Au Pakistan, les petits pas contre l’extrémisme
Le terrorisme a reculé depuis le lancement du Plan d’action national en 2014.
Moins visible, l’islamisme radical continue cependant de prospérer
Le maulana Abdul Aziz (de face), le chef spirituel islamiste de la Mosquée rouge d’Islamabad, en pleine discussion avec des visiteurs.
ZOOM
Le maulana Abdul Aziz (de face), le chef spirituel islamiste de la Mosquée rouge d’Islamabad, en pleine discussion avec des visiteurs. / Myra Iqbal/NYT/Redux/Rea
La voix s’élève dans la pièce sans fenêtre, mélodieuse, lancinante. À 8 ans, le jeune Ahmed chante avec talent de très larges extraits du Coran, qu’il étudie dès son réveil à 4 h 30 du matin dans une des madrasas (écoles coraniques) de la Mosquée rouge d’Islamabad.
Avec ses camarades, il apprend le livre saint de l’Islam à raison de dix heures par jour, ce qui lui laisse une demi-heure environ pour les autres enseignements.
Dans sa classe, beaucoup aspirent à devenir des imams. Ahmed, lui, sera « moudjahidin » (combattant), indique-t-il tout sourire avant de prendre congé sur un hochement de tête du chef spirituel, le maulana Abdul Aziz.
« Moudjahidin, c’est un terroriste pour vous », explique, mi-sérieux, mi-amusé le responsable religieux, qui a beaucoup de mal à modérer son discours malgré les conseils de son entourage et les pressions de la police.
La Mosquée rouge, théâtre de violents combats
Assis en tailleur sur une natte usée par le temps, l’homme est célèbre pour avoir déclaré un jour être le père des talibans pakistanais. « Aujourd’hui, n’importe quel individu qui demande l’établissement d’un régime véritablement islamique au Pakistan est accusé de terrorisme et exécuté par la police », insiste-t-il, en fixant longuement son interlocuteur à travers sa barbe fournie.
Quand on l’interroge sur les attentats survenus cette année contre les chiites, les soufis ou les chrétiens dans plusieurs villes du Pakistan, le maulana reconnaît que c’est « absolument incorrect » mais préfère insister sur les racines du terrorisme.
« Ces gens revendiquent leur droit, le droit à vivre dans un système véritablement islamique, qui mettra fin à tous les problèmes du pays », poursuit-il en évoquant son islam idéal : celui du temps du temps du prophète de l’islam Mohammed.
La Mosquée rouge, théâtre de violents combats entre les soldats et des étudiants armés en 2007, est un résumé des contradictions de la politique pakistanaise en matière de lutte contre les discours extrémistes.
Plus de 2 000 élèves
Si son dirigeant est sous étroite surveillance policière, plus de 2 000 élèves suivent un enseignement derrière les hauts murs d’écoles qui dépendent de la mosquée. On y dispense des cours gratuits, en marge du système, sans contrôle.
En 2014, le gouvernement avait pourtant fait de la réforme des madrasas, accusées d’être le terreau d’un islam radical, l’un de ses multiples fronts contre le terrorisme. Deux ans plus tard, le chantier semble s’être passablement enlisé.
« On ne sait toujours pas combien il existe d’écoles coraniques dans le pays, les chiffres variant de 20 à 35 000 », admet Muhammad Amir Rana, directeur de l’institut d’études pour la paix qui participe à la réforme de ces établissements.
Depuis l’attaque sanglante perpétrée par les talibans contre une école militaire le 16 décembre 2013, les autorités s’efforcent cependant de bannir les propos incendiaires des madrasas comme de l’espace public.
Les appels au djihad boudés par les classes moyennes
Pour contraindre au silence maulana Abdul Aziz, qui avait l’habitude de prêcher par téléphone durant la grande prière du vendredi, les autorités n’ont pas hésité à prendre une mesure radicale : couper les signaux de tous les portables dans la capitale. De guerre lasse, les prêches téléphoniques ont cessé.
