Est-il facile d'être catholique aujourd'hui en France ?
LAURENCE FAURE
CRÉÉ LE 29/04/2016 / MODIFIÉ LE 04/05/2016 À 12H48
D'après un récent sondage Ifop pour le site d'information Atlantico, les catholiques pratiquants seraient une grande majorité à estimer qu'il est « facile » d'être catholique aujourd'hui en France, bien plus que les années précédentes.
Réalisé entre le 7 et le 11 avril dernier, le sondage commandé par le site Atlantico.fr relève que 75% des catholiques pratiquants estiment qu'il est facile d'être catholique aujourd'hui en France – 28% de « très facile » et 47% de « assez facile » –, contre respectivement 62 et 61% en octobre 2014 et mars 2015... Alors que plusieurs affaires de pédophilie secouent actuellement l'Eglise, on peut s'étonner que ce sentiment de facilité soit majoritaire.
S'il estime qu'il faut prendre ces résultats « avec prudence » – la tendance générale entre mars 2009 et avril 2016 reste sensiblement la même pour l'ensemble des catholiques, soit plus de 60% à estimer qu'il est facile d'être catholique en France –, Charles Mercier, maître de conférence d'histoire contemporaine à l'université de Bordeaux, relève au sein de la société française une « configuration globale » qui n'est « plus du tout la même » aujourd'hui qu'en octobre 2014.
« Durant la période qui a succédé à la Manif pour Tous, analyse-t-il, un courant de l’Église catholique, non majoritaire mais significatif, a développé une certaine logique victimaire. Restés sur un échec, les catholiques se sentaient minoritaires, bousculés. En janvier 2014, 110.000 catholiques avaient envoyé au pape François une lettre, à l'occasion de la visite de François Hollande au Vatican, pour lui présenter un certain nombre de griefs, notamment un sentiment d'attaque de la part du gouvernement et des médias, et leur "inquiétude grandissante" face à la promotion par le gouvernement, "d'atteintes majeures aux droits fondamentaux de la personne humaine", dont la loi Taubira… Un climat très polarisé s'était installé. »
Et de constater : « Aujourd'hui, nous sommes dans un contexte d'unité nationale, où l'ennemi intérieur commun est devenu le fondamentalisme. Parallèlement, l'inflexion du gouvernement vis-à-vis des religions et notamment des catholiques – je pense notamment à la visite de François Hollande au pape, au discours de Bernard Cazeneuve à l'occasion de l'inauguration de la cathédrale de Créteil en septembre 2015, à sa participation aux Etats Généraux du christianisme et à son discours de clôture dans la cathédrale de Starsbourg –, ont pu influer sur la perception que les catholiques avaient de leur position au sein de la société. »
Et si les affaires de gestion de cas de pédophilie dans l’Église la bousculent, ce ne serait pas nécessairement un critère de défaveur de la part de l'opinion publique. « Il y a clairement une exigence de l'opinion publique par rapport à l'institution, estime encore Charles Mercier, mais aussi un intérêt pour les processus d'adaptation et de réaction mis en place dans ces affaires, et pour les initiatives courageuses des évêques pour prendre le mal à sa racine. »
Pour plusieurs observateurs cependant, la question de la « facilité » à être catholique en France n'est pas si aisément mesurable. « La question est trop large et agrège des réponses très diverses », commente le politologue Yann Raison du Cleuziou, auteur de Qui sont les cathos aujourd'hui ? (DDB, 2014). S'il estime qu'il y a « impossibilité » à commenter ce chiffre en tant que tel, il constate que les choses « ont changé aujourd'hui », notamment dans le rapport des catholiques à l'institution. « Il est clair que le pontificat de François n'a pas du tout la même réception dans les médias que la fin du pontificat de Benoît XVI (avril 2005 - février 2013), commente-t-il. En découle une atmosphère différente qui joue sur l'ambiance interne au catholicisme : sous Benoît XVI, les polémiques liées au discours de Ratisbonne, à l'affaire Williamson, à la gestion des scandales de pédophilie fin 2009… avaient créé une ambiance extrêmement pesante, les catholiques devant toujours se justifier de mots, de conduites, de pratiques, qui ne renvoyaient aboslument pas à leur vie ordinaire en paroisse, en communauté. »
Et d'en conclure : « Le pape François rend plus facile l'affirmation d'appartenance à l’Église car il n'est pas dans une ligne clivante – dans le sens où il ne se positionne pas en opposition de la société – l’Église ne doit pas avoir de douanes, rappelle-t-il, appartenir à l’Église ne signifie pas être parfaits, elle n'est pas une secte de purs, etc. »
Affirmation des identités religieuses ?
