“La Confession“ : Ce que Léon Morin nous dit du rôle des prêtres
ANNA LATRON publié le 07/03/2017
Les prêtres sont-ils conscients du rôle qu’ils peuvent jouer dans certaines conversions ? À l’occasion de la sortie du film La Confession, dans lequel l’héroïne se demande si elle s’est convertie parce que Dieu l’a conquise ou parce qu’elle est tombée amoureuse d’un prêtre charismatique, La Vie a demandé à plusieurs prêtres de se positionner sur la question de la médiation.
« Il m’a fait découvrir la miséricorde. Il ne me disait pas “Ce n’est pas grave”, mais “Maintenant, va de l’avant, regarde plus loin que tes actes”. » Aujourd’hui proche de la soixantaine, Véronique se souvient de ce prêtre, moine bénédictin, rencontré alors qu’elle avait tout juste 18 ans. Elle estime que c’est à ce moine – qui fut son accompagnateur spirituel pendant une dizaine d’années – qu’elle doit son attachement à l’Église et son engagement en son sein. « Il était en même temps complètement attaché au Christ, notamment à travers son intelligence, et complètement incarné, à l’aise avec son humanité », poursuit-elle en se souvenant avec émotion d’un épisode précis : « J’étais enceinte de mon deuxième enfant et il a posé sa main sur mon ventre au moment où le petit gigotait. Il m’a dit qu’il avait réalisé ce que signifiait le “tressaillement” de la Visitation. »
Nicolas Boukhrief : “La Confession“ raconte une conversion à l'amour
Ce double attachement, qui est au cœur du film de Nicolas Boukhrief, La Confession (adapté du roman Léon Morin, prêtre, de Béatrix Beck), Benoît XVI le soulignait le 28 février 2010 devant les prêtres du diocèse de Rome : « Comme premier point donc, le prêtre doit être du côté de Dieu ; et ce n'est que dans le Christ que ce besoin, cette situation de la médiation se réalise pleinement. C'est pourquoi ce Mystère était nécessaire : le Fils de Dieu se fait homme afin qu'il existe un véritable pont, qu'il existe une véritable médiation. (…) L'autre élément est que le prêtre doit être homme. Homme dans tous les sens, c'est-à-dire qu'il doit vivre une véritable humanité, un véritable humanisme (…) Je pense que les deux choses vont fondamentalement de pair : être de Dieu et avec Dieu et être réellement homme dans le véritable sens qu'a voulu le Créateur en façonnant cette créature que nous sommes. »
Chaque chrétien est médiateur
Pour Vincent de Mello, prêtre du diocèse de Paris et directeur du patronage Le Bon Conseil, « le moyen de transmission de la Révélation passe par des médiations humaines. Dieu ne nous a pas moulés tous de la même façon, tels des clones ». Ce prêtre de 45 ans, passionné d’éducation, reconnaît que dans ce domaine, « la médiation est particulièrement forte car un jeune se construit par identification. Il y a un mélange, chez lui, entre la figure du prêtre et la figure paternelle. Au patronage, l’épaisseur de la médiation sacerdotale passe par une dimension paternelle évidente ».
Comment ce pasteur vit-il l’admiration que lui vouent certains jeunes ? « Comme un papa ou une maman : avec la chasteté du cœur. » Et de préciser : « L’attachement à notre figure est nécessaire, et même indispensable, car il ne peut y avoir de détachement de la figure du médiateur vers celle du Christ que s’il y a d’abord eu attachement ! » L’enjeu est de « ne pas s’annoncer soi-même », complète Pierre Amar, prêtre du diocèse de Versailles et animateur du Padreblog. « Oui, le prêtre peut bien être médiatique, mais le seul médiateur, c’est le Christ lui-même. Ainsi, en tant que prêtre, j’annonce bien quelqu’un d’autre et cet Autre, le Christ, passe à travers mon humanité, y compris mes limites. C’est tout le paradoxe de l’incarnation : le Christ n’a voulu demander ni à sa mère, ni à des anges, de partir l’annoncer, mais aux Douze. Si le Christ fait appel à eux, c’est parce qu’il sait que les hommes ont besoin de voir, de sentir et de se sentir compris : il voulait rendre hommage à la psychologie et au charisme des Douze. D’ailleurs, au séminaire, on a beau tous vouloir devenir prêtre, on est tous très différents intellectuellement, affectivement, psychologiquement et socialement. Ce qui n’est pas plus mal, car nous sommes envoyés à des communautés chrétiennes très différentes. »
Si le prêtre est un médiateur indispensable, Vincent de Mello reconnaît que « la communication avec le Christ peut être parasitée par le médiateur », et veille à « faire en sorte d’être le plus transparent possible. Mais attention, transparent ne veut pas dire sans tempérament, sans personnalité propre ! On ne peut pas faire sans le média. Tout l’art, c’est d’être un médiateur qui fasse passer le message. » Sur ce point, Pierre Amar précise : « Depuis Vatican II, nous croyons que depuis le baptême, le premier média, c’est le baptisé lui-même. Chaque chrétien est donc médiateur. »
Romain Duris, qui incarne l'abbé Morin dans le film La Confession, donne l'image d'un prêtre souriant mais ses attitudes montrent une trop grande proximité.
