[size=33]Égypte - Au Noël copte, la compassion des voisins musulmans[/size]
DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE À NAZLET HANNA, ARIANE LAVRILLEUX
Modifié le 08/01/2018 à 12:25 - Publié le 08/01/2018 à 11:06 | Le Point.fr
Carollus, un jeune chrétien, sert la main d'un musulman.
© Ariane Lavrilleux pour "Le Point"
Vêtu de sa longue tunique de velours vert réservée aux jours de fête, le cheikh Hanafy parcourt les ruelles en terre battue, s'appuyant sur sa canne et le bras de son neveu. Il habite à quelques pas de l'église où s'est tenue la messe de Noël, surveillée cette année par une dizaine de policiers, deux fois plus nombreux que d'ordinaire. Le lendemain, comme chaque année, le vieil homme rend visite à ses voisins chrétiens pour leur souhaiter « la bonne année », selon la formule consacrée que musulmans et chrétiens s'échangent, en Égypte, les jours de fête religieuse.
Il est loin d'être le seul. Dans la maison à la porte marquée d'une croix, des jeunes filles aux cheveux lissés et des hommes en galabeya immaculée défilent en continu. « Ce Noël-ci, il y a plus de musulmans que de chrétiens qui viennent me saluer. On sent plus de soutien de leur part », marmonne dans sa longue barbe blanche le père Daoud.
Kamel Girgis conduisait l’un des deux autocars attaqués le 26 mai dernier par un des hommes armés. L'attentat, revendiqué par l'EI, a fait 29 morts.
Ariane Lavrilleux pour "Le Point"
Le cheikh offre une franche poignée de main à un homme moustachu, la main tatouée d'une croix, qui s'approche. Kamel Girgis répond avec un grand sourire « à toi aussi, mon ami, très bonne année ! » Cet ancien chauffeur de bus porte encore les cicatrices des balles qui ont transpercé sa jambe et son épaule sept mois plus tôt. Kamel Girgis conduisait l'un des deux autocars attaqués le 26 mai dernier par des hommes armés. Il transportait un groupe de Coptes en pèlerinage vers le monastère Saint-Samuel, dans la région de Minya, au sud du Caire.
Parmi les 29 personnes qui périrent dans cet attentat revendiqué par l'organisation État islamique, 7 habitaient à Nazlet Hanna, ce village de 5 000 habitants de la région rurale de Béni Suef. « Ils nous manquent. La fête n'est pas complète cette année », témoigne ce père de quatre enfants. Quelques mètres plus loin, Badreya Eid a imprimé des cartes postales avec les portraits des sept « martyrs », dont celui de son neveu Bishoy, assassiné sous ses yeux. « Je n'ai pas eu la force d'aller à l'église, je suis restée toute la soirée avec sa mère », raconte-t-elle, la voix hachée de sanglots.
Le cheikh Hanafy avec le père Barnabé.
Ariane Lavrilleux pour "Le Point"
Face à la peine de ces familles que l'on sollicite, l'imam ne parvient pas toujours à retenir ses larmes, s'excuse et demande d'écourter leur interview. « Ici, musulmans et chrétiens se considèrent tous de la même famille, on forme un seul corps », assure le cheikh Hanafy, père de trois garçons. Son village, où il prêche depuis près de 30 ans, est un des rares « îlots de paix » en Haute-Égypte, où l'intolérance religieuse ne cesse de progresser en se nourrissant de l'illettrisme et d'une pauvreté alarmante. À quelques kilomètres de ce village, le corps d'un étudiant copte kidnappé fut retrouvé sur le bord de la route, le 14 avril dernier. L'institut Tahrir pour la politique au Moyen-Orient et Eshad ont recensé plus d'une vingtaine de meurtres, enlèvements et agressions anti-coptes en Haute-Égypte, rien que pour l'année 2017.
À Nazlet Hanna, la moitié des habitants sont chrétiens. Pour éviter qu'un différend dégénère en vendetta communautaire, le prêtre et le cheikh du village se réunissent immédiatement dès qu'un chrétien se plaint d'un musulman ou vice-versa. Selon eux, ce dialogue, impliquant les habitants au quotidien, est le meilleur extincteur de tensions.
L’église de Nazlet Hanna vient d'être agrandie.
Ariane Lavrilleux pour "Le Point"
L'église qui s'étire sur deux étages sent encore la peinture fraîche. Sa nef vient d'être agrandie grâce à la vente de deux maisons mitoyennes qui appartenaient jusqu'alors à des foyers musulmans. Le geste n'est pas anodin dans un pays où les autorités rechignent encore aujourd'hui à autoriser la construction ou même l'extension d'églises existantes. Selon le dernier rapport de l'association égyptienne pour les droits personnels, de telles autorisations peuvent prendre « des dizaines d'années, et même une fois obtenues, des habitants ou l'appareil sécuritaire interviennent pour empêcher la construction des églises ».
