[size=46]Dans cette contribution, je me propose de mettre en parallèle l’évolution du pacifisme en Allemagne et en France dans la période considérée. Il sera question des organisations et des forces qui sont les vecteurs de ces évolutions (sans que nous entrions par trop dans le détail). Leur sociologie retiendra notre attention. Nous signalerons aussi l’importance des médiations entre les deux pays. La question qui nous guide est la suivante : quelle peut être l’influence des pacifistes dans deux pays qui, depuis des décennies, se considéraient comme des « ennemis héréditaires » ?[/size]
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« Pacifisme » : le mot fut créé en 1900 par Émile Arnaud, le président de la Ligue internationale de la Paix et de la Liberté, qui voulait définir par là toute une philosophie et une doctrine d’action. Le pacifisme doit être inséré dans l’ensemble plus large de l’internationalisme. Le 16e congrès universel de la paix à Munich, en septembre 1907, le définit ainsi :3
« Le pacifisme est le groupement des hommes et des femmes de toute nationalité qui recherchent les moyens de supprimer la guerre, d’établir l’ère sans violence et de résoudre par le droit les différends internationaux » [1][1] Sophie Lorrain, Des pacifistes français et allemands,...
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Sur le plan franco-allemand, les pacifistes ont été les pionniers de la réconciliation entre les deux pays. Les pacifistes sont loin d’être toujours des antimilitaristes et des défaitistes. Ce sont généralement des patriotes qui croient que le bien de leur patrie ne peut être atteint que dans l’entente avec les autres peuples. Mais le pacifisme transcende les nations. L’idée européenne qui s’est imposée après la Seconde Guerre mondiale est, malgré les déficits de sa réalisation, le fruit d’une pensée pacifiste.5
Il faut en fait distinguer plusieurs formes ou degrés de pacifisme : le pacifisme intégral ou radical qui refuse par principe toute guerre et préfère la servitude à la guerre : il prône l’objection de conscience généralisée ; le pacifisme partiel qui voit dans la guerre un moyen irrationnel et inhumain mais parfois nécessaire : il peut y avoir des guerres justes ; le pacifisme de conviction pour lequel la paix est une fin en soi ; ou le pacifisme instrumental qui voit dans la paix un moyen de circonstance pour atteindre un but politique.6
Dans les expressions historiques, ces formes idéal-typiques se mêlent la plupart du temps entre elles et avec d’autres mouvements d’opinion tels que l’antimilitarisme, le neutralisme, l’anticolonialisme, le mouvement antinucléaire, etc. Le pacifisme est par ailleurs souvent un mouvement transversal transcendant les groupes sociaux, les niveaux culturels et les générations. Mais il est particulièrement représenté chez les intellectuels, les enseignants, les femmes, les jeunes. De même, il se situe généralement à gauche, dans la mouvance socialiste ou communiste et chez les libéraux de gauche.7
Sur le plan chronologique, on peut distinguer trois périodes : 1. La situation est complexe dans l’immédiat après guerre jusqu’à l’occupation de la Ruhr par les Franco-Belges en 1923 (les Allemands parlent parfois, quant à eux, de Ruhrkampf, « combat pour la Ruhr » !) 2. Après 1924 s’installe pour un temps « l’esprit de Locarno » où le climat dominant est au pacifisme. 3. Très rapidement, dès la fin des années vingt, on assiste au retour des égoïsmes nationaux et de la méfiance réciproque. La guerre, de nouveau, se profile à l’horizon. Après 1933, le pacifisme est banni de l’Allemagne hitlérienne et devient problématique en France.Une difficile et progressive réorganisation dans un contexte de « guerre froide »
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L’hécatombe qu’a été la Première guerre mondiale (25% de la population française masculine entre 18 et 40 ans y a perdu la vie) pouvait faire croire aux pacifistes que la grande majorité de la population des deux côtés du Rhin se rangerait à leurs vues : la guerre est à bannir définitivement, nous venons de vivre la « der des der », « plus jamais ça ». Les choses ne sont pas si simples.9
À la signature de l’armistice du 11 novembre 1918, les Français sont las de la guerre, mais fiers de leur victoire et de leur armée. Les pacifistes ou « défaitistes » ne sont pas en odeur de sainteté. En 1919, le Bloc national a remporté les élections. Les pacifistes se heurtent au nationalisme toujours guerrier. Jusque fin 1923, l’immédiat après-guerre a été à bien des égards une « guerre froide » entre les deux pays. La France victorieuse exige l’application du Traité de Versailles, l’Allemagne vaincue ne s’exécute qu’avec réticence. Clemenceau, qui avait défendu le traité, rappelait qu’il n’excluait pas la vigilance : « La paix, disait-il en parodiant Clausewitz, est une guerre poursuivie par d’autres moyens » [2][2] Cité par Jean Defrasne, Le pacifisme en France, Paris,...
