« Les religions n’apportent [que] la perspective d’une guerre inéluctable », estime l'écrivain David Vann dans Libération. Pour Paul Clavier, philosophe, enseignant à l'École normale supérieure et à Sciences Po, ce vieux couplet athée est loin d'aller de soi.
L’édito du Libé « des écrivains », daté du 23 mars est signé David Vann. Le talentueux écrivain américain, dont on ne louera jamais assez le courageux engagement contre le commerce des armes, n’y va pas de main morte : « Il est temps de tuer Dieu et la patrie ». Et pourquoi ? Parce que, nous dit-il, « les menaces qui pèsent sur la France et sur l’Amérique, qu’elles soient internes ou viennent de l’extérieur, ont Dieu pour origine ».
Le diagnostic est quand même un peu sommaire. D’abord il faudrait distinguer Dieu de ses possibles contrefaçons. Un Dieu au nom duquel on extorque, pille, viole ou tue n’a certainement rien à voir avec le vrai Dieu, s’il existe. Quoi ! Dieu aurait créé l’univers et ses habitants, pour qu’une partie d’entre eux asservisse, avilisse ou assassine l’autre ? Une divinité aussi mesquine aura beau faire le jeu des conquérants, elle ne mérite pas le moindre égard, et doit être démasquée. Au prétendu créateur qui dirait : « Détruis ! » ; chacun a le devoir de rétorquer : « Tu n’es pas celui qui nous a créés libres et égaux en droits, tu n’es donc pas digne d’obéissance et de respect ». Au supposé Père éternel qui dirait : « Supprime tes frères ! » ; il faut objecter : « Alors pourquoi me les as-tu donnés ? Tu n’as qu’à faire le sale boulot toi-même ! »
On dira alors que c’est des religions, et de leur rôle néfaste dans l’histoire de l’humanité, que David Vann veut en fait parler. Auquel cas, il n’a pas tort de souligner la puissance mobilisatrice de l’élément religieux dans les agressions internationales : l’escalade des croisades (expéditions punitives) et des guerres saintes (contre-offensives) le montre assez. Mais là encore, les raccourcis sont vertigineux. La religion c’est la guerre, toute guerre est religieuse ; tuons les religions, nous n’aurons plus la guerre ? Bien sûr, il y a un marketing politico-religieux ; bien sûr, il y a des électorats ciblés par des campagnes savamment savonnées. Vann mentionne ainsi ces 70 millions de catholiques américains qui seraient focalisés sur la question de l’avortement (mais ont-ils vraiment tous voté Trump ?). En croyant défendre la vie, ils se retrouveraient complices d’une entreprise régressive, d’un autoritarisme étriqué, d’un égoïsme national criminel. C’est possible. Mais cela relève de la manipulation politique ou de l’aveuglement, dont les religions n’ont pas le monopole, loin de là.
Quand cesserons-nous d’accuser Dieu de tous nos malheurs, pour pratiquer un salutaire examen de conscience ?
Il faut donc se débarrasser des caricatures de Dieu. Elles sont le plus souvent le paravent de prédations économiques et de machinations guerrières. Mais il se pourrait qu’en appelant à tuer Dieu, on jette le bébé avec l’eau du bain. Car après tout, qu’est-ce qui garantit l’interdiction absolue de tuer son prochain ? Un consensus ? Une simple majorité ? Rien d’absolu ?
David Vann se réclame de Sartre et de l’existentialisme. Il sera bien avisé de relire La Cérémonie des adieux, où Sartre, interrogé sur le fameux « Si Dieu n’existe pas, tout est permis », finit par se dire qu’il y a de l’absolu dans ce monde relatif, que cet absolu, c’est la morale, et que « tuer un home, c’est absolument mauvais ». Il existe, heureusement, beaucoup d’athées qui récusent la violence. N’empêche qu’une bonne raison de préférer la coopération à l'écrasement, c’est de considérer que « tous les hommes sont crées égaux, et dotés par leur créateurs de certains droits inaliénables ». Retrouver l’inspiration théiste d’origine des droits de l’homme peut donc contribuer à apaiser ce monde. Dès lors, non seulement Dieu n’est plus le problème, mais il peut même faire partie des solutions.
Telle n’est pas la tasse de thé – je devrais dire la tasse d’athée – de Vann : « Étant donné que les masses populistes qui votent pour des autoritaristes à peine déguisés et des aspirants dictateurs sont largement influencées par la religion, l’athéisme offre une porte de sortie ». David Vann estime que l’athéisme est garanti par la science depuis le XIXe siècle : ce qui est un bel exemple de « fait alternatif ». Les sciences s’occupent de la nature. Elles ne sont pas compétentes pour statuer sur le surnaturel, ni dans un sens, ni dans l’autre. N’importe ! Pour Vann, la mission sacrée de l’éducation reste d’éradiquer toute croyance en Dieu. Déjà vu, hélas. Les pays qui ont instauré l’athéisme officiel ne se sont pas toujours distingués par leur philanthropie. La tasse d’athée de David Vann sent trop la poudre et la purge. On attendait mieux d’un opposant au trafic d’armes.