Les discours ouvertement extrémistes ont plus largement disparu des écrans de télévision et des journaux, bien qu’ils subsistent sur les forums de discussion Internet. « Les djihadistes ont pu être plus ou moins portés aux nues par certains médias avant 2013. C’est terminé, observe Mujeeb Azzad, spécialiste du terrorisme à l’université Quaïdi Azam d’Islamabad. Les élites et les classes moyennes éduquées ne supportent plus les appels au djihad. »
Quand on les interroge, les porte-parole des organes de lutte contre le terrorisme insistent sur le démantèlement des groupes armés opéré au cours des dernières années. Mais pour beaucoup, la bataille contre les idées extrémistes n’en est qu’à ses prémisses.
« L’islam très conservateur, de type Tablighi, continue de progresser chez les classes moyennes inférieures et les populations pauvres, constate Mujeeb Azzad. Il insiste sur la victimisation des musulmans et les injustices de l’Occident, justifiant indirectement les attentats. »
> LIRE AUSSI : À Hassaké, avec les « réfugiés ordinaires » qui ont fui Daech
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La violence armée continue de reculer
En 2016, 2 610 personnes ont été tuées lors de violences extrémistes, politiques ou criminelles au Pakistan contre 4 647 en 2015, selon le rapport annuel du Centre pour la recherche et les études sécuritaires (CRSS), basé à Islamabad.
Dans la foulée d’une offensive de l’armée pakistanaise lancée en juin 2014 contre les groupes extrémistes armés réfugiés dans les zones tribales frontalières du Pakistan, le nombre des victimes annuelles est revenu au niveau de 2007, date de l’émergence des talibans pakistanais.
Olivier Tallès, à Islamabad
http://www.la-croix.com/Monde/Asie-Oceanie/Au-Pakistan-les-petits-pas-contre-lextremisme-2017-01-06-1200815111?utm_source=Newsletter&utm_medium=e-mail&utm_campaign=welcome_media&utm_content=2017-01-06
Le terrorisme a reculé depuis le lancement du Plan d’action national en 2014.
Moins visible, l’islamisme radical continue cependant de prospérer
Le maulana Abdul Aziz (de face), le chef spirituel islamiste de la Mosquée rouge d’Islamabad, en pleine discussion avec des visiteurs.
ZOOM
Le maulana Abdul Aziz (de face), le chef spirituel islamiste de la Mosquée rouge d’Islamabad, en pleine discussion avec des visiteurs. / Myra Iqbal/NYT/Redux/Rea
La voix s’élève dans la pièce sans fenêtre, mélodieuse, lancinante. À 8 ans, le jeune Ahmed chante avec talent de très larges extraits du Coran, qu’il étudie dès son réveil à 4 h 30 du matin dans une des madrasas (écoles coraniques) de la Mosquée rouge d’Islamabad.
Avec ses camarades, il apprend le livre saint de l’Islam à raison de dix heures par jour, ce qui lui laisse une demi-heure environ pour les autres enseignements.
Dans sa classe, beaucoup aspirent à devenir des imams. Ahmed, lui, sera « moudjahidin » (combattant), indique-t-il tout sourire avant de prendre congé sur un hochement de tête du chef spirituel, le maulana Abdul Aziz.
« Moudjahidin, c’est un terroriste pour vous », explique, mi-sérieux, mi-amusé le responsable religieux, qui a beaucoup de mal à modérer son discours malgré les conseils de son entourage et les pressions de la police.
La Mosquée rouge, théâtre de violents combats
Assis en tailleur sur une natte usée par le temps, l’homme est célèbre pour avoir déclaré un jour être le père des talibans pakistanais. « Aujourd’hui, n’importe quel individu qui demande l’établissement d’un régime véritablement islamique au Pakistan est accusé de terrorisme et exécuté par la police », insiste-t-il, en fixant longuement son interlocuteur à travers sa barbe fournie.
