La propagande contre les Témoins de Jéhovah sous le IIIe Reich et en R.D.A.
Toutes les Églises ont été peu ou prou persécutées par les systèmes idéologiques qui
ont marqué le XXe siècle. C’est le cas des Témoins de Jéhovah qui ont subi la plus farouche
opposition en Allemagne, sous le IIIe Reich, puis en République Démocratique Allemande.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les membres de cette dénomination chrétienne,
alors persécutés à 97 % par les nazis, ont cinq années pour se réorganiser avant d´être à
nouveau frappés par l´interdiction communiste. Dans les deux cas ils ont subi le feu d’une
propagande intense. Nous décrirons successivement les différentes techniques mises en œuvre
par les deux régimes en nous intéressant tout particulièrement au second. Enfin, nous
tenterons d´estimer ce qui, de ces méthodes, est resté dans la mémoire collective du peuple
allemand et dans ses bibliothèques.
La propagande hitlérienne
«Toute propagande doit être populaire et placer son niveau spirituel dans la limite des
facultés d´assimilation du plus borné parmi ceux auxquels elle doit s´adresser. Dans ces
conditions, son niveau spirituel doit être situé d´autant plus bas que la masse des hommes à
atteindre est plus nombreuse. Mais quand il s´agit, comme dans le cas de la propagande pour
tenir la guerre jusqu´au bout, d´attirer un peuple entier dans son champ d´action, on ne sera
jamais trop prudent quand il s´agira d´éviter de compter sur de trop hautes qualités
intellectuelles. […] La propagande vise à imposer une doctrine à tout un peuple […] la
propagande agit sur l´opinion publique à partir d´une idée et la rend mûre pour la victoire de
cette idée. »
L´objectif de la propagande hitlérienne est donc clair : il s’agit de conditionner la
conscience des individus et l’opinion publique, et ainsi d´inhiber tout esprit critique.
Ceux qui ont subi la propagande hitlérienne sont nombreux et peuvent être classés en
deux catégories. D´un côté il y a ceux qui ont été persécutés pour ce qu´ils étaient : les Juifs,
les Romas et les Sintis, les Polonais, et d´un autre côté, ceux qui l´ont été pour ce qu’ils
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faisaient : les homosexuels, les communistes, les résistants, quelques adventistes et la quasi
totalité des Témoins de Jéhovah (97 % d´après l´historien Friedrich Zipfel).
En juillet 1929, le parti Deutschnationale Volkspartei (DNVP), mené par Hugenberg,
pangermaniste convaincu, magnat de la presse et du cinéma allemands, scelle une alliance
avec le Nationalsozialistiche Deutsche Arbeiter Partei (NSDAP) (Parti National Socialiste
des Travailleurs Allemands) dont Hitler, sorti de prison en 1925, avait repris la direction. La
propagande nazie s’exerce alors déjà dans de nombreux secteurs, les principaux étant : le
sport, les arts, la musique, le théâtre, le cinéma, la radio, les documents pédagogiques et la
page imprimée sous toutes ses formes (livre, brochure, presse).
L´outil privilégié utilisé dans le cadre de la propagande contre les Bibelforscher
(appellation des Témoins de Jéhovah jusqu´en 1931) est le support écrit.
La presse
Dès 1933, le régime met en place un appareil de contrôle politique, idéologique et
économique sans faille. Le NSDAP a établi trois dirigeants : Joseph Goebbels pour la
propagande, Max Amann pour l´ensemble de la presse nationale socialiste et ses éditeurs, et
Otto Dietrich, chef de la presse du Reich.
Le monde de la presse écrite, constitué jusqu´alors de plus de 3 400 quotidiens, va se
réduire considérablement. De nombreux journalistes hostiles au régime sont mis en examen.