Ahmed Tharwat, 20 ans, et l'oncle d'une des victimes.
© Ariane Lavrilleux pour "Le Point"
À Nazlet Hanna, l'agrandissement de l'église n'a suscité aucun débat. L'anecdote paraît même banale à Ahmed Tharwat, 20 ans, qui « joue au football tous les jours avec des camarades chrétiens » et va régulièrement « chez ces amis proches ». Pourtant, la série d'attentats de masse, orchestrés par le groupe État islamique depuis près d'un an, a ébranlé cette coexistence pacifique.
Sa sœur, Shaïma Tharwat, qui tient une boutique de vêtements, a vu fleurir « parmi ses contacts Facebook des messages insultants le prophète Mohamed et traitant la religion musulmane de tous les noms ». Dans les jours qui ont suivi l'attentat contre les bus coptes, Sana Mahmoud se souvient que les « relations se sont brutalement refroidies avec les chrétiens ». Mais depuis l'attaque la plus sanglante de l'histoire de l'Égypte contre une mosquée du Nord-Sinaï qui a tué plus de 300 fidèles, le 24 novembre dernier, les compteurs de tristesse semblent s'équilibrer « vous êtes touchés comme nous maintenant, nous disent les chrétiens qui nous saluent à nouveau », soupire cette femme de 48 ans.
La maison où sont accrochés les portraits des victimes des attentats.
© Ariane Lavrilleux pour "Le Point"
Alors que résonne l'appel à la prière dans les ruelles étroites, le cheikh Hanafy s'arrête un bref instant. Face à lui, le portrait d'une des victimes de 24 ans est affiché sur le balcon, au côté des six autres visages entourés d'un ciel bleu. Un adolescent passe, tourne la tête vers le cheikh, grimace, et continue sa route. « C'est un de ceux qui ont arrêté de nous dire bonjour », souffle discrètement Ahmed, qui tient toujours le bras de son oncle, l'imam.
À Nazlet Hanna, village endeuillé en mai par la mort de 7 habitants lors d'un attentat de Daech, les chrétiens ont célébré ce week-end la naissance du Christ.
DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE À NAZLET HANNA, ARIANE LAVRILLEUX
Modifié le 08/01/2018 à 12:25 - Publié le 08/01/2018 à 11:06 | Le Point.fr
Carollus, un jeune chrétien, sert la main d'un musulman.
© Ariane Lavrilleux pour "Le Point"
Vêtu de sa longue tunique de velours vert réservée aux jours de fête, le cheikh Hanafy parcourt les ruelles en terre battue, s'appuyant sur sa canne et le bras de son neveu. Il habite à quelques pas de l'église où s'est tenue la messe de Noël, surveillée cette année par une dizaine de policiers, deux fois plus nombreux que d'ordinaire. Le lendemain, comme chaque année, le vieil homme rend visite à ses voisins chrétiens pour leur souhaiter « la bonne année », selon la formule consacrée que musulmans et chrétiens s'échangent, en Égypte, les jours de fête religieuse.
Il est loin d'être le seul. Dans la maison à la porte marquée d'une croix, des jeunes filles aux cheveux lissés et des hommes en galabeya immaculée défilent en continu. « Ce Noël-ci, il y a plus de musulmans que de chrétiens qui viennent me saluer. On sent plus de soutien de leur part », marmonne dans sa longue barbe blanche le père Daoud.
Village endeuillé
Kamel Girgis conduisait l’un des deux autocars attaqués le 26 mai dernier par un des hommes armés. L'attentat, revendiqué par l'EI, a fait 29 morts.
Ariane Lavrilleux pour "Le Point"
Le cheikh offre une franche poignée de main à un homme moustachu, la main tatouée d'une croix, qui s'approche. Kamel Girgis répond avec un grand sourire « à toi aussi, mon ami, très bonne année ! » Cet ancien chauffeur de bus porte encore les cicatrices des balles qui ont transpercé sa jambe et son épaule sept mois plus tôt. Kamel Girgis conduisait l'un des deux autocars attaqués le 26 mai dernier par des hommes armés. Il transportait un groupe de Coptes en pèlerinage vers le monastère Saint-Samuel, dans la région de Minya, au sud du Caire.
