le but d’établir un Etat hindou, l’objectif de ce courant idéologique depuis des décennies.
[size=21]«Socle fondateur» Les articles 14 et 15 de la Constitution reconnaissent l’égalité devant la loi de toute personne résidant en Inde, indienne ou étrangère, quelle que soit sa religion. Accorder la naturalisation à certains groupes religieux seulement représente «une trahison de l’idée fondatrice de l’Inde, selon le député du Parti du congrès (centre gauche) Shashi Tharoor. Le principe selon lequel la religion définit la citoyenneté, c’est le socle fondateur du Pakistan, pas de l’Inde. L’Inde, à l’inverse, a été fondée sur l’accueil des populations de toutes les croyances et religions. Et notre Constitution reflète ce principe», s’insurge-t-il. Le ministre de l’Intérieur, Amit Shah, a répété que cette loi ne fait que permettre l’accueil de minorités persécutées et ne compte «même pas 0,01 % de discrimination envers les musulmans». Le mot «musulman» n’est, de fait, même pas mentionné dans cet article de loi - ce qui est une forme d’exclusion en soi. Cette pratique est régulièrement utilisée par les nationalistes hindous pour faire disparaître la communauté honnie de la politique et de l’espace public. Pour Alok Prasanna Kumar, juriste au Vidhi Centre for Legal Policy, il est «évident que cette loi est inconstitutionnelle, car elle choisit seulement certains groupes religieux et en exclut d’autres sans fondements réels. Si elle incluait toutes les personnes qui souffrent de discriminations dans ces pays, cela serait acceptable. Mais il faudrait pour cela accueillir les musulmans hazaras d’Afghanistan ou les ahmadis du Pakistan, qui sont régulièrement persécutés».
La loi ne s’embarrasse même pas de définir la persécution, ce qui renforce l’idée qu’elle vise à naturaliser certains groupes religieux non musulmans - alors que les plus persécutés de tous, les musulmans rohingyas, continuent d’être renvoyés vers la Birmanie où ils sont menacés. Selon les services de renseignement consultés par le comité de préparation de la loi, 31 313 étrangers appartenant aux communautés citées vivent en Inde après avoir fui pour des raisons de persécution, et pourraient donc bénéficier de cette mesure ; 25 447, soit 81 % d’entre eux, sont hindous.
«Hindouïté» A travers cette loi, le gouvernement violerait donc la Constitution pour imposer une idéologie : celle de l’hindutva, ou «hindouïté», soutenue depuis près d’un siècle par les hindouistes de l’organisation nationaliste Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), selon laquelle l’Inde est la terre des hindous, où, comme en Israël pour les juifs, tout hindou doit pouvoir venir trouver refuge. Vinayak Damodar Savarkar, l’un des principaux idéologues de la mouvance hindouiste des années 30, vénéré par les membres du gouvernement actuel, avait ainsi fait l’apologie de la politique nazie envers les juifs et recommandé d’appliquer des méthodes similaires pour traiter les musulmans indiens.
Certains résistent, malgré tout. D’abord, un groupe de parlementaires musulmans a déjà fait appel devant la Cour suprême, qui pourrait invalider cette loi. Dans le nord-est de l’Inde, et particulièrement dans l’Etat de l’Assam, où le gouvernement hindouiste local affirme vouloir régulariser 500 000 hindous, c’est l’insurrection : la résidence d’un député local et une gare viennent d’être incendiées et des vagues de manifestants continuent à protester, malgré l’imposition d’un couvre-feu et la coupure de l’Internet.[/size][/size][/size]