Irshad Manji : "Je rejette l'impérialisme culturel arabe"
Maïté Darnault - publié le 08/07/2013
Irshad Manji, féministe musulmane auteure de plusieurs livres à succès, dont "Allah, liberté et amour" en 2012, suscite l'engouement d'une jeune génération de musulmans avides d'ouverture. Nous l'avons rencontrée, alors qu'elle vient de lancer une chaîne de télévision via YouTube, le "Moral Courage Channel".
Féministe et homosexuelle, partisane de la laïcité et pieuse musulmane : autant de facettes qu'Irshad Manji déploie pour promouvoir un islam éclairé. “J'assume cette identité multiple. En tant que croyante, je pense que Dieu a conçu chacun de nous unique. Et au lieu de m'appesantir sur mes contradictions, je préfère tenter d'harmoniser ces facettes, pour rendre hommage au Créateur, approfondir ma foi en Allah.” Et appeler, sans délai, à une réforme profonde de l'islam : “Beaucoup de musulmans y font référence comme le "droit chemin". Comme seul Dieu détient la vérité ultime, ce chemin doit être large afin d'englober les nombreuses interprétations que fait l'homme de l'islam. Nous acceptons ainsi la nécessité de l'humilité. En tant qu'êtres humains, nous sommes imparfaits. Il n'y a qu'un Dieu, et aucun être humain ne peut s'y substituer. S'impose alors, pour les musulmans, l'obligation spirituelle de contribuer à l'évolution de nos sociétés. Croire au Dieu unique oblige les musulmans à défendre la liberté humaine.”
Née en 1968 en Ouganda dans une famille musulmane traditionnelle, Irshad Manji émigre en 1972 au Canada, où ses parents l'inscrivent dans une école coranique de la banlieue de Vancouver. A 14 ans, elle en est exclue, après des échanges houleux avec son professeur. Diplômée d'histoire, elle devient la plume d'Audrey McLaughlin, la première femme à la tête d'un parti politique canadien, avant d'être journaliste et essayiste. Surnommée, en 2003, "le pire cauchemar d'Oussama Ben Laden" par le New York Times, Irshad Manji a publié, en 2004, Musulmane mais libre (Grasset), un best-seller diffusé dans une trentaine de pays et interdit dans plusieurs Etats islamiques. Il est accessible gratuitement sur son site Internet, où il a été téléchargé plus de 3 millions de fois.
Honnie par les docteurs de la loi, Irshad Manji suscite l'engouement d'une jeune génération de musulmans avides d'ouverture : en réactualisant l'ijtihâd, un courant traditionnel de libre-pensée dans l'islam, elle prône "la discussion, le débat, la contestation", loin des dogmes et de l'extrémisme. Une profession de foi qu'elle étaye dans son dernier livre, Allah, liberté et amour (Grasset, 2012), afin de répondre aux critiques pointant son manque de légitimité en matière de théologie islamique : "Oui, mes écrits ne sont pas académiques, dit-elle, car ils ciblent justement ceux que les érudits au pouvoir ont découragés d'interroger leur foi. Il ne s'agit pas simplement d'un message de paix et d'amour, mais d'intégrité : défends tes valeurs lorsqu'elles sont remises en cause, du moment que cela se fait dans la non-violence. Bienvenue dans la diversité de la création humaine!" Irshad Manji enseigne aujourd'hui à la New York University's School of Public Service, un prestigieux département d'administration publique, où elle dirige le "Moral Courage Project", programme destiné à placer la notion de "courage moral" au cœur des modèles de gouvernance. Elle vient de lancer le Moral Courage Channel, une chaîne de télévision diffusée sur YouTube, dont les émissions sont traduites en arabe, en espagnol, en indonésien et en français, et qui proposera bientôt trois reportages réalisés lors de son dernier séjour en France.
En quoi consiste le Moral Courage Project ?
Il est destiné à aider les gens, quel que soit l'endroit du monde où ils sont, à trouver les outils et la confiance pour entamer de nouvelles discussions, pour dépasser les mêmes vieux débats. Cela s’inspire de ma propre expérience de réformatrice musulmane. Dans certains pays, la société ne se définit que par des voies extrémistes et dogmatiques.