L’instrumentalisation de Dieu et l'amour exacerbé de la patrie peuvent conduire à une haine meurtrière. Mais la haine de soi et le meurtre de Dieu ne seront pas de meilleurs garants de la paix. Quand cesserons-nous d’accuser Dieu de tous nos malheurs, pour pratiquer un salutaire examen de conscience : « Qu’as-tu fait de ton frère ? du plus petit ? du plus faible ? »
http://www.lavie.fr/actualite/billets/vous-reprendrez-bien-une-tasse-d-athee-23-03-2017-80902_288.php
L’édito du Libé « des écrivains », daté du 23 mars est signé David Vann. Le talentueux écrivain américain, dont on ne louera jamais assez le courageux engagement contre le commerce des armes, n’y va pas de main morte : « Il est temps de tuer Dieu et la patrie ». Et pourquoi ? Parce que, nous dit-il, « les menaces qui pèsent sur la France et sur l’Amérique, qu’elles soient internes ou viennent de l’extérieur, ont Dieu pour origine ».
Le diagnostic est quand même un peu sommaire. D’abord il faudrait distinguer Dieu de ses possibles contrefaçons. Un Dieu au nom duquel on extorque, pille, viole ou tue n’a certainement rien à voir avec le vrai Dieu, s’il existe. Quoi ! Dieu aurait créé l’univers et ses habitants, pour qu’une partie d’entre eux asservisse, avilisse ou assassine l’autre ? Une divinité aussi mesquine aura beau faire le jeu des conquérants, elle ne mérite pas le moindre égard, et doit être démasquée. Au prétendu créateur qui dirait : « Détruis ! » ; chacun a le devoir de rétorquer : « Tu n’es pas celui qui nous a créés libres et égaux en droits, tu n’es donc pas digne d’obéissance et de respect ». Au supposé Père éternel qui dirait : « Supprime tes frères ! » ; il faut objecter : « Alors pourquoi me les as-tu donnés ? Tu n’as qu’à faire le sale boulot toi-même ! »
On dira alors que c’est des religions, et de leur rôle néfaste dans l’histoire de l’humanité, que David Vann veut en fait parler. Auquel cas, il n’a pas tort de souligner la puissance mobilisatrice de l’élément religieux dans les agressions internationales : l’escalade des croisades (expéditions punitives) et des guerres saintes (contre-offensives) le montre assez. Mais là encore, les raccourcis sont vertigineux. La religion c’est la guerre, toute guerre est religieuse ; tuons les religions, nous n’aurons plus la guerre ? Bien sûr, il y a un marketing politico-religieux ; bien sûr, il y a des électorats ciblés par des campagnes savamment savonnées. Vann mentionne ainsi ces 70 millions de catholiques américains qui seraient focalisés sur la question de l’avortement (mais ont-ils vraiment tous voté Trump ?). En croyant défendre la vie, ils se retrouveraient complices d’une entreprise régressive, d’un autoritarisme étriqué, d’un égoïsme national criminel. C’est possible. Mais cela relève de la manipulation politique ou de l’aveuglement, dont les religions n’ont pas le monopole, loin de là.
Quand cesserons-nous d’accuser Dieu de tous nos malheurs, pour pratiquer un salutaire examen de conscience ?
Il faut donc se débarrasser des caricatures de Dieu. Elles sont le plus souvent le paravent de prédations économiques et de machinations guerrières. Mais il se pourrait qu’en appelant à tuer Dieu, on jette le bébé avec l’eau du bain. Car après tout, qu’est-ce qui garantit l’interdiction absolue de tuer son prochain ? Un consensus ? Une simple majorité ? Rien d’absolu ?
David Vann se réclame de Sartre et de l’existentialisme. Il sera bien avisé de relire La Cérémonie des adieux, où Sartre, interrogé sur le fameux « Si Dieu n’existe pas, tout est permis », finit par se dire qu’il y a de l’absolu dans ce monde relatif, que cet absolu, c’est la morale, et que « tuer un home, c’est absolument mauvais ». Il existe, heureusement, beaucoup d’athées qui récusent la violence. N’empêche qu’une bonne raison de préférer la coopération à l'écrasement, c’est de considérer que « tous les hommes sont crées égaux, et dotés par leur créateurs de certains droits inaliénables ». Retrouver l’inspiration théiste d’origine des droits de l’homme peut donc contribuer à apaiser ce monde. Dès lors, non seulement Dieu n’est plus le problème, mais il peut même faire partie des solutions.
Telle n’est pas la tasse de thé – je devrais dire la tasse d’athée – de Vann : « Étant donné que les masses populistes qui votent pour des autoritaristes à peine déguisés et des aspirants dictateurs sont largement influencées par la religion, l’athéisme offre une porte de sortie ». David Vann estime que l’athéisme est garanti par la science depuis le XIXe siècle : ce qui est un bel exemple de « fait alternatif ». Les sciences s’occupent de la nature. Elles ne sont pas compétentes pour statuer sur le surnaturel, ni dans un sens, ni dans l’autre. N’importe ! Pour Vann, la mission sacrée de l’éducation reste d’éradiquer toute croyance en Dieu. Déjà vu, hélas. Les pays qui ont instauré l’athéisme officiel ne se sont pas toujours distingués par leur philanthropie. La tasse d’athée de David Vann sent trop la poudre et la purge. On attendait mieux d’un opposant au trafic d’armes.
L’instrumentalisation de Dieu et l'amour exacerbé de la patrie peuvent conduire à une haine meurtrière. Mais la haine de soi et le meurtre de Dieu ne seront pas de meilleurs garants de la paix. Quand cesserons-nous d’accuser Dieu de tous nos malheurs, pour pratiquer un salutaire examen de conscience : « Qu’as-tu fait de ton frère ? du plus petit ? du plus faible ? »
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