Interrogé par Atlantico.fr, Laurent Stalla Bourdillon, prêtre et directeur du Service pastoral d'études politique, estime lui, que le chiffre élevé de 75% relève plus de « l'affirmation de l'identité catholique » comme une « libre expression de ses choix personnels », que de l'adhésion à l'exigence d'une pratique. « (…) la pratique du culte à l'église se prolonge logiquement dans une pratique de l'écoute, de l'accueil, du don gratuit dans la vie quotidienne, observe-t-il. Or il n'a jamais été facile d'écouter, d'accueillir et de donner (…). Qui voudrait être catholique aujourd'hui quand on sait ce qu'il peut en coûter, ici ou ailleurs dans le monde? Il demeure que 28% des personnes sondées estiment qu'il reste difficile d'être catholique. »
Le résultat, selon lui, s'inscrit donc plus dans une « tendance globale de l'affirmation des identités religieuses ». « Les identités confessionnelles ont une importance croissante, abonde Yann Raison du Cleuziou. Nous sommes dans une recomposition de la société autour d'identités et les identités confessionnelles en font partie. » Pour autant, nuance-t-il, « historiquement, les catholiques n'ont jamais renoncé à affirmer leur identité. En revanche, ils ont eu des stratégies d'identification différentes. Aujourd'hui nous sommes dans une époque où les religions s'affichent à travers les identités clivantes et une visibilité religieuse clivante. Je parlerais donc plutôt de changement des formes d'identification aujourd'hui. C'est notamment vrai pour la minorité de catholiques que j'appelle « observants », qui vont chercher à manifester leur appartenance à l'Église à travers des formes visibles clivantes, comme la soutane. Dans un autre registre, un certain nombre de diocèses revalorisent les processions de rue. On redonne ainsi une visibilité à des formes proprement religieuses. Cela répond à la montée en puissance de ces « observants » qui ne sont pas majoritaires mais qui font parler d'eux. »
Enfin, il n'en reste pas moins que, selon le même sondage, 47% des catholiques pratiquants estiment que leur religion est traitée « plus sévèrement » que les autres (18% jugent au contraire qu'elle est traitée moins sévèrement et 35%, de la même façon que les autres). « Le sentiment de facilité à être catholique n'empêche pas un sentiment d'inégalité, commente Charles Mercier. On peut estimer qu'il est plus facile d'être catholique en France que dans d'autres pays – Moyen Orient, Afrique –… et avoir malgré tout le sentiment d'être moins bien traités ». Et d'expliquer : « Ce sentiment d'inégalité est propre à toutes les communautés. Le sentiment de non reconnaissance de ceux qui ont une croyance religieuse est sans doute une réalité en France, relevée dans différentes études récentes. Elle est notamment liée à une vision de la laïcité interprétée comme un refoulement de l'identité religieuse à l'espace privé ».
http://www.lavie.fr/debats/chretiensendebats/est-il-facile-d-etre-catholique-aujourd-hui-en-france-29-04-2016-72664_431.php
LAURENCE FAURE
CRÉÉ LE 29/04/2016 / MODIFIÉ LE 04/05/2016 À 12H48
D'après un récent sondage Ifop pour le site d'information Atlantico, les catholiques pratiquants seraient une grande majorité à estimer qu'il est « facile » d'être catholique aujourd'hui en France, bien plus que les années précédentes.
Réalisé entre le 7 et le 11 avril dernier, le sondage commandé par le site Atlantico.fr relève que 75% des catholiques pratiquants estiment qu'il est facile d'être catholique aujourd'hui en France – 28% de « très facile » et 47% de « assez facile » –, contre respectivement 62 et 61% en octobre 2014 et mars 2015... Alors que plusieurs affaires de pédophilie secouent actuellement l'Eglise, on peut s'étonner que ce sentiment de facilité soit majoritaire.
S'il estime qu'il faut prendre ces résultats « avec prudence » – la tendance générale entre mars 2009 et avril 2016 reste sensiblement la même pour l'ensemble des catholiques, soit plus de 60% à estimer qu'il est facile d'être catholique en France –, Charles Mercier, maître de conférence d'histoire contemporaine à l'université de Bordeaux, relève au sein de la société française une « configuration globale » qui n'est « plus du tout la même » aujourd'hui qu'en octobre 2014.
