Secret professionnel chez les prêtres – La confession est sacrée
1 juin 2017 par Redaction
Depuis début mai, les travailleurs sociaux sont légalement obligés de sacrifier le secret professionnel en cas de suspicion de terrorisme. Cette nouvelle loi a fait réagir d’autres métiers concernés, tels que les prêtres. Gabriel Ringlet, qui s’est exprimé dans un colloque sur ce thème, nous a autorisés à reprendre l’essentiel de son intervention.
Il y a au moins deux secrets à distinguer dans le domaine que je représente ici: le secret professionnel et le secret sacramentel.
Le secret professionnel, pour le prêtre, je pense qu’il est fort proche de celui du médecin, du psychologue, de l’assistant social, de l’avocat… Il concerne ce vaste domaine de ce qu’on peut appeler l’accompagnement ou la guidance spirituelle.
Quand je reçois, comme prêtre, des victimes de pédophilie ou des personnes, sur un tout autre plan, habitées par une demande d’euthanasie, je me trouve très clairement dans ce domaine de l’accompagnement spirituel qui exige, bien entendu, le secret le plus strict. L’interlocuteur doit avoir toute garantie qu’il peut déposer, en pleine confiance, ses confidences les plus lourdes, les plus douloureuses, les plus intimes.
Le code de droit canonique — le droit interne à l’Eglise catholique — évoque dans son canon 220 l’interdiction « de violer le droit de quiconque à préserver son intimité« , ce qui fait dire au canoniste belge Alphonse Borras que la finalité première de tout secret professionnel est de protéger la relation de confiance établie entre les usagers.
Le professeur Damien fait un pas de plus en montrant l’intérêt social du secret professionnel, qui établit un subtil équilibre, dit-il, entre le bien individuel et le bien commun. Non seulement « ce secret protège l’individu, fût-ce contre la société« , mais il est « connaturel à la conscience« . Ce secret, plus essentiellement encore, défend et « fonde la possibilité d’une vie spirituelle et morale« . Toucher à ce secret, c’est « rompre le lien qui s’est établi au plus profond de l’être« .
Les lèvres scellées du prêtre
A coté du secret professionnel qui concerne le prêtre dans son travail d’accompagnement spirituel (« médecin de l’âme » si on veut un rapprochement avec « médecin du corps »), il existe un second secret, qui touche aussi à l’âme bien entendu, mais qui, en tout cas du point de vue de l’Eglise, est beaucoup plus spécifique et même unique: le secret sacramentel qu’on appelle généralement le secret de la confession.
Je m’empresse de dire qu’à propos de cette confession sacramentelle, le mot ‘secret’ est inapproprié. Il est une mauvaise traduction du latin sigilum, le sceau. Parler du sceau de la confession, c’est dire quelque chose de très fort: que les lèvres du prêtre doivent être scellées, qu’il doit rester muet comme une tombe. Autrement dit, ce qui lui est partagé en confession est scellé par le sacrement.
On se situe ici sur le terrain du sacré. Et ce qui est confié dans ce cadre sacré, dans cette démarche sacramentelle, est inviolable. Le prêtre qui a reçu une confession sacramentelle est tenu au secret absolu. Et s’il viole le sceau sacramental, s’il décachète la confidence, le droit canon prévoit son excommunication. Ce n’est pas rien: il perd son statut de prêtre et il est exclu de l’Eglise.
Mais le droit canon va encore plus loin. Toute personne qui, par accident — parce que le local, par exemple, était mal insonorisé — aurait entendu la confession, si elle en révèle quoi que ce soit, elle est, elle aussi excommuniée (si elle est catholique bien entendu).
Cela étant, quelle est l’origine du « secret de la confession », pour employer l’expression habituelle? C’est en 1215, lors du IVe Concile œcuménique de Latran qu’est introduite pour la première fois l’obligation légale du secret absolu de la confession. Le Concile n’a pas inventé cela de toutes pièces. Il s’appuie sur une pratique qui existait déjà chez les moines et qu’on appelait la « confession d’ascèse ». Autrement dit, chaque moine était invité à ouvrir régulièrement sa conscience à un « ancien » réputé pour son don de discernement et avec la garantie que ce sage reconnu par la communauté garderait toujours le secret le plus absolu.
