Le rêve de Bologne
Publié le 16/10/2018 à 16h57 - Modifié le 16/10/2018 à 18h21Jean-Pierre Denis, directeur de la rédaction
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À Bologne, en Italie, se tenait en début de semaine la rencontre annuelle des religions, organisée par la communauté de Sant’Egidio. En ouverture, l’archevêque Matteo Zuppi soulignait la particularité d’une ville dont la plupart des rues sont faites de galeries à arcades. Celles-ci unissent de maison en maison et de quartier en quartier le privé et le public, le dedans et le dehors, le tout près et le plus loin. On marche à la fois sous les voûtes et en plein air. Quand viennent les intempéries, on peut ainsi sortir de chez soi tout en restant à l’abri. Tout est relié par cette capillarité, puis délié par des places publiques, espaces voués à la rencontre, à la sociabilité, à la convivialité. Avec son tombeau de saint Dominique et son université, la plus vieille du vieux continent, cette ancienne ville très jeune pourrait être la métaphore d’une Europe que l’on ne s’autorise plus à rêver, une civilisation pour laquelle la prospérité du commerce ne va pas sans le rayonnement de la culture et de la foi. Une terre d’accueil et d’identité, d’échanges et de fidélité.
On perd un peu son temps à supputer sur le Brexit, à déplorer les élections en Bavière ou à dénoncer les provocations quotidiennes de Matteo Salvini, le ministre italien de l’Intérieur. Oui, on perd son temps si l’on ne voit pas plus loin que tous ces doigts qui montrent la lune, à moins qu’ils ne forment un poing qui tape sur la table. Autant de symptômes d’une même crise dont on ne peut sérieusement dire qu’elle nous prend par surprise. Le fait est qu’un nombre croissant de citoyens considèrent la « maison commune » comme la nouvelle prison des peuples. Pourquoi les Européens ne font-ils plus d’enfants, mais se sentent-ils menacés par l’arrivée des enfants des autres, tous ces jeunes que nous faisons rêver alors que nous avons cessé d’espérer ? Question centrale, existentielle, dont on voit qu’elle n’est pas seulement affaire de bonne ou de mauvaise gestion, de plus de Bruxelles ou de moins de Bruxelles. L’être humain ne vit ni au présent technocratique ni au futur transhumaniste, les seuls temps que semblent vouloir conjuguer, aujourd’hui, les gens brillants. Il veut savoir où il est et ce qu’il fait là, avec ses amis et ses amours, sa famille, et si possible son travail.
Sur les gouffres de la colère, personne ne peut empêcher les chrétiens de faire circuler l’espérance.
Pourquoi l’avons-nous donc vendue à l’encan, cette Europe d’arcades et de galeries, d’églises et d’universités, d’humanisme et de christianisme, cette Europe aussi fièrement occidentale qu’orientale, celle que Jean Paul II priait d’avoir « deux poumons » pour respirer et « une âme » pour espérer ? Pourquoi nos billets de banque n’ont-ils jamais reçu de visage ? Vous me direz que les jérémiades, la nostalgie et les prophéties de malheur ne servent à rien. En effet, il faut plutôt du courage, de la vision, de l’énergie. « Des ponts pour la paix », c’était le thème de la rencontre de Bologne. Relier deux rives ou circuler entre deux pâtés de maison… arcades ou ponts, c’est un peu la même chose. De la pensée positive ? Il en faut bien. La mission des chrétiens pourrait même ressembler à ça. Le pape n’est-il pas appelé, parfois, « souverain pontife » ?
Orthodoxes, catholiques, protestants… Quelle que soit notre Église, nos divisions et nos scandales ne nous mettent pas en situation de faire la leçon. Eh bien, c’est parfait ! Situation excellente. À force d’échecs et de désillusions, on finira peut-être par arriver à une forme plus simple d’humilité, d’humanité et de disponibilité pour le service. Et si nous devenions des ponts, par où s’élancent ceux et celles d’entre nous qui vont soigner le monde et par où viennent tous les inconnus qui cherchent à croire ? Certes, en apparence, personne ne nous a rien demandé. Mais sur les gouffres de la colère, personne ne peut empêcher les chrétiens de faire circuler l’espérance. Une valeur qui vaut toutes les monnaies du monde.