[size]. Aristide Briand, redevenu président du Conseil en 1921, avait bien tenté d’assouplir les exigences françaises. Mais il avait dû bientôt céder sa place à Poincaré, « Poincaré la guerre » comme l’appelleront bientôt, après l’invasion de la Ruhr en janvier 1923, les organisations et partis de gauche.[/size]
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Malgré les oppositions auxquelles ils se heurtent, les pacifistes sont néanmoins portés en France par une tendance lourde de l’opinion publique (un trend comme disent les sociologues). Au lendemain de l’armistice un certain nombre de pièces de théâtre d’inspiration pacifiste sont représentées à Paris : Les chaînes d’Henri Bourdon, L’Animateur d’Henri Bataille, etc [3][3] François-Georges Dreyfus, « Le pacifisme en France »,...
[size]. Il faudrait y ajouter tous les récits, romans, essais inspirés par l’expérience horrible de la guerre, ceux de Barbusse, Georges Duhamel, Maurice Genevoix, Roland Dorgelès, Victor Margueritte, etc. Le pacifisme est en France le fait d’une population qui a subi la guerre dans sa chair. Il touche donc toutes les couches de la population et toutes les générations, il est notamment vivace chez les intellectuels. Jean-François Sirinelli
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[4] Jean-François Sirinelli, « La France de l’entre-deux-guerres :...
[size] voit deux raisons à l’attitude de ces derniers : leur mauvaise conscience d’avoir pris part à la guerre de propagande en faveur de la patrie à laquelle a participé la majorité des grands intellectuels des deux côtés du Rhin (Romain Rolland constituant ici une des rares exceptions) ; leur méfiance depuis lors à l’égard des pouvoirs contre lesquels le philosophe Alain ne cessera de lancer des philippiques (
Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926). Quant à la jeune génération, elle voit dans l’hécatombe de 14-18 le signe de la faillite de la génération précédente. Tous trouvent néanmoins juste que l’on reconnaisse les dommages infligés à la France et donc que l’Allemagne soit contrainte de payer des réparations
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[5] Le Foyer cité par S. Lorrain, Des pacifistes français...
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Précisément, après l’armistice, les écrivains pacifistes peuvent faire de nouveau entendre leur voix. Il s’agit de faire le bilan d’une guerre mondiale horriblement destructrice et de préparer la paix. Après la « guerre des esprits » qui avait opposé un grand nombre d’entre eux pendant le conflit, il convient de renouer les contacts et de promouvoir une « internationale des esprits » qui sera le ferment de l’entente entre les peuples. Romain Rolland est le pionnier de cette idée dont il peut espérer enfin la réalisation. Car son appel est maintenant entendu par de nombreux intellectuels de France et d’ailleurs. Il est en contact avec Henri Barbusse qui, après la publication et le succès de son livre Le Feuen 1916, apparaissait comme le chef de file des écrivains pacifistes. Barbusse a fondé au printemps 1919 le mouvement Clarté, d’orientation nettement pacifiste, qui publie la revue du même nom. Il partage l’ambition de Romain Rolland : « former l’embryon d’une Internationale de l’intelligence » [6][6] Cité par Michael Klepsch, Romain Rolland im Ersten...