Mais le Concile de Latran, en reprenant cet usage monastique et en l’élargissant aux fidèles ordinaires, a une idée derrière la tête. Il s’agit de permettre à chacun d’ouvrir sa conscience et de confier au confesseur des éléments intimes qu’il ne révélera pas. Mais en rendant cette confession obligatoire une fois par an, c’est aussi une manière de faire pression sur les hésitants ou les récalcitrants. Parce qu’on doit se confesser à son curé. Et celui-ci a le droit d’excommunier ceux qui ne se présentent pas. En fait, à une époque où les sectes pullulent, le but premier est de repérer les hérétiques. Rien n’est parfait!
En âme et conscience
Aujourd’hui, dans l’Eglise catholique, on parlera plutôt de sacrement du pardon, de sacrement de la réconciliation, de démarche pénitentielle, et cela, de plus en plus, dans une mouvance communautaire. C’est très intéressant à observer pour appréhender le secret par un autre chemin.
Dans certains lieux aujourd’hui, la démarche est publique, au sens visuel. Concrètement, dans l’assemblée, la personne se lève, se dirige vers le prêtre et va lui confier quelque chose dans le secret… publiquement. Cela correspond à l’usage de la coulpe (mea culpa!) chez les contemplatifs. Le moine, devant ses frères, se présente auprès du père-abbé à qui il confesse, il confie, un manquement. Devant tous, secrètement. Mais pas n’importe quel manquement. Un manquement à la Règle. Une atteinte à la vie communautaire. Nous sommes dans le for externe. Si le moine se met à parler de sa vie intime, l’abbé l’arrête. Non. Ça, c’est le for interne. Et il le renvoie à la démarche sacramentelle.
Reste une question difficile, qui est au cœur des débats qui nous mobilisent contre le démantèlement du secret professionnel: peut-il, malgré tout, y avoir des situations exceptionnelles qui justifieraient la levée de ce secret?
Là, aujourd’hui, et pour rester sur le terrain des secrets de l’âme, la figure du ministre du culte est évidemment ambivalente et même malmenée. Le lourd secret qui a enveloppé beaucoup trop longtemps les affaires de pédophilie n’a rien de respectable. C’est une pierre tombale au sens le plus péjoratif du terme.
J’ai participé activement aux travaux de la Commission spéciale relative aux traitements d’abus sexuels et de pédophilie, notamment pour avoir accompagné plusieurs dizaines de victimes. Mais j’ai reçu des abuseurs aussi. J’ai donc entendu la confidence de leur côté. Alors quoi?
Aujourd’hui, en Belgique, suite à la demande de cette Commission, le Code pénal permet aux titulaires du secret professionnel de signaler des situations d’abus sexuels où des mineurs et des personnes fragilisées sont concernés.
Est-ce qu’un bien comme celui-là — protéger ces personnes fragiles — peut conduire à violer le secret de la confidence?
J’ai toujours souhaité, personnellement, laisser le détenteur du secret agir « en son âme et conscience », en assumant ses responsabilités. Et en souhaitant que le secret reste le plus absolu possible, mais en sachant qu’une vie en grave danger mérite aussi d’être protégée. Et si ma conscience hésite, ce qui est respectable, je suis en droit de consulter et de me faire éclairer par quelqu’un qui sera, ipso facto, lié au même secret que moi. Mais la relation de confiance ne peut pas en pâtir. Et le législateur ne peut pas évacuer le débat éthique qui est au cœur de cette question. Il ne peut pas se cacher derrière des raisons de sécurité immédiate ou à courte vue pour mettre à mal un des fondements de l’équilibre d’une société, et qui touche à son âme précisément.