L'un des portraits que nous sommes en train de réaliser pour le Moral Courage Channel est celui de l'imam de Drancy, Hassen Chalghoumi, que nous avons suivi durant une journée. Ce travail est symbolique de ce que nous souhaitons faire : suivre des personnes qui font preuve de courage moral au quotidien.
Cela dit, le Moral Courage Project ne se limite pas à la réforme de l’islam et au fait de rendre audibles les réformistes musulmans. Cela va bien au-delà. Nous suivons des gens qui disent ce qu’ils pensent, et qu’ils pensent nécessaire d’être dit, tout en sachant qu’ils susciteront la désapprobation dans leur communauté. Ils repoussent la barrière du silence, afin que plus de voix se fédèrent pour le progrès.
Dans ce que nous souhaitons être un riche panel de témoignages, il y a aussi un homme politique qui a mis en péril sa carrière pour dénoncer et lutter contre la corruption, un rabbin juif orthodoxe qui a lancé un numéro d'urgence pour les victimes d’abus sexuels au sein de sa propre communauté. En racontant ces histoires, nous voulons montrer que personne n’est isolé quand il s’agit d’améliorer le fonctionnement de nos sociétés.
Comment cette idée de courage moral est-elle reçue en France, où vous vous êtes rendue en février dernier ?
Je dois admettre qu'elle n'a suscité que peu d'intérêt ou de curiosité. Je pense que le modèle républicain français, en particulier la laïcité, doit faire face à de nombreux défis aujourd’hui. Les institutions qui ont traditionnellement structuré la France post-révolutionnaire sont-elles toujours aussi pertinentes ? Est-ce que la laïcité en tant que modèle doit-être revue ? Ou mise à jour, réformée ? Devons-nous faire sans la laïcité ? Ma réponse est non, mais justement, si nous ne faisons pas sans, comment faisons nous avec ? Est-ce vraiment le modèle le plus pertinent dans une société de plus en plus hétérogène, diverse ? Peut-être est-il moins approprié que lorsqu'il n’y avait pas tant de migrations en provenance du Maghreb par exemple ?
Poser ouvertement et publiquement ces questions peut choquer beaucoup de citoyens français, qui ont pourtant l’esprit ouvert. Ce sont des questions effrayantes, qui remettent en cause la notion d’identité. Et les gens n’aiment pas qu’on les pousse dans leurs retranchements. Mais si nous ne le faisons pas, nous perdons une occasion majeure de faire avancer nos sociétés. Il y a une crise de confiance au sein de beaucoup de composantes de la société française. Tout le monde sait qu'une discussion beaucoup plus honnête est nécessaire. Mais je crois qu'ils ne savent pas comment engager ce dialogue.
En France, vous avez rencontré l'imam progressiste Hassen Chalghoumi. Quels sont vos points de désaccord ?
L'un, majeur, concerne la ségrégation hommes-femmes dans les mosquées, durant la prière. Le Coran ne requiert pas explicitement cette ségrégation – je dis bien ségrégation et non séparation. Si vous vous élevez contre la ségrégation raciale, pourquoi d'un autre côté perpétuer la ségrégation entre les genres ? L'imam Chalghoumi pense que je demande trop, trop vite. Je prends ça pour un compliment car c’est ce que l’on disait à Martin Luther King.
Pensez-vous que des femmes puissent être imams ?
Bien sûr. L’imam est la personne qui conduit la prière collective. L’argument sans cesse resservi contre le fait qu’une femme soit imam est le suivant : les hommes sont faibles et lorsqu’ils voient une femme se prosterner, les mains en avant et les fesses en arrière, ils ne vont pas être capables de se contrôler. Je trouve ce raisonnement aussi insultant pour les femmes que pour les hommes. Il envoie ce message aux hommes musulmans : vous êtes des enfants et comme on ne peut rien attendre de mieux de votre part, pour compenser votre nature infantile, on va faire porter le fardeau aux femmes. Si j’étais un homme, je me sentirais profondément insulté que les attentes à mon égard soient si faibles. Chaque jour, les hommes se contrôlent et montrent qu’ils sont capables de le faire. Cet argument n’a donc aucun sens. Pourtant, la majorité des hommes et des femmes, dans l’islam, l’acceptent. Y compris mon frère, mon ami, l’imam Chalghoumi.