[size]. L’initiative de Barbusse a rencontré un écho très favorable chez les intellectuels allemands. Heinrich Mann, qui, avec son ami Andreas Latzko, a lancé dans ce pays un « Manifeste des travailleurs intellectuels », et l’Autrichien Hugo von Hofmannsthal lui manifestent leur soutien dans des lettres publiques. Pourtant, Rolland reproche à Barbusse d’admettre dans son groupe un certain nombre de personnalités aux convictions douteuses. Il décide de faire bande à part. Après en avoir discuté avec le pacifiste allemand Georg Friedrich Nicolai
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[7] Le professeur de médecine Georg Friedrich Nicolai avait...
[size], il lance fin juin son « Appel aux Intellectuels du monde, pour une Internationale de l’Esprit » qui deviendra la « Déclaration d’Indépendance de l’Esprit »
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[8] Bernard Duchatelet, Romain Rolland tel qu’en lui-même,...
[size]. Elle sera cosignée par environ un millier d’intellectuels européens dont beaucoup d’Allemands
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[9] Cf. Stephan Reinhardt, Die Schriftsteller und die Weimarer...
[size]. Sans doute l’attitude de Rolland est-elle celle d’un aristocrate de l’esprit. Il veut mettre l’esprit au seul service de la vérité et craint son instrumentalisation nationale ou partisane. Dans
Clarté, Barbusse, passé au communisme, critiquera bientôt son refus de s’engager dans « l’action positive »
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[10] Voir Bernard Duchatelet, op. cit., p. 238 sq.
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Après la scission du parti socialiste (SFIO) au Congrès de Tours à Noël 1920, un grand nombre de pacifistes ont en effet rejoint le parti communiste qui en émanait. Le parti socialiste traîne comme une mauvaise conscience son adhésion à « l’Union sacrée ». La révolution bolchevique et la création en mars 1919 de la IIIe Internationale suscitent en revanche beaucoup d’espoirs. On allait enfin en finir avec le capitalisme fauteur de guerres. Le poète Georges Pioch chantait avec lyrisme le communisme dans lequel il apercevait « la forme organisée et supérieure de l’amour » [11][11] Cité par J. Defrasne, Le pacifisme en France…, op....
[size]. Beaucoup de journalistes ou d’intellectuels sont séduits : Loriot, Amédée Dunois, Pierre Monatte, Henri Fabre, Albert Mathiez, Paul Langevin, Henri Jeanson, etc. Cependant, le pacifisme intégral de nombreux ralliés au communisme est peu compatible avec les visées révolutionnaires du nouveau parti. Pour Lénine, le pacifisme n’est pas un but, mais le moyen d’affaiblir les régimes capitalistes. Une des 21 conditions auxquelles était soumise l’adhésion à la III
e Internationale condamnait à la fois le social-patriotisme [des socialistes ayant suivi Jaurès] et le « social-pacifisme hypocrite et faux ». La bolchevisation du parti français passera donc par l’élimination des pacifistes intégraux. De fait, la plupart d’entre eux, et notamment les militants du syndicalisme révolutionnaire, les premiers à avoir refusé l’Union sacrée, seront peu à peu exclus du parti.[/size]
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La SFIO continue à se réclamer de la doctrine de Jaurès que Léon Blum rappelle au Congrès de Tours : « Il y a des circonstances où, même en régime capitaliste, le devoir de défense nationale existe pour les socialistes » [12][12] Cité par J. Dufrasne, op. cit., p. 87.
