Les musulmans du Québec cherchent où enterrer leurs morts
Anne-Bénédicte Hoffner, le 19/07/2017 à 17h55 Envoyer par email
EXPLICATION dimanche 16 juillet, les habitants de Saint-Apollinaire, commune de la banlieue de Québec, ont rejeté par référendum un projet de cimetière musulman.
Ailleurs dans la région, des cimetières multiconfessionnels se développent, comportant un « carré » musulman.
Prière au sein du centre culturel islamique de Quebecn, le 3 février 2017 / PAUL CHIASSON / AFP
Quels sont les faits ?
Dimanche 16 juillet, les habitants de Saint-Apollinaire, petite commune de la banlieue de Québec, ont refusé par 19 voix contre 16 le projet de cimetière musulman porté par le Centre culturel islamique de Québec (CCIQ). Au total, 49 personnes domiciliées dans la zone concernée par le projet pouvaient prendre part au référendum portant sur un « changement de zonage » exigé pour convertir le terrain en cimetière.
« On est déçu qu’une minorité, une différence de deux voix, vienne dire non à un projet de plusieurs milliers de musulmans à Québec », a réagi le responsable du dossier au CCIQ, Mohamed Kesri.
De son côté, la porte-parole des opposants, Sunny Létourneau, a rappelé les diverses propositions faites ces cinq mois et refusées par le Centre culturel islamique de Québec. « On a commencé par offrir un cimetière multiconfessionnel, comme celui de Sherbrooke, ils ont dit non. Ensuite, on a offert une coopérative, ils ont encore fermé la porte. On en est venu à dire que le carré musulman, comme à Saint-Augustin, était vraiment la solution (…) ils ont refusé ça aussi », déplore-t-elle.
Quel est le contexte ?
Selon la presse québécoise, plusieurs élus – dont le maire de Québec, Régis Labeaume, et celui de Saint-Apollinaire, Bernard Ouellet – avaient « promis » un cimetière au Centre culturel islamique de Québec en janvier, juste après l’attaque qui a provoqué la mort de six personnes dans la mosquée qu’il gère. Les victimes avaient dû être enterrées à Montréal, ou dans leur pays d’origine.
Après le rejet du projet par les habitants, le maire de Québec a dit s’interroger sur « notre système de gouvernance » qui donne à « 49 personnes (…) le droit de vie ou de mort sur un projet qui a un impact sociologique important au Québec ». Il a également rappelé que les musulmans qui souhaitent être enterrés sur place disposent désormais d’un « carré » de 500 places dans un cimetière multi-confessionnel qui vient d’être inauguré à Saint-Augustin-de-Desmaures.
Forte d’environ 300 000 personnes, la communauté musulmane exprime depuis plusieurs années le besoin de lieux de sépulture, non pas seulement autour de Montréal (dans la commune de Laval) mais aussi dans le reste de la grande région. Il s’agit, pour Mustapha Elayoubi, président de l’Association islamique du Saguenay-Lac-Saint-Jean (Chicoutimi), interrogé dans le journal La Presse, de respecter le choix « des personnes qui ont fait le choix de s’établir dans des régions pour différentes raisons », familiales ou professionnelles. « Ces personnes, arrivées dans la région il y a 25 ou 30 ans, vont décéder au fil des ans. Elles ont le droit de mourir et reposer en paix », insiste-t-il.
À LIRE : Dans les cimetières, le casse-tête des « carrés confessionnels »
Le rituel musulman interdit l’incinération et impose l’inhumation du corps en pleine terre, en direction de La Mecque. Certains cimetières catholiques ont déjà proposé de réserver des espaces aux musulmans. D’autres communes ont fait le choix – récent – de cimetières multiconfessionnels. Pour diverses raisons, certains fidèles musulmans rechignent à y faire enterrer leurs proches et souhaiteraient bénéficier – comme juifs, catholiques ou protestants – d’espaces réservés.
De leur côté, des groupes d’extrême droite ont manifesté ces derniers mois dans divers lieux du Québec pour dénoncer « l’immigration et l’islam ». Ils reprochent aux pouvoirs publics d’« instrumentaliser le drame » de l’attentat dans la mosquée de Québec pour justifier « l’islamisation de (la) société ».
Quelles sont les réactions ?
Convaincu que « la peur, la désinformation » ont dirigé le choix des habitants, le maire de Saint-Apollinaire, Bernard Ouellet, souhaite désormais « prendre une pause et réfléchir ». Il n’envisage pas de recourir à la nouvelle loi adoptée en juin pour contourner le résultat du référendum. Selon lui, « les citoyens ont déjà subi les pressions répétées des deux camps depuis des mois, ils en ont assez ».
À LIRE : Anne-Pernelle Richardot : « Ancrer l’islam dans la République »
« Comme bien d’autres, (je suis) déçu du résultat du référendum à Saint-Apollinaire », a écrit sur son compte Twitter le cardinal Gérald Cyprien Lacroix, archevêque de Québec. « Il me semble que c’est tout à fait légitime que nos frères et sœurs musulmans puissent trouver un endroit qui leur est propre pour enterrer leurs défunts dans notre grande région de Québec ».
Trois jours avant le scrutin, l’archevêque de la ville avait défendu le projet dans un entretien accordé au journal Le Soleil, affirmant même avoir donné à l’association musulmane son « appui sans équivoque dans une lettre ». « Parce que c’est d’abord une question de liberté de religion. On a un cimetière juif à Québec, pourquoi on n’aurait pas un cimetière musulman ? »
Anne-Bénédicte Hoffner
http://www.la-croix.com/Religion/Islam/musulmans-Quebec-cherchent-enterrer-morts-2017-07-19-1200864082
Anne-Bénédicte Hoffner, le 19/07/2017 à 17h55 Envoyer par email
EXPLICATION dimanche 16 juillet, les habitants de Saint-Apollinaire, commune de la banlieue de Québec, ont rejeté par référendum un projet de cimetière musulman.