Vos critiques reprochent à vos ouvrages, notamment le dernier Allah, liberté et amour (Grasset, 2012), un manque d'érudition…
A ceux qui m'adressent ces critiques, je réponds : venez en débattre avec moi, ayons une discussion ouverte. Ce que ces critiques cachent, c’est une tentative de conserver une forme de pouvoir. Et pour être honnête, elles parviennent à étouffer les voix réformistes et progressistes. A de nombreuses occasions, en Indonésie par exemple, j'ai dit à de jeunes musulmans : vous n’avez pas à tout savoir sur tout, au sujet de l’islam, pour être capable d'engager un dialogue avec ceux qui vous effraient. Gardez en tête ce passage du Coran, sourate 3, verset 7, qui est un appel à l’humilité car seul Dieu a le dernier mot, et brandissez-le face à ceux qui vous disent d’aller en enfer car vous n’avez pas la même interprétation qu’eux, c’est suffisant.
Mais ils me répondent : « Je ne suis pas un érudit comme vous. » Et c’est exactement ce que ceux qui insistent sur mon manque de crédibilité veulent entendre. C’est exactement parce que c’est un faux argument basé sur une logique de pouvoir que je n’ai pas écrit mon livre de manière académique ou comme un traité érudit. Mon intérêt est d’atteindre ceux qui ont été découragés par les gens au pouvoir.
En réaction à mon travail, je reçois beaucoup de questions de la part de jeunes musulmans. J’ai donc constitué une équipe de « guides », un corps de conseillers, de tous âges, hommes et femmes, hétéros et homos, qui sont disponibles pour toute personne à travers le monde 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pour répondre à leurs questions. Car la plupart du temps, ces jeunes se tournent vers moi car ils n’ont personne d’autre vers qui se tourner. Ils n'ont personne qui leur permet de s’interroger sans être jugés constamment. Comme si l’ambition d’avoir une vie décente en tant qu’individu pensant était une manière de trahir Dieu, de ne pas le craindre…
http://www.lemondedesreligions.fr/entretiens/irshad-manji-je-rejette-l-imperialisme-culturel-arabe-08-07-2013-3245_111.php
Maïté Darnault - publié le 08/07/2013
Irshad Manji, féministe musulmane auteure de plusieurs livres à succès, dont "Allah, liberté et amour" en 2012, suscite l'engouement d'une jeune génération de musulmans avides d'ouverture. Nous l'avons rencontrée, alors qu'elle vient de lancer une chaîne de télévision via YouTube, le "Moral Courage Channel".
Féministe et homosexuelle, partisane de la laïcité et pieuse musulmane : autant de facettes qu'Irshad Manji déploie pour promouvoir un islam éclairé. “J'assume cette identité multiple. En tant que croyante, je pense que Dieu a conçu chacun de nous unique. Et au lieu de m'appesantir sur mes contradictions, je préfère tenter d'harmoniser ces facettes, pour rendre hommage au Créateur, approfondir ma foi en Allah.” Et appeler, sans délai, à une réforme profonde de l'islam : “Beaucoup de musulmans y font référence comme le "droit chemin". Comme seul Dieu détient la vérité ultime, ce chemin doit être large afin d'englober les nombreuses interprétations que fait l'homme de l'islam. Nous acceptons ainsi la nécessité de l'humilité. En tant qu'êtres humains, nous sommes imparfaits. Il n'y a qu'un Dieu, et aucun être humain ne peut s'y substituer. S'impose alors, pour les musulmans, l'obligation spirituelle de contribuer à l'évolution de nos sociétés. Croire au Dieu unique oblige les musulmans à défendre la liberté humaine.”
Née en 1968 en Ouganda dans une famille musulmane traditionnelle, Irshad Manji émigre en 1972 au Canada, où ses parents l'inscrivent dans une école coranique de la banlieue de Vancouver. A 14 ans, elle en est exclue, après des échanges houleux avec son professeur. Diplômée d'histoire, elle devient la plume d'Audrey McLaughlin, la première femme à la tête d'un parti politique canadien, avant d'être journaliste et essayiste. Surnommée, en 2003, "le pire cauchemar d'Oussama Ben Laden" par le New York Times, Irshad Manji a publié, en 2004, Musulmane mais libre (Grasset), un best-seller diffusé dans une trentaine de pays et interdit dans plusieurs Etats islamiques. Il est accessible gratuitement sur son site Internet, où il a été téléchargé plus de 3 millions de fois.