Gabriel Ringlet, extrait du colloque « le secret professionnel démantelé » à l’ULB, le 6 mai 2017
http://www.cathobel.be/2017/06/01/secret-professionnel-chez-pretres-confession-sacree/
1 juin 2017 par Redaction
Depuis début mai, les travailleurs sociaux sont légalement obligés de sacrifier le secret professionnel en cas de suspicion de terrorisme. Cette nouvelle loi a fait réagir d’autres métiers concernés, tels que les prêtres. Gabriel Ringlet, qui s’est exprimé dans un colloque sur ce thème, nous a autorisés à reprendre l’essentiel de son intervention.
Il y a au moins deux secrets à distinguer dans le domaine que je représente ici: le secret professionnel et le secret sacramentel.
Le secret professionnel, pour le prêtre, je pense qu’il est fort proche de celui du médecin, du psychologue, de l’assistant social, de l’avocat… Il concerne ce vaste domaine de ce qu’on peut appeler l’accompagnement ou la guidance spirituelle.
Quand je reçois, comme prêtre, des victimes de pédophilie ou des personnes, sur un tout autre plan, habitées par une demande d’euthanasie, je me trouve très clairement dans ce domaine de l’accompagnement spirituel qui exige, bien entendu, le secret le plus strict. L’interlocuteur doit avoir toute garantie qu’il peut déposer, en pleine confiance, ses confidences les plus lourdes, les plus douloureuses, les plus intimes.
Le code de droit canonique — le droit interne à l’Eglise catholique — évoque dans son canon 220 l’interdiction « de violer le droit de quiconque à préserver son intimité« , ce qui fait dire au canoniste belge Alphonse Borras que la finalité première de tout secret professionnel est de protéger la relation de confiance établie entre les usagers.
Le professeur Damien fait un pas de plus en montrant l’intérêt social du secret professionnel, qui établit un subtil équilibre, dit-il, entre le bien individuel et le bien commun. Non seulement « ce secret protège l’individu, fût-ce contre la société« , mais il est « connaturel à la conscience« . Ce secret, plus essentiellement encore, défend et « fonde la possibilité d’une vie spirituelle et morale« . Toucher à ce secret, c’est « rompre le lien qui s’est établi au plus profond de l’être« .
Les lèvres scellées du prêtre
A coté du secret professionnel qui concerne le prêtre dans son travail d’accompagnement spirituel (« médecin de l’âme » si on veut un rapprochement avec « médecin du corps »), il existe un second secret, qui touche aussi à l’âme bien entendu, mais qui, en tout cas du point de vue de l’Eglise, est beaucoup plus spécifique et même unique: le secret sacramentel qu’on appelle généralement le secret de la confession.
Je m’empresse de dire qu’à propos de cette confession sacramentelle, le mot ‘secret’ est inapproprié. Il est une mauvaise traduction du latin sigilum, le sceau. Parler du sceau de la confession, c’est dire quelque chose de très fort: que les lèvres du prêtre doivent être scellées, qu’il doit rester muet comme une tombe. Autrement dit, ce qui lui est partagé en confession est scellé par le sacrement.
On se situe ici sur le terrain du sacré. Et ce qui est confié dans ce cadre sacré, dans cette démarche sacramentelle, est inviolable. Le prêtre qui a reçu une confession sacramentelle est tenu au secret absolu. Et s’il viole le sceau sacramental, s’il décachète la confidence, le droit canon prévoit son excommunication. Ce n’est pas rien: il perd son statut de prêtre et il est exclu de l’Eglise.
Mais le droit canon va encore plus loin. Toute personne qui, par accident — parce que le local, par exemple, était mal insonorisé — aurait entendu la confession, si elle en révèle quoi que ce soit, elle est, elle aussi excommuniée (si elle est catholique bien entendu).
Cela étant, quelle est l’origine du « secret de la confession », pour employer l’expression habituelle? C’est en 1215, lors du IVe Concile œcuménique de Latran qu’est introduite pour la première fois l’obligation légale du secret absolu de la confession. Le Concile n’a pas inventé cela de toutes pièces. Il s’appuie sur une pratique qui existait déjà chez les moines et qu’on appelait la « confession d’ascèse ». Autrement dit, chaque moine était invité à ouvrir régulièrement sa conscience à un « ancien » réputé pour son don de discernement et avec la garantie que ce sage reconnu par la communauté garderait toujours le secret le plus absolu.
