Préface de la Bible de l'Épée
édition T.U.L.I.P.E. 2005
édition T.U.L.I.P.E. 2005
Aucun peuple moderne, ne peut se comparer aux Français pour la richesse et l'antiquité de la littérature biblique et de ses renseignements inépuisables. Quelle aspiration salutaire que de voir, en chaque nation, l'apparition de ce Livre Sacré signaler l'aurore de l'ère nouvelle du troisième millénaire, et, non seulement du Christianisme Biblique qui s'apprête a l'apparition glorieuse du Seigneur Jésus-Christ avec ses élus, mais aussi du destin des nations en étroit rapport avec l'accueil plus ou moins favorable que rencontre ce Saint Volume. Les archives historiques nous indiquent clairement la supériorité intellectuelle et morale des nations qui ont la Bible Authentique des Apôtres, des Vaudois et des Réformateurs du 16e siècle, qui l'honorent ou du moins la tolèrent, sur celles qui la proscrivent, la dénaturent ou la détruisent.
C'est une grande joie de remettre entre les mains du peuple français, la source et la fierté de son patrimoine spirituel si longtemps négligé, la Bible de l'Épée des Huguenots, chrétiens calvinistes de Foi Réformée, qui furent les premiers à coloniser le Québec dans les années 1540, et qui fondèrent sa ville Capitale en 1608 avec Samuel de Champlain. Cet héritage glorieux est ce qui fait de nous un peuple distinct dans un monde en régression spirituelle et sans frein.
Des traductions jamais neutres
Hier comme aujourd'hui, la traduction de la Bible reste un authentique enjeu de pouvoir. Exemple à travers l'histoire de traductions françaises De Luther à la King James Version, l'Europe des Bibles.
L'Angleterre et les pays de langue anglaise sont largement en tête par le nombre et l'importance des traductions de la Bible, rappelle André Paul dans son essai d'initiation consacré au sujet (1) . La première Bible complète (autour de John Wycliff) date de 1382-1384, mais c'est la version du roi Jacques Ier (1566-1625), la King James Version, qui tiendra une place unique dans le monde anglophone.
L'Allemagne se place au second rang, avec la Bible (parue en 1534) de Luther traduite dans la langue de ses contemporains. L'Italie et l'Espagne n'ont pas eu, pour des raisons religieuses et linguistiques, de Bible nationale.
Il faut attendre la fin du Moyen Âge pour que soit diffusée la première traduction de la Bible en français. Jusqu'alors, en effet, on utilise la Bible de saint Jérôme, la Vulgate. La connaissance du texte biblique reste confinée à un cercle d'érudits, parlant latin. D'ailleurs, son édition exclusivement manuscrite en limite la lecture aux monastères et aux universités.
Tout change avec l'avènement, au XVe siècle, de l'imprimerie (Bible de Gutenberg en 1455). La Bible sort des enceintes religieuses pour atteindre le grand public. Pour les humanistes comme Érasme ou Thomas More, qui préconisent un retour aux Saintes Écritures, l'invention de Gutenberg paraît même providentielle. Lefèvre d'Étaples imprime à Anvers (1530) la première Bible en français. Il se contente de partir de textes latins. Mais après lui, les tentatives de traductions vont aller directement se confronter aux sources hébraïque et grecque des textes.
La Réforme prolonge et renforce le mouvement, avec la doctrine de la sola scriptura - il n'y a d'autorité doctrinale que de la Bible. C'est l'époque des grandes traductions qui, en Allemagne avec Luther ou au Royaume-Uni (la Bible du roi James), vont même fixer respectivement les langues allemande et anglaise dans leurs caractéristiques modernes.