Honnie par les docteurs de la loi, Irshad Manji suscite l'engouement d'une jeune génération de musulmans avides d'ouverture : en réactualisant l'ijtihâd, un courant traditionnel de libre-pensée dans l'islam, elle prône "la discussion, le débat, la contestation", loin des dogmes et de l'extrémisme. Une profession de foi qu'elle étaye dans son dernier livre, Allah, liberté et amour (Grasset, 2012), afin de répondre aux critiques pointant son manque de légitimité en matière de théologie islamique : "Oui, mes écrits ne sont pas académiques, dit-elle, car ils ciblent justement ceux que les érudits au pouvoir ont découragés d'interroger leur foi. Il ne s'agit pas simplement d'un message de paix et d'amour, mais d'intégrité : défends tes valeurs lorsqu'elles sont remises en cause, du moment que cela se fait dans la non-violence. Bienvenue dans la diversité de la création humaine!" Irshad Manji enseigne aujourd'hui à la New York University's School of Public Service, un prestigieux département d'administration publique, où elle dirige le "Moral Courage Project", programme destiné à placer la notion de "courage moral" au cœur des modèles de gouvernance. Elle vient de lancer le Moral Courage Channel, une chaîne de télévision diffusée sur YouTube, dont les émissions sont traduites en arabe, en espagnol, en indonésien et en français, et qui proposera bientôt trois reportages réalisés lors de son dernier séjour en France.
En quoi consiste le Moral Courage Project ?
Il est destiné à aider les gens, quel que soit l'endroit du monde où ils sont, à trouver les outils et la confiance pour entamer de nouvelles discussions, pour dépasser les mêmes vieux débats. Cela s’inspire de ma propre expérience de réformatrice musulmane. Dans certains pays, la société ne se définit que par des voies extrémistes et dogmatiques.
L'un des portraits que nous sommes en train de réaliser pour le Moral Courage Channel est celui de l'imam de Drancy, Hassen Chalghoumi, que nous avons suivi durant une journée. Ce travail est symbolique de ce que nous souhaitons faire : suivre des personnes qui font preuve de courage moral au quotidien.
Cela dit, le Moral Courage Project ne se limite pas à la réforme de l’islam et au fait de rendre audibles les réformistes musulmans. Cela va bien au-delà. Nous suivons des gens qui disent ce qu’ils pensent, et qu’ils pensent nécessaire d’être dit, tout en sachant qu’ils susciteront la désapprobation dans leur communauté. Ils repoussent la barrière du silence, afin que plus de voix se fédèrent pour le progrès.
Dans ce que nous souhaitons être un riche panel de témoignages, il y a aussi un homme politique qui a mis en péril sa carrière pour dénoncer et lutter contre la corruption, un rabbin juif orthodoxe qui a lancé un numéro d'urgence pour les victimes d’abus sexuels au sein de sa propre communauté. En racontant ces histoires, nous voulons montrer que personne n’est isolé quand il s’agit d’améliorer le fonctionnement de nos sociétés.
Comment cette idée de courage moral est-elle reçue en France, où vous vous êtes rendue en février dernier ?
Je dois admettre qu'elle n'a suscité que peu d'intérêt ou de curiosité. Je pense que le modèle républicain français, en particulier la laïcité, doit faire face à de nombreux défis aujourd’hui. Les institutions qui ont traditionnellement structuré la France post-révolutionnaire sont-elles toujours aussi pertinentes ? Est-ce que la laïcité en tant que modèle doit-être revue ? Ou mise à jour, réformée ? Devons-nous faire sans la laïcité ? Ma réponse est non, mais justement, si nous ne faisons pas sans, comment faisons nous avec ? Est-ce vraiment le modèle le plus pertinent dans une société de plus en plus hétérogène, diverse ? Peut-être est-il moins approprié que lorsqu'il n’y avait pas tant de migrations en provenance du Maghreb par exemple ?