Les journaux à tendance bourgeoise exercent une autocensure, dans certains cas par crainte et
dans d´autres par conviction, ce qui leur vaut d´être épargnés dans un premier temps. En 1935
Goebbels rend juridiquement possible la liquidation des maisons d´édition privées. Les
informations sont filtrées et les journalistes sélectionnés. Fin 1944, il n´existe plus que 625
petits journaux privés, qui ne couvrent que 17, 5 % des lectures à l´échelle nationale, contre
82, 5 % sous tutelle gouvernementale. C´est ce contexte qu´il faut garder à l´esprit.
Observons à présent la méthode adoptée pour discréditer les Témoins de Jéhovah par
la presse en analysant quelques articles.
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• Sechsämter neueste Nachrichten, 6 décembre 1933. Le journal fait le compte rendu du
procès de deux Témoins de Jéhovah ayant distribué des exemplaires du Goldenes Zeitalter
(une de leurs revues) en juin 1933. Pour leur défense les accusés font appel à l´article 135
de la constitution qui garantit la liberté de religion et de conscience. Le journaliste
rapporte le refus du juge pour qui la liberté d´opinion est garantie dans la mesure où elle
ne perturbe pas le bon fonctionnement du nouvel État. Les deux Témoins sont condamnés
à une amende et à une peine de prison.
• Heilbronner Tagblatt, 14 juillet 1933. Dans l’article «Hinter den Kulissen der Zeugen
Jehovas», Hans Hauptmann dénonce l´idéologie séditieuse propagée par le Juge
Rutherford (l´un des précurseurs américains du mouvement des Témoins de Jéhovah). Le
Juge Rutheford est qualifié de prophète démoniaque à la solde de la communauté juive, de
fou et de diable menaçant qui prône l´usage de l´Ancien Testament. Le dernier paragraphe
est une ode obséquieuse au gouvernement et à son Führer, l´interdiction des Bibelforscher
y est célébrée comme la victoire d´une bataille. Le ton et le contenu de l´article constituent
un parfait exemple de la façon dont le gouvernement dirige la presse.
• En 1934, un journal paroissial, le Heiligenbeiler Zeitung, publie un dossier de quelques
pages intitulé Die Maske herunter! (Bas les masques!) qui dénonce les dangereux faits et
gestes du Juge Rutherford et des Témoins de Jéhovah, et les accuse d´avoir de dangereux
objectifs politiques sionistes, les qualifiant de «bolchéviques juifs internationaux».
• Nationalblatt, 26 juin 1936. Un communiqué relate le procès de deux femmes et d´un
homme de la ville de Cologne, qui auraient parlé de leurs convictions malgré
l´interdiction. Taxés de fanatiques pour avoir prêché des idées antimilitaristes, ils sont
condamnés à la prison. La phrase de conclusion est un appel à l’action contre les Témoins
de Jéhovah : «Wir müssten uns mit allen Kräften dagegen wehren, dass unser Volk
verdorben werde.» («Nous devrions déployer toutes nos forces pour empêcher que notre
peuple soit corrompu.»)
• Un article paru le 8 juillet 1936 à Düsseldorfi
rapporte l’arrestation et le procès de deux
femmes âgées livrées à la police par une personne à laquelle elles avaient parlé de leurs
croyances. Le fils d’une de ces femmes veut la faire passer pour folle mais échoue.
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L’auteur de l’article affirme que les doctrines des Témoins de Jéhovah seraient propagées
part de nombreux communistes.
On pourrait citer d’autres articles qui présentent le même trait : rapprochement des
Bibelforscher avec Juifs, franc-maçons, bolcheviques, communistes et marxistes, et
poursuivent la même fin : discréditer les Témoins de Jéhovah et prévenir la population qu´en
s´alliant aux Témoins de Jéhovah elle s’expose à de sérieuses représailles : amende, peine de
prison, perte de son emploi, remise en cause générale des moyens d´existence.
