[size=33]Mgr Georges Pontier : « Nous ne sommes pas victimes de “cathophobie” »[/size]
Propos recueillis par Jérôme Cordelier
Publié le 03/03/2019 à 08:00 | Le Point.fr
Archevêque de Marseille (depuis 2006) et président de la Conférence des évêques France (depuis 2013), Mgr Georges Pontier, quittera, à 76 ans, ses fonctions début juillet. Pour Le Point, après le sommet des évêques à Rome auquel il a participé, il revient sur l'actualité brûlante de ces derniers jours au cours de desquels l'Église catholique a été sérieusement malmenée, sur tous les fronts. Entretien sans langue de bois
Quoique tardif, le récent sommet des évêques à Rome représente un tournant majeur dans la lutte de l'Église contre les abus sexuels puisqu'il a été celui de la libération de la parole, de la repentance et de l'interpellation. Pourtant, la presse n'a souvent retenu que la colère des associations de victimes face à l'absence de « mesures concrètes » telles que les avait annoncées le pape. Comment réagissez-vous ?
Mgr Georges Pontier : Nous avons vécu quatre jours importants et chargés d'émotion. Il ne s'agissait pas d'une assemblée de décisions, mais de prise de conscience, à l'échelle de l'Église universelle, de l'ampleur du problème. Suivant les cultures, les histoires et les continents, l'approche face aux abus sexuels est très différente, surtout en ce qui concerne la nécessité de la prise de parole. Dans certains pays d'Afrique, notamment, le cheminement de la pensée n'est pas le même qu'en Occident, par exemple ; rien n'a été mis en place pour écouter, il n'y a pas d'obligation de dénoncer. Il faut que l'Église, institution mondiale, replace les personnes victimes au centre et sorte de la culture du secret. Il ne faut plus chercher à protéger l'institution et à couvrir les coupables.
C'était un souci primordial jusqu'à présent ?
Nous n'avons pas suffisamment entendu ni compris les dégâts que ces actes ont causés. Trop souvent, nous avons traité ces affaires a minima, pour ne pas faire de bruit, et nous n'avons pas suffisamment considéré en profondeur ces drames qui ont gâché tant de vies. Moi-même, j'en ai vraiment pris conscience il y a quelques années, et de manière encore plus vive ces derniers temps pour préparer le sommet de Rome, non en lisant un article de journal, mais en rencontrant des victimes, et en les écoutant.
La culture du secret au sein de l'Église a-t-elle été une entrave importante dans la gestion de ces affaires ?
Importante, oui. Nous avons une culture de la discrétion, voire du secret qui est réel, et en l'occurrence, le respect des personnes, de la présomption d'innocence nous a rendus très prudents. Malheureusement, cette manière de faire a été perçue comme une défense de l'institution. En ce qui me concerne, je ne mesurais pas l'ampleur des faits. J'ai passé vingt ans de ma vie d'évêque sans connaître de telles affaires ni en percevoir la perversité. Je n'aurais pas imaginé que des prêtres auraient pu se livrer à des actes aussi ignobles que l'on peut qualifier parfois, pas toujours, de crimes.
Lire aussi Pédophilie dans l'Église : « Ce n'est pas Satan qui viole nos enfants, mais des prêtres »
Comprenez-vous le désarroi et l'impatience des victimes qui attendaient de ce sommet de Rome des mesures concrètes ?
Je le comprends bien sûr, tout en les mettant en garde, comme le pape l'a fait, contre les attentes surdimensionnées et déplacées. Lors de ce sommet, nous n'avons pas voté une seule fois. Il s'agissait, je le répète, d'un sommet d'interpellation, de conversion, de prise de conscience. Nous avons été bousculés par ce que nous avons entendu. Nous avons reçu des coups de poing dans le ventre. Dans nos différents groupes de travail, nous avons émis des propositions concrètes, mais elles n'émergeront que dans des semaines, voire des mois. L'Église catholique, c'est un gros paquebot. Il faut laisser le temps à la « machine », qui œuvre sur cinq continents, d'avancer, que soient précisées les procédures et les compétences des conférences épiscopales. Il y aura un avant et un après dans le fonctionnement de l'Église. Mais on ne peut pas le décider du jour au lendemain.
