[size=32]Le soufisme est-il l’avenir de l’islam ?[/size]
Par Gaétan Supertino - publié le 12/12/2018
Au Festival soufi de Paris, les représentants français de ce courant spirituel de l’islam ont dévoilé leurs ambitions : promouvoir un « islam spirituel, libre, et responsable ». Mais à qui s’adresse ce message ?
Maison soufie
« L'islam sera spirituel ou ne sera plus », écrit l’islamologue Éric Geoffroy (Seuil, 2009). Et selon les soufis* français, musulmans qui cheminent sur une voie mystique, cette sentence prévaut tout particulièrement pour nos pays occidentaux, confrontés à la double menace de la perte de sens et de la montée des extrémismes. « Il est temps de montrer que le soufisme propose une spiritualité pacifique, qu’il éduque à un islam spirituel, libre, et responsable, qu’il fait la promotion du savoir et du beau », lançait le 28 novembre dernier Bariza Khiari, ancienne sénatrice de Paris et soufie elle-même, chargée d’ouvrir le deuxième Festival soufi de Paris à la Maison soufie à Saint-Ouen. « Comme disait Hannah Arendt, c’est dans le vide de la pensée que s'inscrit le mal. Le soufisme est là pour combattre ce vide, pour y opposer un rempart » , a martelé Bariza Khiari. Mais quelle portée peut avoir ce message en France ? Et auprès de quel public ?
Cette année comme l’an dernier, la salle mise à disposition pour l’organisation du festival par la Maison soufie, à Saint-Ouen, a en tout cas fait le plein. Le premier jour comme le premier week-end, plus de 100 personnes (capacité maximale des lieux) ont été recensées, venues assister à des conférences, des tables rondes et autres projections autour du thème « L’Un, miroir de l’autre », écouter des concerts de musiques baloutche et persane ou apprécier les mystérieux symboles et décors couleur sable des tableaux de l’exposition « La Burda du désert », de l’artiste Faïza Tidjani. Dans ce public, on pouvait croiser des visiteurs de toutes les générations, presque autant d’hommes que de femmes (voilées et non voilées), et il serait difficile d’en dégager une couleur de peau.
« Dans le soufisme, il y a une vraie diversité. C’est ouvert au sultan comme au paysan. Ce qui importe, c’est la relation à l’enseignement, cela va au-delà des mots, et c’est accessible à tous »,commente Hadj Abdelkader Abdellaoui, co-président de la Maison soufie. « Il faut casser le stéréotype selon lequel le soufi est uniquement un ascète sympa mais un peu inutile », renchérit l’islamologue Faouzi Skali, qui a donné la première conférence du festival, celle sur la « chevalerie », la futuwah, soit la capacité « de se nourrir spirituellement pour développer la tolérance et la générosité ».
« J’ai d’abord rejeté l’islam, en bloc »
Tous ceux qui fréquentent le festival et que nous avons pu interroger se rejoignent justement dans leur volonté de « se nourrir spirituellement », de mettre du sens dans leur pratique religieuse et leur vie. « J’ai toujours été musulmane pratiquante mais je ne comprenais pas grand-chose. J’ai fait des retraites, des ateliers bouddhistes. J’ai beaucoup lu. Et puis j’ai trouvé dans le soufisme ce que je cherchais : ma religion d’origine, et la dimension spirituelle dont j’avais besoin, avec une interprétation plus tolérante du Coran que celle à laquelle j’étais habituée » , témoigne ainsi Rekka, 37 ans, originaire de Tunis, ingénieure informatique en reconversion qui fréquente la Maison soufie depuis un an.
Aïcha, pour sa part, n’a « accepté le terme soufi qu’il y a quelques mois. Cela voulait dire faire partie d’une communauté, et je l’avais toujours refusé jusqu’à présent » . Cette fonctionnaire territoriale de 44 ans, de père algérien et de mère française a, comme beaucoup de personnes croisées au festival, un parcours spirituel tourmenté. « J’ai d’abord rejeté l’islam, en bloc, à 17 ans. Lors de mes voyages en Algérie, je m’indignais du traitement de la femme. J’ai vu une cousine subir un mariage forcé. Mon frère faisait la prière, je voulais l’en décourager. Il m’a dit qu’il m’écouterait quand je saurai de quoi je parle. Alors je me suis mise à lire Ghazali, Ibn Arabi, mais aussi la Bible. Puis j’ai découvert des auteurs contemporains sur le soufisme, comme Faouzi Skali ou Eva de Vitray-Meyerovitch. Cela m’a amenée au Livre du dedans , de Rûmi. Je me suis rendu compte que j’étais soufie depuis toujours. Je ne l’ai seulement découvert que récemment. »
Le soufisme tient sa capacité d’attraction à une « spiritualité vivante, mais avec un cœur préservé et ancien », estime pour sa part Muhammad, 26 ans, interne en médecine pour qui le festival de cette année est le premier contact réel avec la mystique musulmane. « Je suis venu ici avec une amie. Cela m’a beaucoup plu ; c’est intense. Il y a un message d’unité, d’amour, de tolérance, loin des guerres de religions. »
« Ici, c’est beaucoup plus intello »
Aujourd’hui, la petite dizaine de confréries soufies présentes en France rassemblent quelques milliers d’adeptes. Parmi eux, on trouve un nombre assez important de « convertis », même s’il n’existe aucun recensement précis. Mais les organisateurs du festival le reconnaissent : « Il faut s’ouvrir encore davantage. » Car si le soufisme français se veut accessible à tous, il n’a pas encore la même capacité à parler aux classes populaires que les confréries peuvent avoir à l’étranger. « On ne peut pas comparer la France avec un pays musulman. Ici, c’est beaucoup plus intello. En Algérie, il y a tous types de public » , explique ainsi Latifa, 66 ans, assistante maternelle et soufie depuis toujours, arrivée d’Algérie il y a une vingtaine d’année, membre de la confrérie Shadhiliyya.« En Algérie, le soufisme est fait pour les pauvres. Ici, c’est un peu plus élitiste, un peu plus dans la réflexion. Même si cela reste accessible à tous », poursuit Abdel Kader, 43 ans, consultant environnement vivant à Paris depuis trois ans.
Pour l’un comme pour l’autre, toutefois, le soufisme a de quoi répondre à une crise existentielle qui touche toutes les catégories de population. « En venant en France, j’ai découvert beaucoup de supercherie : le monde moderne, le progrès, la société de consommation. Avec le soufisme, en lisant René Guénon et La Crise du monde moderne notamment, j’ai trouvé des réponses à tout ça », témoigne Latifa. « Si on ne comprend rien aux conférences, au vocabulaire soufis, que l’on n’aime pas la musique, il faut venir faire des séances de dhikr*, et puis se laisser porter », ajoute Abdel Kader. Et de conclure : « Ça, tout le monde peut le faire. Cela aide à polir son ego. Le reste, c’est du folklore. »
Le Festival soufi de Paris a lieu jusqu’au 17 décembre à la Maison soufie
8 rue Raspail à Saint-Ouen.
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(*) Lexique
Soufisme
Le soufisme désigne un courant qui met l’accent sur la dimension mystique, spirituelle et ésotérique de l’islam. Le terme « soufi », qui provient de l’arabe tasawwuf, désigne la plupart du temps un membre d’unetariqa, une confrérie. Sous l’autorité spirituelle d’un cheikh, un maître, le soufi doit s’initier à une connaissance intime de Dieu que ne permet la simple transmission du dogme.
Dhikr
Séances de récitations collectives de textes sacrés, très pratiquées dans le soufis.
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