Parmi les 29 personnes qui périrent dans cet attentat revendiqué par l'organisation État islamique, 7 habitaient à Nazlet Hanna, ce village de 5 000 habitants de la région rurale de Béni Suef. « Ils nous manquent. La fête n'est pas complète cette année », témoigne ce père de quatre enfants. Quelques mètres plus loin, Badreya Eid a imprimé des cartes postales avec les portraits des sept « martyrs », dont celui de son neveu Bishoy, assassiné sous ses yeux. « Je n'ai pas eu la force d'aller à l'église, je suis restée toute la soirée avec sa mère », raconte-t-elle, la voix hachée de sanglots.
Îlot de paix
Le cheikh Hanafy avec le père Barnabé.
Ariane Lavrilleux pour "Le Point"
Face à la peine de ces familles que l'on sollicite, l'imam ne parvient pas toujours à retenir ses larmes, s'excuse et demande d'écourter leur interview. « Ici, musulmans et chrétiens se considèrent tous de la même famille, on forme un seul corps », assure le cheikh Hanafy, père de trois garçons. Son village, où il prêche depuis près de 30 ans, est un des rares « îlots de paix » en Haute-Égypte, où l'intolérance religieuse ne cesse de progresser en se nourrissant de l'illettrisme et d'une pauvreté alarmante. À quelques kilomètres de ce village, le corps d'un étudiant copte kidnappé fut retrouvé sur le bord de la route, le 14 avril dernier. L'institut Tahrir pour la politique au Moyen-Orient et Eshad ont recensé plus d'une vingtaine de meurtres, enlèvements et agressions anti-coptes en Haute-Égypte, rien que pour l'année 2017.
À Nazlet Hanna, la moitié des habitants sont chrétiens. Pour éviter qu'un différend dégénère en vendetta communautaire, le prêtre et le cheikh du village se réunissent immédiatement dès qu'un chrétien se plaint d'un musulman ou vice-versa. Selon eux, ce dialogue, impliquant les habitants au quotidien, est le meilleur extincteur de tensions.
Agrandissement de l'église
L’église de Nazlet Hanna vient d'être agrandie.
Ariane Lavrilleux pour "Le Point"
L'église qui s'étire sur deux étages sent encore la peinture fraîche. Sa nef vient d'être agrandie grâce à la vente de deux maisons mitoyennes qui appartenaient jusqu'alors à des foyers musulmans. Le geste n'est pas anodin dans un pays où les autorités rechignent encore aujourd'hui à autoriser la construction ou même l'extension d'églises existantes. Selon le dernier rapport de l'association égyptienne pour les droits personnels, de telles autorisations peuvent prendre « des dizaines d'années, et même une fois obtenues, des habitants ou l'appareil sécuritaire interviennent pour empêcher la construction des églises ».
Un respect mutuel ébranlé par les attentats
Ahmed Tharwat, 20 ans, et l'oncle d'une des victimes.
© Ariane Lavrilleux pour "Le Point"
À Nazlet Hanna, l'agrandissement de l'église n'a suscité aucun débat. L'anecdote paraît même banale à Ahmed Tharwat, 20 ans, qui « joue au football tous les jours avec des camarades chrétiens » et va régulièrement « chez ces amis proches ». Pourtant, la série d'attentats de masse, orchestrés par le groupe État islamique depuis près d'un an, a ébranlé cette coexistence pacifique.
Sa sœur, Shaïma Tharwat, qui tient une boutique de vêtements, a vu fleurir « parmi ses contacts Facebook des messages insultants le prophète Mohamed et traitant la religion musulmane de tous les noms ». Dans les jours qui ont suivi l'attentat contre les bus coptes, Sana Mahmoud se souvient que les « relations se sont brutalement refroidies avec les chrétiens ». Mais depuis l'attaque la plus sanglante de l'histoire de l'Égypte contre une mosquée du Nord-Sinaï qui a tué plus de 300 fidèles, le 24 novembre dernier, les compteurs de tristesse semblent s'équilibrer « vous êtes touchés comme nous maintenant, nous disent les chrétiens qui nous saluent à nouveau », soupire cette femme de 48 ans.
La maison où sont accrochés les portraits des victimes des attentats.
© Ariane Lavrilleux pour "Le Point"
Alors que résonne l'appel à la prière dans les ruelles étroites, le cheikh Hanafy s'arrête un bref instant. Face à lui, le portrait d'une des victimes de 24 ans est affiché sur le balcon, au côté des six autres visages entourés d'un ciel bleu. Un adolescent passe, tourne la tête vers le cheikh, grimace, et continue sa route. « C'est un de ceux qui ont arrêté de nous dire bonjour », souffle discrètement Ahmed, qui tient toujours le bras de son oncle, l'imam.