Ce temps-là a trop duré, non ?
Bien sûr ! Mais il ne faut pas penser que rien n'avait commencé avant le sommet de Rome. En France, depuis 2000, mais surtout depuis 2016, nous écoutons les personnes victimes et, grâce à elles, nous collectons des informations. Dès 2002, nous avons réparti dans les paroisses les premiers outils pour gérer des cas d'abus sexuels. Nous avons créé, en 2016, une cellule permanente au sein de la Conférence des évêques, puis des centres d'écoute dans plusieurs diocèses. Nous avons formé une commission, présidée par Alain Christnacht, pour nous aider au discernement et à la prise en charge de prêtres accusés. Puis, nous avons recruté une déléguée permanente pour s'occuper de ces affaires. Maintenant se met en place la commission indépendante présidée par Jean-Marc Sauvé et où siègent 22 experts afin de faire la transparence sur les cas de pédophilie dans les cinquante dernières années.
Mais cette commission ne rendra ses conclusions qu'en 2021. Faudra-t-il attendre tout ce temps pour que la lumière soit faite sur ces crimes ?
C'est pour cela que nous continuons à mener quatre chantiers de front, pour recueillir les récits et garder leur mémoire. Nous ne cessons pas notre action en attendant ce que va dire la commission Sauvé, bien sûr que non !
Le fossé entre l'Église et la société qui l'entoure, en Europe et en France particulièrement, est-il en train de se creuser ?
Ces événements choquent, suscitent de grandes interrogations, imposent de grandes souffrances chez l'ensemble des prêtres qui se sentent jugés, soupçonnés. Mais je ne ressens pas une Église morte, j'y perçois même de beaux signes de vie. Dans le diocèse de Marseille, à Pâques prochain, nous allons baptiser une centaine d'adultes de 18 à 60 ans, le même nombre que l'année dernière. Aux Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) à Panama en janvier dernier, la délégation française était numériquement la seconde plus importante pour l'Europe après la Pologne – les plus nombreux étaient les Sud-Américains puisque l'événement avait lieu chez eux. Les demandes de formation à la connaissance de la foi et à la vie spirituelle sont en augmentation. Et je ne cite pas les multiples témoignages d'engagements de chrétiens dans la vie sociale. Je vois ces choses réconfortantes, mais je suis marqué, nous sommes marqués par cette peine immense qui est la nôtre et la honte que nous ressentons.
Dans L'Archipel français (Seuil), livre dont Le Point publie des extraits en exclusivité, Jérôme Fourquet, directeur du département Opinions de l'Ifop, à force de cartes et de statistiques, diagnostique une France entrée dans « une ère postchrétienne ». Que lui répondez-vous ?
Cette hypothèse donne à penser… Un ensemble de signes montrent que nous avons changé d'époque dans les pays occidentaux et notamment en Europe. Auparavant, en France notamment, la société civile s'organisait par rapport aux repères chrétiens. Ce temps est fini, comme on l'a vu lors des débats sur le mariage pour tous. Nos sociétés sont devenues plurielles sur le plan religieux, y compris dans le monde chrétien, où des sensibilités différentes s'expriment, je pense en particulier à l'évangélisme protestant. Mais il y a aussi un monde athée qui se signale dans l'espace public. Nous vivons un moment où la vie chrétienne n'est plus un comportement automatique ou héréditaire, mais un choix personnel, et un choix que l'on effectue souvent à l'âge adulte. Il ne faut pas se lamenter de cette évolution : le nombre de catéchumènes de plus de 18 ans dans notre pays est en légère augmentation chaque année depuis une décennie…
Jérôme Fourquet souligne « une dislocation de la matrice catholique » qui structurait la société française (il y a moins de mariages, plus de divorces, avoir un enfant hors mariage est devenu la norme)... Qu'en pensez-vous ?