« Durant la période qui a succédé à la Manif pour Tous, analyse-t-il, un courant de l’Église catholique, non majoritaire mais significatif, a développé une certaine logique victimaire. Restés sur un échec, les catholiques se sentaient minoritaires, bousculés. En janvier 2014, 110.000 catholiques avaient envoyé au pape François une lettre, à l'occasion de la visite de François Hollande au Vatican, pour lui présenter un certain nombre de griefs, notamment un sentiment d'attaque de la part du gouvernement et des médias, et leur "inquiétude grandissante" face à la promotion par le gouvernement, "d'atteintes majeures aux droits fondamentaux de la personne humaine", dont la loi Taubira… Un climat très polarisé s'était installé. »
Et de constater : « Aujourd'hui, nous sommes dans un contexte d'unité nationale, où l'ennemi intérieur commun est devenu le fondamentalisme. Parallèlement, l'inflexion du gouvernement vis-à-vis des religions et notamment des catholiques – je pense notamment à la visite de François Hollande au pape, au discours de Bernard Cazeneuve à l'occasion de l'inauguration de la cathédrale de Créteil en septembre 2015, à sa participation aux Etats Généraux du christianisme et à son discours de clôture dans la cathédrale de Starsbourg –, ont pu influer sur la perception que les catholiques avaient de leur position au sein de la société. »
Et si les affaires de gestion de cas de pédophilie dans l’Église la bousculent, ce ne serait pas nécessairement un critère de défaveur de la part de l'opinion publique. « Il y a clairement une exigence de l'opinion publique par rapport à l'institution, estime encore Charles Mercier, mais aussi un intérêt pour les processus d'adaptation et de réaction mis en place dans ces affaires, et pour les initiatives courageuses des évêques pour prendre le mal à sa racine. »
Pour plusieurs observateurs cependant, la question de la « facilité » à être catholique en France n'est pas si aisément mesurable. « La question est trop large et agrège des réponses très diverses », commente le politologue Yann Raison du Cleuziou, auteur de Qui sont les cathos aujourd'hui ? (DDB, 2014). S'il estime qu'il y a « impossibilité » à commenter ce chiffre en tant que tel, il constate que les choses « ont changé aujourd'hui », notamment dans le rapport des catholiques à l'institution. « Il est clair que le pontificat de François n'a pas du tout la même réception dans les médias que la fin du pontificat de Benoît XVI (avril 2005 - février 2013), commente-t-il. En découle une atmosphère différente qui joue sur l'ambiance interne au catholicisme : sous Benoît XVI, les polémiques liées au discours de Ratisbonne, à l'affaire Williamson, à la gestion des scandales de pédophilie fin 2009… avaient créé une ambiance extrêmement pesante, les catholiques devant toujours se justifier de mots, de conduites, de pratiques, qui ne renvoyaient aboslument pas à leur vie ordinaire en paroisse, en communauté. »
Et d'en conclure : « Le pape François rend plus facile l'affirmation d'appartenance à l’Église car il n'est pas dans une ligne clivante – dans le sens où il ne se positionne pas en opposition de la société – l’Église ne doit pas avoir de douanes, rappelle-t-il, appartenir à l’Église ne signifie pas être parfaits, elle n'est pas une secte de purs, etc. »
Affirmation des identités religieuses ?
Interrogé par Atlantico.fr, Laurent Stalla Bourdillon, prêtre et directeur du Service pastoral d'études politique, estime lui, que le chiffre élevé de 75% relève plus de « l'affirmation de l'identité catholique » comme une « libre expression de ses choix personnels », que de l'adhésion à l'exigence d'une pratique. « (…) la pratique du culte à l'église se prolonge logiquement dans une pratique de l'écoute, de l'accueil, du don gratuit dans la vie quotidienne, observe-t-il. Or il n'a jamais été facile d'écouter, d'accueillir et de donner (…). Qui voudrait être catholique aujourd'hui quand on sait ce qu'il peut en coûter, ici ou ailleurs dans le monde? Il demeure que 28% des personnes sondées estiment qu'il reste difficile d'être catholique. »
Le résultat, selon lui, s'inscrit donc plus dans une « tendance globale de l'affirmation des identités religieuses ». « Les identités confessionnelles ont une importance croissante, abonde Yann Raison du Cleuziou. Nous sommes dans une recomposition de la société autour d'identités et les identités confessionnelles en font partie. » Pour autant, nuance-t-il, « historiquement, les catholiques n'ont jamais renoncé à affirmer leur identité. En revanche, ils ont eu des stratégies d'identification différentes. Aujourd'hui nous sommes dans une époque où les religions s'affichent à travers les identités clivantes et une visibilité religieuse clivante. Je parlerais donc plutôt de changement des formes d'identification aujourd'hui. C'est notamment vrai pour la minorité de catholiques que j'appelle « observants », qui vont chercher à manifester leur appartenance à l'Église à travers des formes visibles clivantes, comme la soutane. Dans un autre registre, un certain nombre de diocèses revalorisent les processions de rue. On redonne ainsi une visibilité à des formes proprement religieuses. Cela répond à la montée en puissance de ces « observants » qui ne sont pas majoritaires mais qui font parler d'eux. »
Enfin, il n'en reste pas moins que, selon le même sondage, 47% des catholiques pratiquants estiment que leur religion est traitée « plus sévèrement » que les autres (18% jugent au contraire qu'elle est traitée moins sévèrement et 35%, de la même façon que les autres). « Le sentiment de facilité à être catholique n'empêche pas un sentiment d'inégalité, commente Charles Mercier. On peut estimer qu'il est plus facile d'être catholique en France que dans d'autres pays – Moyen Orient, Afrique –… et avoir malgré tout le sentiment d'être moins bien traités ». Et d'expliquer : « Ce sentiment d'inégalité est propre à toutes les communautés. Le sentiment de non reconnaissance de ceux qui ont une croyance religieuse est sans doute une réalité en France, relevée dans différentes études récentes. Elle est notamment liée à une vision de la laïcité interprétée comme un refoulement de l'identité religieuse à l'espace privé ».
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