En France, rien de semblable. Ce sont des écrivains laïcs (la Pléiade) qui donnent à la langue française ses contours contemporains. De plus, la France reste aux mains des catholiques, pour lesquels il semble alors moins urgent de traduire la Bible que pour les protestants. Ces derniers sont d'ailleurs à l'initiative des premières grandes traductions françaises, qu'il s'agisse d'Olivetan ou bien de Châtellion. Ils vont entraîner une saine émulation côté catholique, avec la Bible de Louvain (1550) et celle de Benoist (1556). « Ces premières versions françaises du texte biblique sont des monuments littéraires », estime aujourd'hui le P. Pierre Gibert, exégète, soulignant la créativité des auteurs qui n'hésitent pas à inventer des mots.
(Source: Croire.com)
Lecture pour tous
Le 10 décembre 1530, la première traduction française imprimée de la Bible sort des presses de Martin Lempereur à Anvers. Sur ce gros in-folio de plus de mille pages, qui possède à la fois le privilège impérial et l'imprimatur de la faculté de théologie de Louvain, le nom du traducteur n'apparaît pas. Car la traduction des Écritures en langue vulgaire est oeuvre dangereuse, et l'humaniste français le plus célèbre de son temps, Jacques Lefèvre d'Étaples, se cache.
La traduction de la Bible en français constitue un enjeu déterminant au XVIe siècle. Et pourtant, traduire la parole de Dieu semble a priori assez naturel. Lors de la Pentecôte, les apôtres n'ont-ils pas reçu le don des langues et le devoir de prêcher aux peuples de la Terre ? La Bible hébraïque fut d'ailleurs traduite en grec par les juifs d'Alexandrie au IIIe siècle av. J.-C., et la Bible chrétienne le fut en latin par saint Jérôme à la fin du IVe siècle apr. J.-C. Cependant, après la chute de l'Empire romain d'Occident, alors que le latin est en train de disparaître comme langue vivante, l'Église romaine arrive à en maintenir artificiellement la survie. La Vulgate de saint Jérôme et la liturgie en latin demeurent le lien de tous les chrétiens d'Occident, et la preuve d'une culture commune.
Durant les mille ans du Moyen Age, les études se font en latin : on apprend à lire dans le Psautier, et à l'Université de Paris, qui draine un public européen, on n'écrit et on ne parle que cette langue. Ainsi se constitue peu à peu autour de la Sorbonne un véritable « quartier latin ». Ce qui ne signifie pas, loin de là, que toutes les élites suivent sans difficulté la messe en latin. L'aristocratie et la bourgeoisie des villes, qui seules peuvent donner une bonne éducation à leurs enfants, ne possèdent en réalité qu'un vernis de latinité. Quant au peuple, dans son immense majorité, il ignore cette langue qui revêt à ses yeux un caractère plus magique que réellement sacré. Circonstance aggravante, les enquêtes pastorales des XVe et XVIe siècles révèlent que bien des curés, à la campagne surtout, ne comprennent pas eux-mêmes les textes qu'ils récitent... Normalement, dans son sermon, le prêtre est censé paraphraser et expliquer en langue vulgaire les passages de la Bible qu'il a lus en latin. C'est uniquement par le truchement du clergé que le peuple chrétien peut avoir accès à la parole du Christ, l'Église se réservant le monopole des textes sacrés. La parole de Dieu n'est-elle pas alors pour les fidèles une « parole confisquée » ? Fait significatif : de nombreux « hérétiques » ont voulu avant tout traduire les Écritures pour s'adresser directement aux populations et ainsi court-circuiter la parole officielle.
À la fin du Moyen Age, les laïcs les plus cultivés, soucieux de mieux assurer leur salut, développent de nouvelles formes de religiosité, plus profondes, plus intimes, et revendiquent un accès direct aux textes, que l'Église hésite à leur interdire. Des traductions de la Bible en français commencent à voir le jour, à l'initiative de la cour de France. Précocement, Saint-Louis en commande une dans les années 1250. Un siècle après, Jean II le Bon fait de même, et Charles V renouvelle à son tour la commande, en la confiant à son traducteur favori, Raoul de Presles, qui vient d'achever une version française de saint Augustin. Et c'est encore à l'initiative du roi Charles VIII et de son confesseur, Jean de Rély, qu'en 1495, la première Bible française est imprimée à Paris. Ouvrage luxueux, cette Bible hystoriée n'est ni complète ni bien fidèle. Ces commandes royales témoignent à la fois d'un renouveau spirituel du monde laïque et des progrès du français comme langue de culture. Mais les oeuvres prennent beaucoup de libertés avec le texte et ne touchent qu'un public restreint.