De fait, ce n'est plus « la matrice catholique » qui oriente de manière forte la vie en société. Mais, paradoxalement, le religieux reste très présent. Dans les débats, les positions des croyants ne sont pas occultées. Ce ne sont pas eux qui imposent la législation, mais les réflexions des groupes religieux, en amont, sont possibles et entendues.
Pratique de la messe.
© Infographie Le Point
La révision des lois de bioéthique en cours depuis plus d'un an risque-t-elle d'accentuer cette dislocation de « la matrice catholique » ?
Tout va dépendre du respect des états généraux qui ont eu lieu sur ces questions. Il y a eu de belles contributions des groupes religieux. Mais nous avons eu aussi un avis du comité consultatif national d'éthique assez surprenant. Au cours de nos débats, une majorité s'est exprimée pour la prudence sur la PMA, et au final, les rapporteurs ont adopté une posture plutôt favorable, comme si les positionnements idéologiques prenaient le dessus sur la réalité des échanges. Maintenant, force est de constater que le législateur n'est plus inspiré par l'éthique chrétienne. Nous allons devoir poser des choix de vie qui sont différents de ceux promus par la culture dominante et autorisés par la loi. Je pense qu'à l'avenir, l'objection de conscience sera plus fréquente dans la vie quotidienne, notamment dans le monde médical, non seulement en ce qui concerne l'avortement, mais aussi à propos des manipulations génétiques ou le travail sur les embryons. Avant, l'objection de conscience s'exprimait sur les armes ; aujourd'hui, c'est par rapport aux questions d'éthique de vie.
Retrouvez notre dossier : Bioéthique, un débat pour la vie
Il y a eu récemment une série de profanations d'églises en France. Vous sentez-vous attaqué en tant qu'archevêque et plus généralement en tant que catholique ?
Il se trouve que j'ai été ordonné prêtre, le 3 juillet 1966, dans la cathédrale de Lavaur qui a été récemment profanée, alors même qu'elle vient d'être restaurée par l'État. On voit bien une violence rentrée prête à sortir pour un oui ou pour un non. Il faut donc distinguer les vraies profanations des actes imbéciles, pour nos sites chrétiens. Nous parlons de profanations quand les grands symboles de notre foi sont touchés : les croix, les hosties consacrées dans les tabernacles… Ensuite, il faut connaître les intentions des auteurs autant que possible. Sur ce sujet, nous adoptons une posture raisonnée. Nous ne voulons pas développer un discours de persécutions. Nous n'avons pas le désir de nous faire plaindre. Le judaïsme est porteur dans son histoire d'une lutte continuelle contre des groupes antisémites. Nous, les catholiques, aujourd'hui en France n'avons pas à affronter de telles violences au quotidien !
Vous ne partagez donc pas le diagnostic, porté notamment par Laurent Wauquiez et Éric Ciotti, sur l'existence actuellement en France d'une « cathophobie » ?
Non. Des individus se servent de tout pour abîmer l'Église, mais ce n'est pas un phénomène dominant. Nous ne sommes pas victimes de « cathophobie » ! Une évolution culturelle a modifié le rapport entre la religion et l'organisation de la vie en société, voilà le point. Je ne vois pas quels faits permettent à ces politiques de tenir un tel discours. Un chrétien vit ce qu'il a à vivre, à la manière du Christ et non en profitant d'aubaines pour stigmatiser. Il ne serait pas bon de rentrer dans une problématique qui ressemblerait à une prise de pouvoir sur les autres.
