[size=33]«Gilets jaunes»: La mobilisation aurait-elle pu voir le jour sans Facebook?[/size]
MOBILISATION NUMÉRIQUE Depuis trois semaines, la mobilisation en ligne a évolué et s'est considérablement structurée grâce à Facebook... Helene Sergent
Publié le 06/12/18 à 07h35 — Mis à jour le 06/12/18 à 08h08
Capture d'écran d'une des principales pages de gilets jaunes en France sur Facebook. — DR
- Les pages et groupes affiliés aux « gilets jaunes » regroupent sur le réseau social des centaines de milliers d’internautes.
- Les contenus très viraux, vidéos diffusées en live, sondages ou photo, ont permis de donner à la mobilisation une visibilité particulière.
- L’évolution du contexte politique et l’accentuation des violences lors des manifestations ont fait évoluer les usages des internautes mobilisés au sein des gilets jaunes.
L’analogie historique revient en boucle. Depuis quinze jours, médias, experts ou observateurs voient en la mobilisation des « gilets jaunes », une résurgence de Mai-68. Une différence de taille fausse pourtant la comparaison et elle tient en un mot : Facebook. La place du réseau social dans l’organisation et la structuration du mouvement est centrale. Dès le début du mois de novembre, de nombreux groupes locaux se sont constitués pour organiser le premier blocage du 17 novembre.
Depuis, Facebook s’est imposé comme plate-forme centrale d’échange et de diffusion d’informations au sein des « gilets jaunes ». Les groupes et pages affiliés se sont multipliés et rassemblent désormais des centaines de milliers d’internautes très actifs. Une composante inédite dans l’histoire récente des mobilisations qui complique l’approche du gouvernement, accentué ces derniers jours par une évolution des usages.
La révolution tunisienne en écho
Pour Fabrice Epelboin, spécialiste des médias sociaux, enseignant à Sciences Po Paris, l’analyse du mouvement par les autorités devrait se référer à un événement particulier : « On l’oublie souvent, mais les révolutions arabes se sont déroulées rigoureusement de la même façon. A l’origine, il y a une révolte fondée sur des revendications économiques puis une réponse violente de Ben Ali aux manifestations. A l’époque, les Tunisiens font un usage massif de Facebook et inondent le réseau de vidéos des policiers qui tirent sur la foule. Ça a entraîné un regain des manifestations ».
Si la réponse policière de l’Etat Français au mouvement des « gilets jaunes » est ici incomparable, les quelques images d'interpellations violentes ou de blessés lors de la mobilisation parisienne du 1er décembre comptent parmi les contenus les plus partagés et les plus visionnés sur les groupes dédiés. « Ajoutez à ça, des vidéos virales d’interventions ratées d’élus comme celle de la députée de la majorité qui ne parvient pas à évaluer le SMIC, des fausses informations et des vrais articles ou révélations sur l’iniquité fiscale comme l'affaire Carlos Ghosn et vous avez un mouvement numérique potentiellement explosif », poursuit Fabrice Epelboin.
Une articulation très efficace, soulignait le 4 décembre dernier dans Libération, le sociologue Michel Wieviorka : « Occupy Wall Street ou Nuit Debout ont conjugué l’usage d’internet et des réseaux sociaux, et un ancrage visible sur quelques lieux. Les gilets jaunes, eux, ont occupé non pas une ou deux places, mais tout le territoire. Cette articulation du virtuel et du territorial est d’une grande intelligence ».
Les gilets jaunes, Anonymous à la française ?
Une autre analogie s’impose également comme clé de compréhension du phénomène selon Tristan Mendes France, enseignant au Celsa, spécialisé dans les nouveaux usages numériques. « Les gilets jaunes reposent sur la même structure que le mouvement Anonymous. Tout le monde peut se revendiquer gilet jaune de manière informelle, il n’y a pas d’autorité référente, pas de hiérarchie, pas de filtre politique. Mécaniquement, il ne peut y avoir de revendication homogène, personne n’a de vision globale. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui, pas une proposition du gouvernement n’est en mesure d’arrêter le mouvement », estime-t-il.
« Anonymous a redessiné le canevas des mobilisations sociales numérique. Les gilets jaunes expriment cette même exigence d’égalité et de transparence, face à l’information et aux autorités. Le mouvement n’est plus pensé pour arriver à un résultat précis mais pour s’opposer radicalement à quelque chose », abonde Fabrice Epelboin.