Ailleurs dans la région, des cimetières multiconfessionnels se développent, comportant un « carré » musulman.
Prière au sein du centre culturel islamique de Quebecn, le 3 février 2017 / PAUL CHIASSON / AFP
Quels sont les faits ?
Dimanche 16 juillet, les habitants de Saint-Apollinaire, petite commune de la banlieue de Québec, ont refusé par 19 voix contre 16 le projet de cimetière musulman porté par le Centre culturel islamique de Québec (CCIQ). Au total, 49 personnes domiciliées dans la zone concernée par le projet pouvaient prendre part au référendum portant sur un « changement de zonage » exigé pour convertir le terrain en cimetière.
« On est déçu qu’une minorité, une différence de deux voix, vienne dire non à un projet de plusieurs milliers de musulmans à Québec », a réagi le responsable du dossier au CCIQ, Mohamed Kesri.
De son côté, la porte-parole des opposants, Sunny Létourneau, a rappelé les diverses propositions faites ces cinq mois et refusées par le Centre culturel islamique de Québec. « On a commencé par offrir un cimetière multiconfessionnel, comme celui de Sherbrooke, ils ont dit non. Ensuite, on a offert une coopérative, ils ont encore fermé la porte. On en est venu à dire que le carré musulman, comme à Saint-Augustin, était vraiment la solution (…) ils ont refusé ça aussi », déplore-t-elle.
Quel est le contexte ?
Selon la presse québécoise, plusieurs élus – dont le maire de Québec, Régis Labeaume, et celui de Saint-Apollinaire, Bernard Ouellet – avaient « promis » un cimetière au Centre culturel islamique de Québec en janvier, juste après l’attaque qui a provoqué la mort de six personnes dans la mosquée qu’il gère. Les victimes avaient dû être enterrées à Montréal, ou dans leur pays d’origine.
Après le rejet du projet par les habitants, le maire de Québec a dit s’interroger sur « notre système de gouvernance » qui donne à « 49 personnes (…) le droit de vie ou de mort sur un projet qui a un impact sociologique important au Québec ». Il a également rappelé que les musulmans qui souhaitent être enterrés sur place disposent désormais d’un « carré » de 500 places dans un cimetière multi-confessionnel qui vient d’être inauguré à Saint-Augustin-de-Desmaures.
Forte d’environ 300 000 personnes, la communauté musulmane exprime depuis plusieurs années le besoin de lieux de sépulture, non pas seulement autour de Montréal (dans la commune de Laval) mais aussi dans le reste de la grande région. Il s’agit, pour Mustapha Elayoubi, président de l’Association islamique du Saguenay-Lac-Saint-Jean (Chicoutimi), interrogé dans le journal La Presse, de respecter le choix « des personnes qui ont fait le choix de s’établir dans des régions pour différentes raisons », familiales ou professionnelles. « Ces personnes, arrivées dans la région il y a 25 ou 30 ans, vont décéder au fil des ans. Elles ont le droit de mourir et reposer en paix », insiste-t-il.
À LIRE : Dans les cimetières, le casse-tête des « carrés confessionnels »
Le rituel musulman interdit l’incinération et impose l’inhumation du corps en pleine terre, en direction de La Mecque. Certains cimetières catholiques ont déjà proposé de réserver des espaces aux musulmans. D’autres communes ont fait le choix – récent – de cimetières multiconfessionnels. Pour diverses raisons, certains fidèles musulmans rechignent à y faire enterrer leurs proches et souhaiteraient bénéficier – comme juifs, catholiques ou protestants – d’espaces réservés.
De leur côté, des groupes d’extrême droite ont manifesté ces derniers mois dans divers lieux du Québec pour dénoncer « l’immigration et l’islam ». Ils reprochent aux pouvoirs publics d’« instrumentaliser le drame » de l’attentat dans la mosquée de Québec pour justifier « l’islamisation de (la) société ».
Quelles sont les réactions ?
Convaincu que « la peur, la désinformation » ont dirigé le choix des habitants, le maire de Saint-Apollinaire, Bernard Ouellet, souhaite désormais « prendre une pause et réfléchir ». Il n’envisage pas de recourir à la nouvelle loi adoptée en juin pour contourner le résultat du référendum. Selon lui, « les citoyens ont déjà subi les pressions répétées des deux camps depuis des mois, ils en ont assez ».
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« Comme bien d’autres, (je suis) déçu du résultat du référendum à Saint-Apollinaire », a écrit sur son compte Twitter le cardinal Gérald Cyprien Lacroix, archevêque de Québec. « Il me semble que c’est tout à fait légitime que nos frères et sœurs musulmans puissent trouver un endroit qui leur est propre pour enterrer leurs défunts dans notre grande région de Québec ».
Trois jours avant le scrutin, l’archevêque de la ville avait défendu le projet dans un entretien accordé au journal Le Soleil, affirmant même avoir donné à l’association musulmane son « appui sans équivoque dans une lettre ». « Parce que c’est d’abord une question de liberté de religion. On a un cimetière juif à Québec, pourquoi on n’aurait pas un cimetière musulman ? »
Anne-Bénédicte Hoffner
http://www.la-croix.com/Religion/Islam/musulmans-Quebec-cherchent-enterrer-morts-2017-07-19-1200864082