[size]. Beaucoup de pacifistes qui n’acceptent pas les oukases de Moscou le rejoignent. La SFIO critique la sévérité du traité de Versailles (sans toutefois remettre en cause l’article 231) et refuse de voter sa ratification. Elle condamne Briand (alors encore partisan d’une politique de sécurité par la force) lorsqu’il fait occuper trois villes rhénanes au printemps 1921, mais le soutient quand il se déclare, un peu plus tard, prêt à des concessions sur la question des réparations. Bref, contrairement au Bloc national, elle poursuit une politique d’entente et de concessions mutuelles avec l’Allemagne, qui lui paraît être la meilleure garantie pour le maintien de la paix. Elle place son espoir dans un système de sécurité collective sous l’égide de la toute nouvelle SDN.[/size]
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Quant aux pacifistes intégraux qui n’ont rejoint ni le PC ni la SFIO, ils se situent essentiellement dans la mouvance anarchiste autour de personnalités telles que Sébastien Faure et Louis Lecoin. Malgré les poursuites auxquelles ils s’exposent, ils combattent la politique militariste du Bloc national, plaident pour la démobilisation, prennent parti pour les insoumis et les déserteurs. Ils vont bientôt concentrer leurs efforts sur la lutte pour l’objection de conscience et pour le désarmement unilatéral. Leur audience reste limitée.15
Sur le plan franco-allemand, la guerre a creusé un fossé entre des organisations pacifistes ayant eu des relations suivies avant 1914. La reconnaissance de la responsabilité de l’Allemagne dans le déclenchement et la conduite de la guerre par les pacifistes allemands est aux yeux de la grande majorité des pacifistes français un préalable à la reprise des contacts. Ludwig Quidde, représentant en 1919 la Société allemande pour la paix (Deutsche Friedensgesellschaft, DFG) à une réunion du Bureau international pour la paix, est accueilli fraîchement par ses « amis » français Gaston Moch et Théodore Ruyssen. De même n’y aura-t-il que trois participants français aux conférences de Vienne (1922) et de Copenhague (1923). Cependant, les plus radicaux des pacifistes français pressentent les dangers que recèlent pour l’avenir le Traité de Versailles et notamment l’article 231 affirmant la responsabilité exclusive de l’Allemagne dans le déclenchement de la guerre. Les dures conditions imposées aux Allemands, qui, pour certaines, bafouent ouvertement les « quatorze points » du Président américain Thomas Woodrow Wilson, sapent leur confiance dans les démocraties occidentales alors que la toute jeune et fragile démocratie allemande aurait besoin de la solidarité internationale. La prise de conscience du regain du nationalisme et du militarisme allemands conduit les pacifistes français à relancer les contacts avec ceux qui ont reconnu la responsabilité allemande et plus généralement avec tous les pacifistes démocrates ou « Républicains de raison » tels que Friedrich Wilhelm Foerster, Hellmut von Gerlach ou Harry Graf Kessler. Les pionniers de cette reprise des relations sont des personnalités comme Marc Sangnier, fondateur du Sillon, ou d’Estournelles de Constant. L’organisation pacifiste internationale, la Dotation Carnegie pour la paix internationale, soutient ces efforts de rapprochement. Mais il faudra trois ans pour que des relations directes et suivies s’instaurent de nouveau réellement entre les organisations pacifistes des deux pays. En décembre 1921, Kessler est invité par Marc Sangnier à Paris au Congrès de l’Internationale démocratique. Peu à peu la confiance se rétablit.16
Le pacifisme allemand est, quant à lui, partagé entre la même lassitude et le même espoir. Fin 1918, alors même que les organisations traditionnelles (Société allemande pour la paix – Deutsche Friedensgesellschaft – créée en 1892, Ligue nouvelle patrie – Bund Neues Vaterland – fondée en 1914 par réaction à l'attitude trop modérée de la précédente) se manifestent de nouveau, de nombreuses associations pacifistes se créent ici et là. Le pacifisme va-t-il devenir en Allemagne un phénomène de masse ? Un mouvement « Jamais-plus-la-guerre » parvient de 1920 à 1924 à rassembler environ 30000 membres et à organiser le 1eraoût, date anniversaire du début de la guerre, des manifestations importantes (jusqu’à 500 000 personnes en 1921 !). Mais ce mouvement s’essouffle rapidement et disparaît complètement au moment