[size=33]VIDÉO. Abus sexuels, profanations, cathophobie, « Sodoma », Ozon... Le président de la Conférence des évêques de France face à la crise de l'Église.[/size]
Propos recueillis par Jérôme Cordelier
Publié le 03/03/2019 à 08:00 | Le Point.fr
Archevêque de Marseille (depuis 2006) et président de la Conférence des évêques France (depuis 2013), Mgr Georges Pontier, quittera, à 76 ans, ses fonctions début juillet. Pour Le Point, après le sommet des évêques à Rome auquel il a participé, il revient sur l'actualité brûlante de ces derniers jours au cours de desquels l'Église catholique a été sérieusement malmenée, sur tous les fronts. Entretien sans langue de bois
Quoique tardif, le récent sommet des évêques à Rome représente un tournant majeur dans la lutte de l'Église contre les abus sexuels puisqu'il a été celui de la libération de la parole, de la repentance et de l'interpellation. Pourtant, la presse n'a souvent retenu que la colère des associations de victimes face à l'absence de « mesures concrètes » telles que les avait annoncées le pape. Comment réagissez-vous ?
Mgr Georges Pontier : Nous avons vécu quatre jours importants et chargés d'émotion. Il ne s'agissait pas d'une assemblée de décisions, mais de prise de conscience, à l'échelle de l'Église universelle, de l'ampleur du problème. Suivant les cultures, les histoires et les continents, l'approche face aux abus sexuels est très différente, surtout en ce qui concerne la nécessité de la prise de parole. Dans certains pays d'Afrique, notamment, le cheminement de la pensée n'est pas le même qu'en Occident, par exemple ; rien n'a été mis en place pour écouter, il n'y a pas d'obligation de dénoncer. Il faut que l'Église, institution mondiale, replace les personnes victimes au centre et sorte de la culture du secret. Il ne faut plus chercher à protéger l'institution et à couvrir les coupables.
C'était un souci primordial jusqu'à présent ?
Nous n'avons pas suffisamment entendu ni compris les dégâts que ces actes ont causés. Trop souvent, nous avons traité ces affaires a minima, pour ne pas faire de bruit, et nous n'avons pas suffisamment considéré en profondeur ces drames qui ont gâché tant de vies. Moi-même, j'en ai vraiment pris conscience il y a quelques années, et de manière encore plus vive ces derniers temps pour préparer le sommet de Rome, non en lisant un article de journal, mais en rencontrant des victimes, et en les écoutant.
La culture du secret au sein de l'Église a-t-elle été une entrave importante dans la gestion de ces affaires ?
Importante, oui. Nous avons une culture de la discrétion, voire du secret qui est réel, et en l'occurrence, le respect des personnes, de la présomption d'innocence nous a rendus très prudents. Malheureusement, cette manière de faire a été perçue comme une défense de l'institution. En ce qui me concerne, je ne mesurais pas l'ampleur des faits. J'ai passé vingt ans de ma vie d'évêque sans connaître de telles affaires ni en percevoir la perversité. Je n'aurais pas imaginé que des prêtres auraient pu se livrer à des actes aussi ignobles que l'on peut qualifier parfois, pas toujours, de crimes.
Lire aussi Pédophilie dans l'Église : « Ce n'est pas Satan qui viole nos enfants, mais des prêtres »
Comprenez-vous le désarroi et l'impatience des victimes qui attendaient de ce sommet de Rome des mesures concrètes ?
Je le comprends bien sûr, tout en les mettant en garde, comme le pape l'a fait, contre les attentes surdimensionnées et déplacées. Lors de ce sommet, nous n'avons pas voté une seule fois. Il s'agissait, je le répète, d'un sommet d'interpellation, de conversion, de prise de conscience. Nous avons été bousculés par ce que nous avons entendu. Nous avons reçu des coups de poing dans le ventre. Dans nos différents groupes de travail, nous avons émis des propositions concrètes, mais elles n'émergeront que dans des semaines, voire des mois. L'Église catholique, c'est un gros paquebot. Il faut laisser le temps à la « machine », qui œuvre sur cinq continents, d'avancer, que soient précisées les procédures et les compétences des conférences épiscopales. Il y aura un avant et un après dans le fonctionnement de l'Église. Mais on ne peut pas le décider du jour au lendemain.