Quand on l’interroge sur les attentats survenus cette année contre les chiites, les soufis ou les chrétiens dans plusieurs villes du Pakistan, le maulana reconnaît que c’est « absolument incorrect » mais préfère insister sur les racines du terrorisme.
« Ces gens revendiquent leur droit, le droit à vivre dans un système véritablement islamique, qui mettra fin à tous les problèmes du pays », poursuit-il en évoquant son islam idéal : celui du temps du temps du prophète de l’islam Mohammed.
La Mosquée rouge, théâtre de violents combats entre les soldats et des étudiants armés en 2007, est un résumé des contradictions de la politique pakistanaise en matière de lutte contre les discours extrémistes.
Plus de 2 000 élèves
Si son dirigeant est sous étroite surveillance policière, plus de 2 000 élèves suivent un enseignement derrière les hauts murs d’écoles qui dépendent de la mosquée. On y dispense des cours gratuits, en marge du système, sans contrôle.
En 2014, le gouvernement avait pourtant fait de la réforme des madrasas, accusées d’être le terreau d’un islam radical, l’un de ses multiples fronts contre le terrorisme. Deux ans plus tard, le chantier semble s’être passablement enlisé.
« On ne sait toujours pas combien il existe d’écoles coraniques dans le pays, les chiffres variant de 20 à 35 000 », admet Muhammad Amir Rana, directeur de l’institut d’études pour la paix qui participe à la réforme de ces établissements.
Depuis l’attaque sanglante perpétrée par les talibans contre une école militaire le 16 décembre 2013, les autorités s’efforcent cependant de bannir les propos incendiaires des madrasas comme de l’espace public.
Les appels au djihad boudés par les classes moyennes
Pour contraindre au silence maulana Abdul Aziz, qui avait l’habitude de prêcher par téléphone durant la grande prière du vendredi, les autorités n’ont pas hésité à prendre une mesure radicale : couper les signaux de tous les portables dans la capitale. De guerre lasse, les prêches téléphoniques ont cessé.
Les discours ouvertement extrémistes ont plus largement disparu des écrans de télévision et des journaux, bien qu’ils subsistent sur les forums de discussion Internet. « Les djihadistes ont pu être plus ou moins portés aux nues par certains médias avant 2013. C’est terminé, observe Mujeeb Azzad, spécialiste du terrorisme à l’université Quaïdi Azam d’Islamabad. Les élites et les classes moyennes éduquées ne supportent plus les appels au djihad. »
Quand on les interroge, les porte-parole des organes de lutte contre le terrorisme insistent sur le démantèlement des groupes armés opéré au cours des dernières années. Mais pour beaucoup, la bataille contre les idées extrémistes n’en est qu’à ses prémisses.
« L’islam très conservateur, de type Tablighi, continue de progresser chez les classes moyennes inférieures et les populations pauvres, constate Mujeeb Azzad. Il insiste sur la victimisation des musulmans et les injustices de l’Occident, justifiant indirectement les attentats. »
> LIRE AUSSI : À Hassaké, avec les « réfugiés ordinaires » qui ont fui Daech
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La violence armée continue de reculer
En 2016, 2 610 personnes ont été tuées lors de violences extrémistes, politiques ou criminelles au Pakistan contre 4 647 en 2015, selon le rapport annuel du Centre pour la recherche et les études sécuritaires (CRSS), basé à Islamabad.
Dans la foulée d’une offensive de l’armée pakistanaise lancée en juin 2014 contre les groupes extrémistes armés réfugiés dans les zones tribales frontalières du Pakistan, le nombre des victimes annuelles est revenu au niveau de 2007, date de l’émergence des talibans pakistanais.
Olivier Tallès, à Islamabad
http://www.la-croix.com/Monde/Asie-Oceanie/Au-Pakistan-les-petits-pas-contre-lextremisme-2017-01-06-1200815111?utm_source=Newsletter&utm_medium=e-mail&utm_campaign=welcome_media&utm_content=2017-01-06