de l'invasion de la Ruhr (nous y reviendrons). Dans l’ensemble, le pacifisme reste marginal dans ce pays. Le Diktat de Versailles dont les stipulations sont connues au printemps 1919 crée un sentiment d’injustice et de rancœur. Les forces de gauche qui auraient pu transcrire dans la réalité les objectifs pacifistes, les syndicalistes, les socialistes majoritaires ou « indépendants », les libéraux de gauche, ne peuvent s’installer durablement au pouvoir. La « coalition de Weimar » (social-démocratie, centre catholique, parti libéral démocrate) en est chassée dès les élections au Reichstag de l’été 1920. Dans l’opinion publique, le pacifisme est généralement assimilé au défaitisme et aux « criminels de novembre » qui ont permis l’instauration de la République et à qui l’on reproche maintenant d’avoir planté « un coup de poignard dans le dos » de l’armée. Les pacifistes sont diffamés, souvent défavorisés dans leur carrière, notamment dans l’université (il faut dire qu’ils sont parfois en même temps juifs comme les mathématiciens Albert Einstein à Berlin et Emil Julius Gumbel à Heidelberg ou le philosophe Theodor Lessing à Hanovre). Dans l’atmosphère qui a suivi la défaite et surtout la publication des stipulations du Diktat, certains pacifistes comme Alfred H. Fried, Walter Schüking, Hans Wehberg, Ludwig Quidde, qui, pendant la guerre, n’ont fait preuve que de réserve à l’endroit de la politique du Reich, trouvent injuste le sort réservé à l’Allemagne. Pour eux le déclenchement de la guerre est dû à la structure du système mondial en général. Il ne peut donc être question que de responsabilité partagée, et non de responsabilité exclusive de l’Allemagne.17
Du fait de la création de nouvelles associations [13][13] Cf. Karl Holl, Pazifismus in Deutschland, Francfort-sur-le-Main,...
[size], le paysage pacifiste allemand perd en homogénéité. Certes, la Société allemande pour la paix continue à être la formation la plus puissante. En 1926, elle compte 30000 adhérents répartis en 300 filiales. La moitié de ses membres adhère à la social-démocratie, un quart vient du libéralisme démocratique, un vingtième du Centre catholique. Ici comme en France – mais sans doute moins qu’en France– l’action pacifiste s’efforce de trouver des relais dans les partis politiques. Mais la DFG est aussi traversée par des conflits générationnels. L’ancienne génération représentée par Ludwig Quidde y est contestée par la génération montante représentée entre autres par Fritz Küster. Un pacifisme modéré, d’inspiration libérale, celui de Quidde, s’y oppose à un pacifisme radical représenté notamment par Kurt Hiller qui, bien que non marxiste, créera en 1926 le Groupe des pacifistes révolutionnaires. Au congrès de 1920, la proposition de Kurt Hiller de déclarer la Reichswehr hors la loi, soumet la Société à des tensions dangereuses pour son existence même. Carl von Ossietzki, rédacteur en chef de la
Weltbühne, pacifiste lui-même, se moquera de la capacité des pacifistes à se faire la guerre entre eux ! Le Cartel allemand pour la paix (
Deutsche Friedenskartell), créé fin 1921 pour mettre fin à la parcellisation du mouvement, comptera en 1928, juste avant sa dissolution, 27 associations comprenant en tout 100 000 membres, ce qui n’était pas grand chose comparé aux organisations de masse des partis politiques de droite comme de gauche
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[14] Voir la liste de ces associations dans Wolfgang Benz...
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Dès le congrès pacifiste de Braunschweig à l’automne 1920 les principales organisations pacifistes se mettent cependant d’accord sur un programme. La DFG, organisatrice du congrès, la Ligue allemande pour la Société des nations (Deutsche Liga für Völkerbund), l’Association pour l’entente internationale (Verband für internationale Verständigung), la Ligue pour la paix des anciens combattants (Friedensbund der Kriegsteilnehmer) et la Ligue nouvelle patrie (Bund Neues Vaterland) signent une déclaration commune fixant leurs objectifs : 1. Droit pour l’Allemagne à intégrer une SDN transformée en une communauté de travail et de paix, ce qui implique un désarmement général afin d’éviter qu’elle ne devienne un instrument aux mains des vainqueurs. 2. Révision du traité de Versailles uniquement par le biais d’une entente pacifique et non d’une guerre de revanche. Des pacifistes plus radicaux comme Friedrich Wilhelm Foerster estiment cependant que la paix ne sera vraiment possible que si l’Allemagne fait son mea culpa et examine d’un œil critique sa tradition militaro-prussienne.19