Qu'en est-il, à cet égard, de l'attitude du prêtre Léon Morin dans le film La Confession de Nicolas Boukhrief ? « Romain Duris, qui incarne Léon Morin, donne l'image d'un prêtre souriant et ouvert à tous, estime Emmanuel Goulard, prêtre, directeur du séminaire Saint-Sulpice à Issy-les-Moulineaux (92). Il est en relation aussi bien avec des paroissiens qu'avec les athées ; il est aussi prêtre pour tous, puisqu'on le voit avec un soldat allemand, ce qui, à cette époque, pouvait être mal interprété. À travers ses rencontres, l'abbé Morin cherche à conduire tout un chacun vers Dieu. Il a conscience d'être l'instrument de Dieu, qui appelle les personnes à faire un pas de plus dans leur foi – c'est particulièrement visible dans les scènes de confession. Dans la façon dont l'abbé Morin confesse Barny (jouée par Marine Vacth, ndlr), on voit qu'il se met à sa portée afin de la rejoindre là où elle en est et de l'inviter à progresser dans son cheminement. »
« Mais cette ouverture a un revers négatif, estime encore Emmanuel Goulard : les attitudes de Léon Morin montrent une trop grande proximité, y compris physique. Bien qu'elles lui permettent de nouer un lien avec Barny, et à la jeune femme de progresser dans la foi, le prêtre manque de distance. À la fin du film, il le reconnaît lui-même à travers cette réplique: “Ce n’est pas entièrement de votre faute. Je suis allé trop loin” ; et d'ailleurs, le spectateur comprend qu'il a demandé sa mutation. La dernière scène du film laisse entendre que Barny n'a pas poursuivi dans la foi après le départ de Léon Morin. Peut-être parce que ce dernier l'a un peu trop attirée à lui au lieu de garder une distance qui aurait permis à la jeune femme d'approfondir sa démarche spirituelle avec un autre médiateur. Pour que la médiation puisse vraiment se faire, il faut un retrait du médiateur : le prêtre ne doit pas attirer à soi, même s'il est normal qu'il ait des liens avec ceux qui lui sont confiés. »
Le prêtre est-il conducteur ou séducteur ?
« Il est vrai que certains fidèles vont s’attacher plus à la médiation qu’au Bon Dieu, reconnaît Emmanuel Schwab, prêtre du diocèse de Paris et curé de la paroisse Saint Léon. Mais il suffit que chacun regarde dans sa propre vie pour voir qu’il n’est pas entièrement attaché à Dieu d’abord... Certains vont amplifier la vision qu’ils ont de tel prêtre : on ne peut pas l’empêcher, et c’est surtout au prêtre d’être attentif à ne pas entrer dans ce jeu-là et à manifester que lui-même est en chemin. » Par quels moyens ? « Si le fond de l’affaire, c’est la conversion continue au Christ, les moyens sont d’abord ceux que l’on prend pour vivre dans la foi : avoir une vraie vie de prière, se confesser régulièrement, célébrer les sacrements avec foi, faire son travail avec cœur. » Vincent de Mello complète : « Pour dépasser nos propres attachements, il nous faut les offrir. Ça n’est pas pour rien que le cœur de la vie du prêtre, c’est la messe : il y dépose tout, y compris son affectivité. Tout ce qu’il peut éprouver et ressentir trouve son sens. » Pour éviter que le prêtre ne se prenne « lui-même pour le Sauveur », pour qu’il ne soit pas « englouti par ce don de lui-même », Vincent de Mello ajoute la nécessité d’un repos régulier, « pour prendre du recul » et d’autres éléments d’équilibre tels que la vie amicale et familiale. « Sans cela, note-t-il, le prêtre risque de se transformer en gourou. »
Plus que la fameuse « humanité des prêtres », ce serait d’abord le fait que le prêtre cherche lui-même à se convertir qui toucherait les fidèles, estime Emmanuel Schwab. « La formule de Saint Augustin “Pour vous je suis évêque, avec vous je suis chrétien” est toujours valable ; je crois que ce qui touche, c’est de percevoir que le prêtre est le premier auditeur de la Parole qu’il annonce. Non pas au sens où il s’écoute parler, mais au sens où il cherche à vivre ce qu’il prêche. » Et de poursuivre : « Le prêtre est-il conducteur ou séducteur ? C’est la question qu’il faut se poser. Séduire signifie conduire à soi ; or, la tâche du prêtre, c’est de conduire au Christ » Il invite donc à examiner la situation quand un prêtre quitte un des ministères dont il a eu la charge : « Est-ce que ça continue ou est-ce que tout s’écroule parce qu’il n’est plus là ? Est-ce qu’il a construit sur le Christ une communauté qui tient debout, ou est-ce qu’il a construit sur lui et quand il s’en va, ça ne tient plus ? »