Mais le Concile de Latran, en reprenant cet usage monastique et en l’élargissant aux fidèles ordinaires, a une idée derrière la tête. Il s’agit de permettre à chacun d’ouvrir sa conscience et de confier au confesseur des éléments intimes qu’il ne révélera pas. Mais en rendant cette confession obligatoire une fois par an, c’est aussi une manière de faire pression sur les hésitants ou les récalcitrants. Parce qu’on doit se confesser à son curé. Et celui-ci a le droit d’excommunier ceux qui ne se présentent pas. En fait, à une époque où les sectes pullulent, le but premier est de repérer les hérétiques. Rien n’est parfait!
En âme et conscience
Aujourd’hui, dans l’Eglise catholique, on parlera plutôt de sacrement du pardon, de sacrement de la réconciliation, de démarche pénitentielle, et cela, de plus en plus, dans une mouvance communautaire. C’est très intéressant à observer pour appréhender le secret par un autre chemin.
Dans certains lieux aujourd’hui, la démarche est publique, au sens visuel. Concrètement, dans l’assemblée, la personne se lève, se dirige vers le prêtre et va lui confier quelque chose dans le secret… publiquement. Cela correspond à l’usage de la coulpe (mea culpa!) chez les contemplatifs. Le moine, devant ses frères, se présente auprès du père-abbé à qui il confesse, il confie, un manquement. Devant tous, secrètement. Mais pas n’importe quel manquement. Un manquement à la Règle. Une atteinte à la vie communautaire. Nous sommes dans le for externe. Si le moine se met à parler de sa vie intime, l’abbé l’arrête. Non. Ça, c’est le for interne. Et il le renvoie à la démarche sacramentelle.
Reste une question difficile, qui est au cœur des débats qui nous mobilisent contre le démantèlement du secret professionnel: peut-il, malgré tout, y avoir des situations exceptionnelles qui justifieraient la levée de ce secret?
Là, aujourd’hui, et pour rester sur le terrain des secrets de l’âme, la figure du ministre du culte est évidemment ambivalente et même malmenée. Le lourd secret qui a enveloppé beaucoup trop longtemps les affaires de pédophilie n’a rien de respectable. C’est une pierre tombale au sens le plus péjoratif du terme.
J’ai participé activement aux travaux de la Commission spéciale relative aux traitements d’abus sexuels et de pédophilie, notamment pour avoir accompagné plusieurs dizaines de victimes. Mais j’ai reçu des abuseurs aussi. J’ai donc entendu la confidence de leur côté. Alors quoi?
Aujourd’hui, en Belgique, suite à la demande de cette Commission, le Code pénal permet aux titulaires du secret professionnel de signaler des situations d’abus sexuels où des mineurs et des personnes fragilisées sont concernés.
Est-ce qu’un bien comme celui-là — protéger ces personnes fragiles — peut conduire à violer le secret de la confidence?
J’ai toujours souhaité, personnellement, laisser le détenteur du secret agir « en son âme et conscience », en assumant ses responsabilités. Et en souhaitant que le secret reste le plus absolu possible, mais en sachant qu’une vie en grave danger mérite aussi d’être protégée. Et si ma conscience hésite, ce qui est respectable, je suis en droit de consulter et de me faire éclairer par quelqu’un qui sera, ipso facto, lié au même secret que moi. Mais la relation de confiance ne peut pas en pâtir. Et le législateur ne peut pas évacuer le débat éthique qui est au cœur de cette question. Il ne peut pas se cacher derrière des raisons de sécurité immédiate ou à courte vue pour mettre à mal un des fondements de l’équilibre d’une société, et qui touche à son âme précisément.
Gabriel Ringlet, extrait du colloque « le secret professionnel démantelé » à l’ULB, le 6 mai 2017
http://www.cathobel.be/2017/06/01/secret-professionnel-chez-pretres-confession-sacree/