Ce temps-là a trop duré, non ?
Bien sûr ! Mais il ne faut pas penser que rien n'avait commencé avant le sommet de Rome. En France, depuis 2000, mais surtout depuis 2016, nous écoutons les personnes victimes et, grâce à elles, nous collectons des informations. Dès 2002, nous avons réparti dans les paroisses les premiers outils pour gérer des cas d'abus sexuels. Nous avons créé, en 2016, une cellule permanente au sein de la Conférence des évêques, puis des centres d'écoute dans plusieurs diocèses. Nous avons formé une commission, présidée par Alain Christnacht, pour nous aider au discernement et à la prise en charge de prêtres accusés. Puis, nous avons recruté une déléguée permanente pour s'occuper de ces affaires. Maintenant se met en place la commission indépendante présidée par Jean-Marc Sauvé et où siègent 22 experts afin de faire la transparence sur les cas de pédophilie dans les cinquante dernières années.
Mais cette commission ne rendra ses conclusions qu'en 2021. Faudra-t-il attendre tout ce temps pour que la lumière soit faite sur ces crimes ?
C'est pour cela que nous continuons à mener quatre chantiers de front, pour recueillir les récits et garder leur mémoire. Nous ne cessons pas notre action en attendant ce que va dire la commission Sauvé, bien sûr que non !
Le fossé entre l'Église et la société qui l'entoure, en Europe et en France particulièrement, est-il en train de se creuser ?
Ces événements choquent, suscitent de grandes interrogations, imposent de grandes souffrances chez l'ensemble des prêtres qui se sentent jugés, soupçonnés. Mais je ne ressens pas une Église morte, j'y perçois même de beaux signes de vie. Dans le diocèse de Marseille, à Pâques prochain, nous allons baptiser une centaine d'adultes de 18 à 60 ans, le même nombre que l'année dernière. Aux Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) à Panama en janvier dernier, la délégation française était numériquement la seconde plus importante pour l'Europe après la Pologne – les plus nombreux étaient les Sud-Américains puisque l'événement avait lieu chez eux. Les demandes de formation à la connaissance de la foi et à la vie spirituelle sont en augmentation. Et je ne cite pas les multiples témoignages d'engagements de chrétiens dans la vie sociale. Je vois ces choses réconfortantes, mais je suis marqué, nous sommes marqués par cette peine immense qui est la nôtre et la honte que nous ressentons.
[size=38]Auparavant, en France notamment, la société civile s'organisait par rapport aux repères chrétiens. Ce temps est fini, comme on l'a vu lors des débats sur le mariage pour tous.[/size]
Dans L'Archipel français (Seuil), livre dont Le Point publie des extraits en exclusivité, Jérôme Fourquet, directeur du département Opinions de l'Ifop, à force de cartes et de statistiques, diagnostique une France entrée dans « une ère postchrétienne ». Que lui répondez-vous ?
Cette hypothèse donne à penser… Un ensemble de signes montrent que nous avons changé d'époque dans les pays occidentaux et notamment en Europe. Auparavant, en France notamment, la société civile s'organisait par rapport aux repères chrétiens. Ce temps est fini, comme on l'a vu lors des débats sur le mariage pour tous. Nos sociétés sont devenues plurielles sur le plan religieux, y compris dans le monde chrétien, où des sensibilités différentes s'expriment, je pense en particulier à l'évangélisme protestant. Mais il y a aussi un monde athée qui se signale dans l'espace public. Nous vivons un moment où la vie chrétienne n'est plus un comportement automatique ou héréditaire, mais un choix personnel, et un choix que l'on effectue souvent à l'âge adulte. Il ne faut pas se lamenter de cette évolution : le nombre de catéchumènes de plus de 18 ans dans notre pays est en légère augmentation chaque année depuis une décennie…
Jérôme Fourquet souligne « une dislocation de la matrice catholique » qui structurait la société française (il y a moins de mariages, plus de divorces, avoir un enfant hors mariage est devenu la norme)... Qu'en pensez-vous ?