La proximité juste
La question du lien instauré avec les fidèles est centrale, comme en témoigne Daniel Da Rocha, prêtre du diocèse de Bordeaux et curé d’une paroisse rurale : « Comment être proche des gens et faire qu’ils découvrent Celui pour qui je suis là au milieu d’eux et qui est ma force ? » Dans cette proximité, il reconnaît qu’il y a son caractère, son tempérament, sa sensibilité, son éducation – « qui peuvent d’ailleurs être des repoussoirs ! » – à travers lesquels il « reflète la grâce du Seigneur ». Mais cette proximité ne doit pas devenir un but : « Tout ce que je vis comme prêtre n’est ni plus ni moins pour que les gens fassent cette expérience personnelle du Seigneur et puissent ensuite en témoigner. » Il considère le récit des disciples d’Emmaüs comme une réflexion profonde sur la présence du prêtre catholique : « Il est là pour écouter, pour permettre à l’autre de relire son histoire, de déceler la présence de Dieu dans sa vie, mais en même temps – et c’est ce que Jésus a réussi avec les disciples d’Emmaüs – il fait en sorte qu’après avoir rencontré le Christ et alors qu’ils avaient perdu leur entrain, ils reviennent, tout joyeux, voir les apôtres. »
Il s’interroge : « Aujourd’hui, la principale difficulté est là : comment faire en sorte que les gens à qui nous avons pu manifester le visage du Christ puissent revenir vivre de cette rencontre en communauté ? » Et le curé de campagne de conclure : « Un autre passage de l’Evangile m’interpelle par rapport à la médiation : celui de l’aveugle Bartimée qui crie "Seigneur, sauve-moi !" et que la foule fait taire. Le Christ dit alors à la foule : "Allez, et amenez-le-moi". J’ai toujours été interpellé par le fait qu’on peut être des écrans au Seigneur et en même temps ceux qui vont conduire à Lui. Cela nous invite, dans notre propre vie de chrétien, à veiller à ne pas faire écran, à nous apercevoir qu’à certains moments nous sommes des visages qui ne reflétons pas le Seigneur. Mais ceux qui, pour l’aveugle Bartimée, font écran, sont ceux qui l’amènent au Christ… »
« Je ne confesse plus de la même manière »
« Depuis le début de mon ministère, je ne confesse plus de la même manière. Au début, je confessais beaucoup en vis-à-vis, assis en face de la personne ou à côté d’elle. Aujourd’hui, je préfère le faire au confessionnal, pour bien signifier à la personne qu’elle est face au Christ, face à la croix du Christ, et pour moi d’être bien conscient que je suis là pour l’amener vers le Christ. Dans cette évolution, il y a la volonté de dépasser la relation de type "Je parle à un ami qui est là pour m’écouter", pour aller vers cette prise de conscience : "Je viens rencontrer le Christ qui me parle à travers cette oreille bienveillante." Cette évolution est venue dans le ministère, avec le temps. Dans les débuts, le confessionnal me paraissait trop austère ; aujourd’hui, j’essaie d’éveiller les gens à cette question, à cette rencontre du Christ et à cette croix du Christ qui est là, devant leurs yeux. Pourquoi j’en suis arrivé là ? Parce que des prêtres aînés ont pu être là pour en parler avec moi, et parce que j’ai appris à faire attention ; en effet, il y a toujours une forme de projection sur la figure du prêtre, notamment parce que l’on est un homme célibataire et qu’automatiquement il y a toujours, selon moi, cette quête de l’homme parfait qui est là parce qu’il est célibataire, de l’homme désiré, fantasmé. J’ai perçu cela un peu au séminaire mais encore plus au fil du ministère et de mes expériences ; donc pour ne pas blesser, j’ai trouvé cette distance-là, quitte à certains moments à m’interdire d’aller plus loin, et c’est dommage. A certains moments, je pourrais être plus « fou » dans mon annonce de la miséricorde ! Il y a un peu de pudeur qui vient de la prudence, mais cette prudence peut parfois se transformer en tiédeur dans ma façon d’annoncer le Christ… Il y a donc un équilibre à établir en permanence entre la prudence nécessaire et l’annonce de Celui qui est ma vie. »
Daniel Da Rocha, ordonné prêtre en 2005 pour le diocèse de Bordeaux
http://www.lavie.fr/debats/chretiensendebats/la-confession-ce-que-leon-morin-nous-dit-du-role-des-pretres-07-03-2017-80424_431.php