C'est dans ce contexte que les humanistes européens s'attaquent au problème de la Bible en langue vulgaire. Leur travail se veut avant tout scientifique : comme toutes les oeuvres antiques, le texte biblique s'est altéré au cours des âges, et il s'agit d'en retrouver la teneur originelle. L'étude philologique passe par un retour au latin, au grec et à l'hébreu. Mais les humanistes visent de nouveau un objectif spirituel, qui se trouve dans l'air du temps : ils entendent rendre la parole du Christ aux humbles, qui en sont les premiers destinataires. « Et comment prescheront-ilz [les docteurs de l'Église] à toute créature, comment enseigneront-ilz à garder toute chose que Jésus Christ a commandé, si ilz ne veulent point que le simple peuple voie et lise en sa langue l'Évangile de Dieu ? », s'insurge Jacques Lefèvre d'Étaples.
Né à Étaples dans les années 1450, Jacques Lefèvre fait ses études à l'Université de Paris, et gagne sa vie en enseignant sur la montagne Sainte-Geneviève, au collège Cardinal-Lemoine. Humaniste accompli, il voyage longuement en Italie, où il rencontre notamment Pic de La Mirandole et Marsile Ficin ; et il édite de très nombreux textes de l'Antiquité ainsi que des mystiques médiévaux comme Nicolas de Cues. Au début du XVIe siècle, il se lie d'amitié avec Guillaume Briçonnet, un personnage puissant, conseiller du roi et abbé de Saint-Germain-des-Prés. C'est également un humaniste sensible aux nouveaux courants de spiritualité, et lorsqu'il devient évêque de Meaux, en 1516, Briçonnet entreprend la réforme morale de son diocèse. Il rassemble autour de lui nombre d'intellectuels et d'érudits, qui constituent le « cénacle de Meaux ». L'évêque estime que ses ouailles doivent comprendre directement la parole du Christ et, pour la première fois, presque cinq siècles avant Vatican II, on « délatinise » les textes évangéliques, on célèbre la messe en français. Mais afin que ces traductions ne soient des trahisons ou de belles infidèles, Lefèvre d'Étaples s'engage à produire un texte sûr. À près de 70 ans, le vieil homme, qui n'a jamais écrit qu'en latin, se met à la tâche.
Curieusement, alors qu'il connaît parfaitement le latin, Lefèvre maîtrise mal le grec et encore moins l'hébreu. En 1517, Érasme édite le premier Nouveau Testament grec, tandis que paraît la première Bible hébraïque imprimée. Mais l'humaniste français ne va guère en tenir compte, et il se contente de traduire la Vulgate de saint Jérôme. Dès 1523, il fait paraître à Paris un Nouveau Testament en deux volumes. Il s'agit d'une édition relativement économique : format « de poche » (in-octavo), gros tirage pour l'époque (au moins 1 200 exemplaires) et prix modique. La préface, dédiée « à tous Chrestiens et Chrestiennes », donne le ton : « Et affin que [tout] ung chascun qui a congnoissance de la langue gallicane [le français] et non point du latin soit plus disposé à recevoir ceste presente grace [...], vous sont ordonnees [présentées] en langue vulgaire [...] les evangiles [...], affin que les simples membres du corps de Jesus Christ, ayant ce en leur langue, puissent estre aussi certains de la vérité evangelicque comme ceulx qui l'ont en latin. »
Ce n'est qu'une étape dans la traduction intégrale de la Bible, mais l'expérience de Meaux va bientôt s'interrompre. Le 24 février 1525, François Ier subit la terrible défaite de Pavie, et se retrouve prisonnier en Espagne. Or, le roi était le principal soutien des humanistes face à la faculté de théologie et au Parlement de Paris. Déjà en 1523, la Sorbonne a décrété que les traductions de la Bible « ne sont pas utiles mais néfastes à l'Église ». Dans un contexte de crise et en l'absence du roi, le vent est en train de tourner. Le cénacle de Meaux se dissout, et Lefèvre, menacé de poursuites, doit s'enfuir à Strasbourg. Son exil ne dure guère : en 1526, François Ier, rentré de captivité, modère les fanatiques religieux et rappelle Lefèvre à qui il confie la bibliothèque de Blois et l'éducation de ses enfants.