Les livres
La propagande contre les Bibelforscher a commencé bien avant l’arrivée des nazis au
pouvoir. Dans son livre Weltvernichtung durch Bibelforscher und Juden (Destruction du
monde par les Étudiants de la Bible et les Juifs) paru en 1925, Auguste Fetz dévoile les liens
qui existeraient entre l´organisation des Bibelforscher et la communauté juive. Dans un
précédent ouvrage (Der Grosse Volks- und Weltbetrug durch die ‘Ersten Bibleforscher’ !)
publié en 1924, Fetz a déjà accusé les Témoins de Jéhovah de poursuivre, à eux seuls, les
objectifs de la franc-maçonnerie, du bolchevisme, de l´anarchie et du judaïsme, afin de
provoquer une révolution et une anarchie mondiales, et un nouvel esclavagisme mondial.
Selon Fetz, les nombreuses références, dans leurs écrits, au nom hébreu de Dieu (Jéhovah)
ainsi que la mention de prophètes tels Abraham, Isaac et Jacob, font d’eux de dangereux
militants sionistes. L´Association internationale des Étudiants de la Bible serait en réalité une
organisation juive.
Dès 1923, Alfred Rosenberg, chargé par le Führer de la surveillance de l´ensemble
des formations et éducations spirituelles et idéologiques de la NSDAP, dénonce les
Bibelforscher comme étant au service des Juifs, chargés d´hypnotiser les masses et de les
préparer à la domination mondiale juive. Il conclut que les Bibelforscher sont dans le domaine
ecclésiastique et religieux ce que sont la démocratie et le marxisme en politique.
Ces rumeurs, savamment entretenues pendant des années, répandent l´idée selon
laquelle les Étudiants de la Bible seraient une organisation annexe du gouvernement secret
juif, elles rendent légitime la délation civile, elles justifient la condamnation et l’internement
dans les camps de concentration des Témoins de Jéhovah.
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La désinformation ayant fait son œuvre, les Témoins de Jéhovah sont définitivement
interdits dans le Reich par le ministère de l’Intérieur de Berlin, le 24 juin 1933. L’arrêté
précise : « Pour combattre les menées communistes » témoignant de l’efficacité de la rumeur.
Le bilan de leur interdiction pendant les douze années suivantes, selon Willi Pohl, est le
suivant : « Plus de 14 000 d’entre eux, originaires d’Allemagne et des pays occupés, ont été
directement victimes des nazis. Environ 10 000 fidèles ont été condamnés à une peine de
prison, et plus de 4 000 envoyés en camp de concentration […] Beaucoup de leurs enfants ont
été enfermés dans des foyers d’éducation nazis ou confiés à des familles fidèles au régime. En
se basant uniquement sur les registres, on peut affirmer que plus de 1400 Témoins de Jéhovah
ont été assassinés par les nazis. »ii
Au sortir de la guerre, l´Allemagne va se diviser. Les Allemands de l´Est subiront une
propagande politique au service d’une autre idéologie mais aux méthodes similaires.
La propagande communiste en République Démocratique Allemande
La République démocratique allemande (RDA), nom officiel de l'Allemagne de l'Est,
naît le 7 octobre 1949. Elle cesse d'exister après sa réunification avec la République fédérale
d'Allemagne (RFA) le 3 octobre 1990, pour former l'actuelle Allemagne. Durant plus de
quarante ans la population a subi le joug communiste sous tutelle soviétique.
Les Soviétiques favorisent le renforcement du rôle du Parti communiste (KPD). Les
sociaux-démocrates du Parti social-démocrate (SPD) fusionnent avec les communistes, dans
la zone d'occupation soviétique, en avril 1946. Ils fondent le Sozialistische Einheit
Deutschlands (SED), Parti Socialiste Unifié. Le SED représente dès lors la première force
politique d'Allemagne de l'Est.
A l'issue du « congrès du Peuple », le 30 mai 1949, on proclame la Constitution d´une
république de nature identique aux démocraties populaires de l'Europe de l'Est. Un régime au
parti unique s'installe, s´appropriant le contrôle de l'opinion par une police politique, la Stasi.
Avec ses 100 000 agents et peut-être un demi million d’indicateurs pour 16 millions
d’habitants, la Stasi va ficher le tiers de la population.
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Pour le SE, la propagande doit servir à éduquer les travailleurs, à les équiper