Blablacar, Dieu sur la banquette arrière
Céline Hoyeau , le 09/10/2017 à 8h11
Sans en faire un but recherché, certains chrétiens trouvent dans le covoiturage, via Blablacar, une occasion inédite de parler de leur foi.
Sans en faire un but recherché, certains chrétiens trouvent dans le covoiturage, via Blablacar, une occasion inédite de parler de leur foi. ZOOM
Sans en faire un but recherché, certains chrétiens trouvent dans le covoiturage, via Blablacar, une occasion inédite de parler de leur foi. / Deligne
Juliette Bay se souvient encore de son premier trajet avec Blablacar, un « improbable » Venise-Annemasse en covoiturage, il y a deux ans. « Je n’avais aucune envie de passer des heures à discuter avec des inconnus et m’étais calée sur la banquette arrière pour dormir… », reconnaît-elle.
Et pourtant, très vite, une conversation passionnante se noue entre cette trentenaire parisienne, catholique férue de philosophie, et ses compagnons de route, une jeune Brésilienne chercheuse en physique, « athée et désabusée sur l’amour », et un père de famille slovaque « un peu New Age ». « Nous avons partagé nos points de vue, très différents, ils m’ont posé plein de questions sur ma foi, et j’ai pu témoigner de ma relation à Dieu », raconte Juliette Bay, aujourd’hui responsable du catéchuménat dans le diocèse d’Annecy.
Un covoiturage avec un prêtre
Blablacar, un bon moyen pour parler de sa foi ? Au volant ou sur le siège du passager, c’est en tout cas l’expérience de certains de ses usagers. « C’est un lieu propice car on est assis côte à côte, détendus, on a du temps », constate le père Élie Delplace, 56 ans.
Missionnaire lazariste à Évreux, il utilise Blablacar depuis son retour d’Afrique, il y a dix ans. « Là-bas, il est impensable de voyager seul dans sa voiture ! Le covoiturage est par essence un lieu de partage, aussi ses utilisateurs sont ouverts, prêts à accueillir la différence de l’autre, dans la confiance. Et dans l’esprit Blablacar, on se tutoie d’emblée, ce qui favorise aussi les échanges. »
DÉCRYPTAGE : Blablacar, un succès qui illustre la montée en puissance du covoiturage
Pour autant, le lazariste préfère ne pas dire d’emblée qu’il est prêtre pour « ne pas fausser la relation », mais laisser venir les questions. « Je rencontre des personnes que je n’aurais pas l’occasion de croiser dans mon engagement missionnaire », dit-il, évoquant des « expériences humaines assez fantastiques, notamment avec les jeunes musulmans qui parlent facilement de Dieu ».
La curiosité des passagers face à un religieux
« Très vite, vient l’habituel : “Que fais-tu dans la vie ?” Quand je réponds “prêtre”, les questions fusent », témoigne le père Louis de Villoutreys, 42 ans, curé de Naintré (Vienne). Comme lui, tous constatent la curiosité et l’absence de préjugés des passagers dès lors qu’ils se trouvent assis à côté d’un chrétien, qui plus est prêtre.
« Il y a quelques années, je sentais davantage de méfiance ou d’indifférence, aujourd’hui il y a un vrai intérêt », remarque le frère Michel, 44 ans, responsable à Sens (Yonne) du foyer de la Famille missionnaire Notre-Dame, dont la communauté utilise régulièrement Blablacar pour réduire ses coûts de transport.
Prendre le pouls d’une société sécularisée
Certains avancent masqués, d’autres affichent d’emblée la couleur, comme Mgr Hervé Giraud qui précise « archevêque de Sens-Auxerre » sur son profil Blablacar. Pour se présenter, il offre à ses passagers une photo de lui avec le pape François. « Vous connaissez l’homme en blanc ? Eh bien, je suis un de ses collaborateurs », explique-t-il.
« L’évocation de la profession est un bon point de départ », confirme-t-il. « Parfois, ça va plus loin. Pas forcément de grandes discussions de foi, mais de petites étincelles. Je saisis les contingences et dans le dialogue, je vois jusqu’où je peux aller », raconte l’archevêque qui ouvre sa C3 Picasso aux utilisateurs de Blablacar depuis deux ans, pour ne pas rouler seul vers Paris.