Mais l'humaniste reste prudent, et c'est anonymement qu'il fait publier à Anvers les premiers fascicules de sa traduction de l'Ancien Testament. Le choix d'Anvers s'explique aisément : cette ville de 100 000 habitants est devenue en quelques années la capitale de l'imprimerie européenne, diffusant des livres dans la plupart des langues occidentales. Sa formidable prospérité économique rend les autorités locales et impériales très tolérantes à son égard. En outre, imprimer une Bible en langue vulgaire n'a jamais été considéré comme un crime dans les Pays-Bas, et c'est pour cette raison que nombre d'éditeurs français, comme Martin Lempereur, ont choisi de s'y exiler.
C'est pour cette raison aussi que l'inquisiteur impérial, Nicolas Coppin, humaniste lui-même, autorise une publication jugée subversive et pernicieuse dans le royaume de France. L'entreprise n'en reste pas moins dangereuse, car les opinions se radicalisent. En 1529, voyant que François Ier ne parvient pas à sauver du bûcher l'humaniste Berquin, Lefèvre d'Étaples préfère se mettre à l'abri : il se retire à Nérac, dans la petite cour lettrée que tient la soeur du roi, Marguerite de Navarre, et c'est là qu'il meurt en 1536.
La Bible de Lefèvre d'Étaples rencontre un énorme succès. Parue à la fois en format de luxe (un gros in-folio illustré) et en fascicules in-octavo moins coûteux, et souvent rééditée au cours du XVIe siècle, elle semble avoir touché un public très large. Cette traduction, complète et précise, enterre toutes les éditions antérieures, et joue un rôle essentiel dans la « défense et illustration » de la langue française. Les tenants de la tradition estimaient en effet que la langue vulgaire, en constante évolution, ne convenait pas à la Parole divine, par définition immuable. Traduire les Écritures implique que l'on fixe un état de la langue, comme l'a fait Luther pour l'allemand. De fait, malgré une orthographe archaïque à nos yeux, le style qu'emploie Lefèvre s'avère étonnamment moderne : il a réfléchi à une langue claire, compréhensible par tous - ni le langage pédant des « sorbonicoles » ni le patois picard (qui est sa langue maternelle), mais un français épuré, très élégant, où perce déjà la langue classique. La postérité de sa traduction fut cependant de courte durée, car les humanistes lui reprochaient de n'avoir pas pris en compte les originaux hébreux et grecs, les réformés, de n'avoir pas remis en cause l'autorité de l'Église romaine, et les catholiques, d'être trop proche des luthériens. Érudit plus que polémiste, Lefèvre a fini par se retrouver isolé.
Dès 1535, paraît à Neuchâtel la première Bible réformée française. Si Pierre-Louis Olivétan, son éditeur — qui est par ailleurs parent de Jean Calvin —, travaille à partir du grec et de l'hébreu, il partage pleinement les idéaux de Lefèvre quant à une langue élégante et claire. « Faire parler à l'éloquence hébraïque et grecque le langage français », c'est vouloir, regrette-t-il, « enseigner le doux rossignol à chanter le chant du corbeau enroué ». Mais ce « corbeau enroué » qu'est le français a déjà appris la musique...
(Source: Historia.Presse.fr)