Poser ouvertement et publiquement ces questions peut choquer beaucoup de citoyens français, qui ont pourtant l’esprit ouvert. Ce sont des questions effrayantes, qui remettent en cause la notion d’identité. Et les gens n’aiment pas qu’on les pousse dans leurs retranchements. Mais si nous ne le faisons pas, nous perdons une occasion majeure de faire avancer nos sociétés. Il y a une crise de confiance au sein de beaucoup de composantes de la société française. Tout le monde sait qu'une discussion beaucoup plus honnête est nécessaire. Mais je crois qu'ils ne savent pas comment engager ce dialogue.
En France, vous avez rencontré l'imam progressiste Hassen Chalghoumi. Quels sont vos points de désaccord ?
L'un, majeur, concerne la ségrégation hommes-femmes dans les mosquées, durant la prière. Le Coran ne requiert pas explicitement cette ségrégation – je dis bien ségrégation et non séparation. Si vous vous élevez contre la ségrégation raciale, pourquoi d'un autre côté perpétuer la ségrégation entre les genres ? L'imam Chalghoumi pense que je demande trop, trop vite. Je prends ça pour un compliment car c’est ce que l’on disait à Martin Luther King.
Pensez-vous que des femmes puissent être imams ?
Bien sûr. L’imam est la personne qui conduit la prière collective. L’argument sans cesse resservi contre le fait qu’une femme soit imam est le suivant : les hommes sont faibles et lorsqu’ils voient une femme se prosterner, les mains en avant et les fesses en arrière, ils ne vont pas être capables de se contrôler. Je trouve ce raisonnement aussi insultant pour les femmes que pour les hommes. Il envoie ce message aux hommes musulmans : vous êtes des enfants et comme on ne peut rien attendre de mieux de votre part, pour compenser votre nature infantile, on va faire porter le fardeau aux femmes. Si j’étais un homme, je me sentirais profondément insulté que les attentes à mon égard soient si faibles. Chaque jour, les hommes se contrôlent et montrent qu’ils sont capables de le faire. Cet argument n’a donc aucun sens. Pourtant, la majorité des hommes et des femmes, dans l’islam, l’acceptent. Y compris mon frère, mon ami, l’imam Chalghoumi.
Vos critiques reprochent à vos ouvrages, notamment le dernier Allah, liberté et amour (Grasset, 2012), un manque d'érudition…
A ceux qui m'adressent ces critiques, je réponds : venez en débattre avec moi, ayons une discussion ouverte. Ce que ces critiques cachent, c’est une tentative de conserver une forme de pouvoir. Et pour être honnête, elles parviennent à étouffer les voix réformistes et progressistes. A de nombreuses occasions, en Indonésie par exemple, j'ai dit à de jeunes musulmans : vous n’avez pas à tout savoir sur tout, au sujet de l’islam, pour être capable d'engager un dialogue avec ceux qui vous effraient. Gardez en tête ce passage du Coran, sourate 3, verset 7, qui est un appel à l’humilité car seul Dieu a le dernier mot, et brandissez-le face à ceux qui vous disent d’aller en enfer car vous n’avez pas la même interprétation qu’eux, c’est suffisant.
Mais ils me répondent : « Je ne suis pas un érudit comme vous. » Et c’est exactement ce que ceux qui insistent sur mon manque de crédibilité veulent entendre. C’est exactement parce que c’est un faux argument basé sur une logique de pouvoir que je n’ai pas écrit mon livre de manière académique ou comme un traité érudit. Mon intérêt est d’atteindre ceux qui ont été découragés par les gens au pouvoir.
En réaction à mon travail, je reçois beaucoup de questions de la part de jeunes musulmans. J’ai donc constitué une équipe de « guides », un corps de conseillers, de tous âges, hommes et femmes, hétéros et homos, qui sont disponibles pour toute personne à travers le monde 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pour répondre à leurs questions. Car la plupart du temps, ces jeunes se tournent vers moi car ils n’ont personne d’autre vers qui se tourner. Ils n'ont personne qui leur permet de s’interroger sans être jugés constamment. Comme si l’ambition d’avoir une vie décente en tant qu’individu pensant était une manière de trahir Dieu, de ne pas le craindre…
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