Publié le 16/10/2018 à 16h57 - Modifié le 16/10/2018 à 18h21Jean-Pierre Denis, directeur de la rédaction
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À Bologne, en Italie, se tenait en début de semaine la rencontre annuelle des religions, organisée par la communauté de Sant’Egidio. En ouverture, l’archevêque Matteo Zuppi soulignait la particularité d’une ville dont la plupart des rues sont faites de galeries à arcades. Celles-ci unissent de maison en maison et de quartier en quartier le privé et le public, le dedans et le dehors, le tout près et le plus loin. On marche à la fois sous les voûtes et en plein air. Quand viennent les intempéries, on peut ainsi sortir de chez soi tout en restant à l’abri. Tout est relié par cette capillarité, puis délié par des places publiques, espaces voués à la rencontre, à la sociabilité, à la convivialité. Avec son tombeau de saint Dominique et son université, la plus vieille du vieux continent, cette ancienne ville très jeune pourrait être la métaphore d’une Europe que l’on ne s’autorise plus à rêver, une civilisation pour laquelle la prospérité du commerce ne va pas sans le rayonnement de la culture et de la foi. Une terre d’accueil et d’identité, d’échanges et de fidélité.
On perd un peu son temps à supputer sur le Brexit, à déplorer les élections en Bavière ou à dénoncer les provocations quotidiennes de Matteo Salvini, le ministre italien de l’Intérieur. Oui, on perd son temps si l’on ne voit pas plus loin que tous ces doigts qui montrent la lune, à moins qu’ils ne forment un poing qui tape sur la table. Autant de symptômes d’une même crise dont on ne peut sérieusement dire qu’elle nous prend par surprise. Le fait est qu’un nombre croissant de citoyens considèrent la « maison commune » comme la nouvelle prison des peuples. Pourquoi les Européens ne font-ils plus d’enfants, mais se sentent-ils menacés par l’arrivée des enfants des autres, tous ces jeunes que nous faisons rêver alors que nous avons cessé d’espérer ? Question centrale, existentielle, dont on voit qu’elle n’est pas seulement affaire de bonne ou de mauvaise gestion, de plus de Bruxelles ou de moins de Bruxelles. L’être humain ne vit ni au présent technocratique ni au futur transhumaniste, les seuls temps que semblent vouloir conjuguer, aujourd’hui, les gens brillants. Il veut savoir où il est et ce qu’il fait là, avec ses amis et ses amours, sa famille, et si possible son travail.
Sur les gouffres de la colère, personne ne peut empêcher les chrétiens de faire circuler l’espérance.
Pourquoi l’avons-nous donc vendue à l’encan, cette Europe d’arcades et de galeries, d’églises et d’universités, d’humanisme et de christianisme, cette Europe aussi fièrement occidentale qu’orientale, celle que Jean Paul II priait d’avoir « deux poumons » pour respirer et « une âme » pour espérer ? Pourquoi nos billets de banque n’ont-ils jamais reçu de visage ? Vous me direz que les jérémiades, la nostalgie et les prophéties de malheur ne servent à rien. En effet, il faut plutôt du courage, de la vision, de l’énergie. « Des ponts pour la paix », c’était le thème de la rencontre de Bologne. Relier deux rives ou circuler entre deux pâtés de maison… arcades ou ponts, c’est un peu la même chose. De la pensée positive ? Il en faut bien. La mission des chrétiens pourrait même ressembler à ça. Le pape n’est-il pas appelé, parfois, « souverain pontife » ?
Orthodoxes, catholiques, protestants… Quelle que soit notre Église, nos divisions et nos scandales ne nous mettent pas en situation de faire la leçon. Eh bien, c’est parfait ! Situation excellente. À force d’échecs et de désillusions, on finira peut-être par arriver à une forme plus simple d’humilité, d’humanité et de disponibilité pour le service. Et si nous devenions des ponts, par où s’élancent ceux et celles d’entre nous qui vont soigner le monde et par où viennent tous les inconnus qui cherchent à croire ? Certes, en apparence, personne ne nous a rien demandé. Mais sur les gouffres de la colère, personne ne peut empêcher les chrétiens de faire circuler l’espérance. Une valeur qui vaut toutes les monnaies du monde.