Le mouvement pacifiste est sensible aux menaces auxquelles est exposée la République, notamment de la part de la droite nationaliste. En effet, alors que dans les rangs des anciens combattants français se répand un pacifisme raisonné, la figure du soldat du front, mythifié par l’extrême droite allemande et restant la référence idéologique dans les organisations plus ou moins secrètes des corps francs ou de la « Reichswehr noire », devient le symbole d’une Allemagne qui veut recouvrer sa puissance nationale, croit avoir été trahie par la « révolution de novembre » de 1918 et a pour objectif la revanche sur la France. Alors que la littérature d’inspiration pacifiste trouve son public en France dans l’immédiat après-guerre, il faut attendre 1928 pour voir en Allemagne deux œuvres pacifistes, à savoir À l’ouest rien de nouveau d’Erich Maria Remarque et Guerre de Ludwig Renn (auxquelles il faudrait ajouter Le sort du Sergent Grischa d’Arnold Zweig), connaître un succès important. L’immédiat après-guerre avait vu au contraire paraître les récits nationalistes et « guerriers » d’Ernst Jünger ou de Franz Schauwecker. Le militarisme et la politique de puissance de la tradition prusso-allemande ont survécu à la Première Guerre mondiale. Von Seeckt, le chef de la Reichswehr réduite à 100 000 hommes par Versailles, trouvait « idiot » le slogan « Plus jamais ça ! ». L’idéologie conservatrice et nationaliste restera dominante sous la République de Weimar. La « culture de Weimar » avec ses brillantes avant-gardes et son progressisme, reste un phénomène élitaire et minoritaire.20
Certes, l’Allemagne a eu aussi pendant la République de Weimar ses écrivains et intellectuels pacifistes ou proches du pacifisme. Citons, en dehors des trois auteurs déjà mentionnés plus haut [15][15] On peut également se référer à la liste des intellectuels...
[size], des écrivains appartenant à la gauche non communiste comme Ernst Toller, l’anarchiste Erich Mühsam, Carl von Ossietzky et Kurt Tucholsky (tous deux collaborant à la
Weltbühne), Heinrich Mann ; d’autres qui n’appartiennent à aucun courant politique et avec lesquels Romain Rolland entretiendra des relations suivies, Stefan Zweig et HermannHesse
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[16] Cf. Gilbert Merlio, « Die Beziehung zwischen Romain...
[size] ; enfin des personnalités comme la franco-allemande Annette Kolb, qui écrira une biographie de
Briand (1929), ou l’Alsacien René Schickele qui veut surmonter l’antagonisme des cultures française et allemande. Schickele et Stefan Zweig s’occuperont pendant un temps de la section allemande du mouvement « Clarté » avant de s’en séparer – suivis par beaucoup d’autres Allemands – quand ils s’apercevront que Barbusse en fait un instrument du communisme. Mais le pacifisme de ces auteurs s’accompagne la plupart du temps de la critique acerbe de la mentalité et des structures militaro-prussiennes qui caractérisent encore après 1918 la société allemande. Si bien qu’ils en viennent à être par trop sévères à l’égard d’une République à laquelle ils resteront en quelque sorte étrangers. Par ailleurs des peintres, expressionnistes ou « véristes », comme Otto Dix, Georg Grosz ou Käthe Kollwitz dépeignent les horreurs ou les victimes de la guerre. Mais Otto Dix, qui avait fait la guerre, disait de lui-même qu’il n’était pas pacifiste. En tout cas, dans les sciences, les lettres et les arts allemands, jamais le pacifisme n’a eu la place qu’il a occupée chez les intellectuels français. L’Allemagne n’a pas eu son Romain Rolland. Même si les partis politiques de la « Coalition de Weimar » se montrent ouverts aux idées du mouvement pacifiste, celui-ci reste dans l’ensemble confiné au rôle d’opposition extraparlementaire. Son rêve de devenir partie intégrante de la culture politique de la jeune République est mort-né. Une hypothèque pesait sur lui, comme sur les relations entre la France et l’Allemagne : le Traité de Versailles, dont la révision ou l’assouplissement ont été sans doute la préoccupation principale sinon obsessionnelle des gouvernements allemands de l’époque. Et cela même au temps où la réconciliation franco-allemande a pu sembler acquise.[/size]