De fait, ce n'est plus « la matrice catholique » qui oriente de manière forte la vie en société. Mais, paradoxalement, le religieux reste très présent. Dans les débats, les positions des croyants ne sont pas occultées. Ce ne sont pas eux qui imposent la législation, mais les réflexions des groupes religieux, en amont, sont possibles et entendues.
Pratique de la messe.
© Infographie Le Point
La révision des lois de bioéthique en cours depuis plus d'un an risque-t-elle d'accentuer cette dislocation de « la matrice catholique » ?
Tout va dépendre du respect des états généraux qui ont eu lieu sur ces questions. Il y a eu de belles contributions des groupes religieux. Mais nous avons eu aussi un avis du comité consultatif national d'éthique assez surprenant. Au cours de nos débats, une majorité s'est exprimée pour la prudence sur la PMA, et au final, les rapporteurs ont adopté une posture plutôt favorable, comme si les positionnements idéologiques prenaient le dessus sur la réalité des échanges. Maintenant, force est de constater que le législateur n'est plus inspiré par l'éthique chrétienne. Nous allons devoir poser des choix de vie qui sont différents de ceux promus par la culture dominante et autorisés par la loi. Je pense qu'à l'avenir, l'objection de conscience sera plus fréquente dans la vie quotidienne, notamment dans le monde médical, non seulement en ce qui concerne l'avortement, mais aussi à propos des manipulations génétiques ou le travail sur les embryons. Avant, l'objection de conscience s'exprimait sur les armes ; aujourd'hui, c'est par rapport aux questions d'éthique de vie.
Retrouvez notre dossier : Bioéthique, un débat pour la vie
Il y a eu récemment une série de profanations d'églises en France. Vous sentez-vous attaqué en tant qu'archevêque et plus généralement en tant que catholique ?
Il se trouve que j'ai été ordonné prêtre, le 3 juillet 1966, dans la cathédrale de Lavaur qui a été récemment profanée, alors même qu'elle vient d'être restaurée par l'État. On voit bien une violence rentrée prête à sortir pour un oui ou pour un non. Il faut donc distinguer les vraies profanations des actes imbéciles, pour nos sites chrétiens. Nous parlons de profanations quand les grands symboles de notre foi sont touchés : les croix, les hosties consacrées dans les tabernacles… Ensuite, il faut connaître les intentions des auteurs autant que possible. Sur ce sujet, nous adoptons une posture raisonnée. Nous ne voulons pas développer un discours de persécutions. Nous n'avons pas le désir de nous faire plaindre. Le judaïsme est porteur dans son histoire d'une lutte continuelle contre des groupes antisémites. Nous, les catholiques, aujourd'hui en France n'avons pas à affronter de telles violences au quotidien !
Vous ne partagez donc pas le diagnostic, porté notamment par Laurent Wauquiez et Éric Ciotti, sur l'existence actuellement en France d'une « cathophobie » ?
Non. Des individus se servent de tout pour abîmer l'Église, mais ce n'est pas un phénomène dominant. Nous ne sommes pas victimes de « cathophobie » ! Une évolution culturelle a modifié le rapport entre la religion et l'organisation de la vie en société, voilà le point. Je ne vois pas quels faits permettent à ces politiques de tenir un tel discours. Un chrétien vit ce qu'il a à vivre, à la manière du Christ et non en profitant d'aubaines pour stigmatiser. Il ne serait pas bon de rentrer dans une problématique qui ressemblerait à une prise de pouvoir sur les autres.