ENQUÊTE : Avec le pape François, l’Église appelée à sortir d’elle-même
Une bonne occasion aussi de prendre le pouls d’une société sécularisée. « Un jour, une étudiante infirmière, qui avait pourtant suivi sa scolarité dans des établissements catholiques, et savait que j’étais évêque, me demande soudain : “Et qu’en pensent votre femme et vos enfants ?” Il faut tout reprendre, avec des mots simples. »
De conducteur BlaBlacar à officiant d’un mariage
Gilles Boucomont, pasteur du temple de Paris-Belleville, y trouve aussi une grande facilité à témoigner de sa foi. « S’il n’y a pas trop de monde, la conversation devient assez intime, les gens en profitent pour s’ouvrir sur leurs souffrances et la voiture devient presque un confessionnal », raconte le pasteur, chauffeur ou passager selon les déplacements.
Un trajet peut ainsi conduire certains passagers plus loin que prévu… Un jour, le père Christophe Weinacker, 39 ans, curé de Hundling (Moselle) accueille dans sa Golf un jeune couple pour un Paris-Les Sables-d’Olonne. « Je n’avais pas encore mis ma ceinture qu’ils me demandaient déjà : “que fais-tu dans la vie ?” Quand j’ai dit “prêtre”, il y a eu un blanc impressionnant. J’ai répondu : “C’est pas grave. On a quatre heures de trajet, autant rester détendus.” Ils étaient gênés de m’avoir tutoyé, mais nous avons eu très vite un bel échange. Ils en ont profité pour me poser des questions sur la préparation au mariage… »
Un an plus tard, le couple rappelait le prêtre messin. « Ils allaient se marier, hésitaient à le faire à l’église, mais comme ils m’avaient rencontré, ils voulaient prendre rendez-vous pour en parler… » Quelques mois plus tard, le jeune prêtre célébrait leur mariage. Puis le baptême de leur première fille.
► Un covoiturage solidaire à Valloire
Descendre à Saint-Michel-de-Maurienne, à 15 kilomètres de là, ou aller à Chambéry peut être un casse-tête pour les personnes âgées ou sans voiture habitant à Valloire, village savoyard situé à 1 500 mètres d’altitude. Pour y remédier, le diocèse a lancé il y a un an l’initiative « Solicarval » : la possibilité pour ceux qui descendent dans la vallée de proposer des places « passager ». « C’est gratuit, solidaire, explique Gérard Petit, responsable de la communication de la paroisse Sainte-Thècle-le-Galibier. Mais difficile à mettre en place car les conducteurs potentiels ne se manifestent pas beaucoup… »
Céline Hoyeau
Céline Hoyeau , le 09/10/2017 à 8h11
Sans en faire un but recherché, certains chrétiens trouvent dans le covoiturage, via Blablacar, une occasion inédite de parler de leur foi.
Sans en faire un but recherché, certains chrétiens trouvent dans le covoiturage, via Blablacar, une occasion inédite de parler de leur foi. ZOOM
Sans en faire un but recherché, certains chrétiens trouvent dans le covoiturage, via Blablacar, une occasion inédite de parler de leur foi. / Deligne
Juliette Bay se souvient encore de son premier trajet avec Blablacar, un « improbable » Venise-Annemasse en covoiturage, il y a deux ans. « Je n’avais aucune envie de passer des heures à discuter avec des inconnus et m’étais calée sur la banquette arrière pour dormir… », reconnaît-elle.
Et pourtant, très vite, une conversation passionnante se noue entre cette trentenaire parisienne, catholique férue de philosophie, et ses compagnons de route, une jeune Brésilienne chercheuse en physique, « athée et désabusée sur l’amour », et un père de famille slovaque « un peu New Age ». « Nous avons partagé nos points de vue, très différents, ils m’ont posé plein de questions sur ma foi, et j’ai pu témoigner de ma relation à Dieu », raconte Juliette Bay, aujourd’hui responsable du catéchuménat dans le diocèse d’Annecy.
Un covoiturage avec un prêtre
Blablacar, un bon moyen pour parler de sa foi ? Au volant ou sur le siège du passager, c’est en tout cas l’expérience de certains de ses usagers. « C’est un lieu propice car on est assis côte à côte, détendus, on a du temps », constate le père Élie Delplace, 56 ans.
Missionnaire lazariste à Évreux, il utilise Blablacar depuis son retour d’Afrique, il y a dix ans. « Là-bas, il est impensable de voyager seul dans sa voiture ! Le covoiturage est par essence un lieu de partage, aussi ses utilisateurs sont ouverts, prêts à accueillir la différence de l’autre, dans la confiance. Et dans l’esprit Blablacar, on se tutoie d’emblée, ce qui favorise aussi les échanges. »
DÉCRYPTAGE : Blablacar, un succès qui illustre la montée en puissance du covoiturage
Pour autant, le lazariste préfère ne pas dire d’emblée qu’il est prêtre pour « ne pas fausser la relation », mais laisser venir les questions. « Je rencontre des personnes que je n’aurais pas l’occasion de croiser dans mon engagement missionnaire », dit-il, évoquant des « expériences humaines assez fantastiques, notamment avec les jeunes musulmans qui parlent facilement de Dieu ».
La curiosité des passagers face à un religieux
« Très vite, vient l’habituel : “Que fais-tu dans la vie ?” Quand je réponds “prêtre”, les questions fusent », témoigne le père Louis de Villoutreys, 42 ans, curé de Naintré (Vienne). Comme lui, tous constatent la curiosité et l’absence de préjugés des passagers dès lors qu’ils se trouvent assis à côté d’un chrétien, qui plus est prêtre.
« Il y a quelques années, je sentais davantage de méfiance ou d’indifférence, aujourd’hui il y a un vrai intérêt », remarque le frère Michel, 44 ans, responsable à Sens (Yonne) du foyer de la Famille missionnaire Notre-Dame, dont la communauté utilise régulièrement Blablacar pour réduire ses coûts de transport.
Prendre le pouls d’une société sécularisée
Certains avancent masqués, d’autres affichent d’emblée la couleur, comme Mgr Hervé Giraud qui précise « archevêque de Sens-Auxerre » sur son profil Blablacar. Pour se présenter, il offre à ses passagers une photo de lui avec le pape François. « Vous connaissez l’homme en blanc ? Eh bien, je suis un de ses collaborateurs », explique-t-il.
« L’évocation de la profession est un bon point de départ », confirme-t-il. « Parfois, ça va plus loin. Pas forcément de grandes discussions de foi, mais de petites étincelles. Je saisis les contingences et dans le dialogue, je vois jusqu’où je peux aller », raconte l’archevêque qui ouvre sa C3 Picasso aux utilisateurs de Blablacar depuis deux ans, pour ne pas rouler seul vers Paris.
ENQUÊTE : Avec le pape François, l’Église appelée à sortir d’elle-même
Une bonne occasion aussi de prendre le pouls d’une société sécularisée. « Un jour, une étudiante infirmière, qui avait pourtant suivi sa scolarité dans des établissements catholiques, et savait que j’étais évêque, me demande soudain : “Et qu’en pensent votre femme et vos enfants ?” Il faut tout reprendre, avec des mots simples. »
De conducteur BlaBlacar à officiant d’un mariage
Gilles Boucomont, pasteur du temple de Paris-Belleville, y trouve aussi une grande facilité à témoigner de sa foi. « S’il n’y a pas trop de monde, la conversation devient assez intime, les gens en profitent pour s’ouvrir sur leurs souffrances et la voiture devient presque un confessionnal », raconte le pasteur, chauffeur ou passager selon les déplacements.
Un trajet peut ainsi conduire certains passagers plus loin que prévu… Un jour, le père Christophe Weinacker, 39 ans, curé de Hundling (Moselle) accueille dans sa Golf un jeune couple pour un Paris-Les Sables-d’Olonne. « Je n’avais pas encore mis ma ceinture qu’ils me demandaient déjà : “que fais-tu dans la vie ?” Quand j’ai dit “prêtre”, il y a eu un blanc impressionnant. J’ai répondu : “C’est pas grave. On a quatre heures de trajet, autant rester détendus.” Ils étaient gênés de m’avoir tutoyé, mais nous avons eu très vite un bel échange. Ils en ont profité pour me poser des questions sur la préparation au mariage… »
Un an plus tard, le couple rappelait le prêtre messin. « Ils allaient se marier, hésitaient à le faire à l’église, mais comme ils m’avaient rencontré, ils voulaient prendre rendez-vous pour en parler… » Quelques mois plus tard, le jeune prêtre célébrait leur mariage. Puis le baptême de leur première fille.
► Un covoiturage solidaire à Valloire
Descendre à Saint-Michel-de-Maurienne, à 15 kilomètres de là, ou aller à Chambéry peut être un casse-tête pour les personnes âgées ou sans voiture habitant à Valloire, village savoyard situé à 1 500 mètres d’altitude. Pour y remédier, le diocèse a lancé il y a un an l’initiative « Solicarval » : la possibilité pour ceux qui descendent dans la vallée de proposer des places « passager ». « C’est gratuit, solidaire, explique Gérard Petit, responsable de la communication de la paroisse Sainte-Thècle-le-Galibier. Mais difficile à mettre en place car les conducteurs potentiels ne se manifestent pas beaucoup… »
Céline Hoyeau