INTERCONVICTIONNEL
Les Voix de la Paix portent haut le vivre-ensemble
Louise Gamichon - publié le 31/03/2016
Hasard du calendrier, quelques heures après les attentats de Bruxelles, le 22 mars, une manifestation interconvictionnelle se déroulait à la Mairie de Paris. Des « Voix de la paix » qui résonnaient d'autant plus fortement dans ce contexte.
Ils venaient parler de vivre-ensemble, leur initiative a trouvé un écho différent ce mardi 22 mars. Une trentaine d'intervenants participaient aux « Voix de la Paix », un rassemblement prévu de longue date sous le signe des valeurs républicaines et de la laïcité. Si les visages exprimaient de la préoccupation, à la tribune comme dans le parterre composé de plusieurs centaines d'auditeurs, les messages prônant le dialogue et l'action pacifique face à l'horreur du terrorisme n'en étaient que plus forts.
Bruno Julliard, premier adjoint à la maire de Paris, a ouvert l’événement, rappelant que « l'actualité montre à quel point il est important que tous ceux qui ont envie de construire la paix – croyants, religieux et athées – se mettent autour d'une même table et construisent ensemble un monde meilleur, celui de demain ». Yann Boissière, rabbin du Mouvement juif libéral de France et initiateur de la rencontre, a souligné à quel point « l'époque nécessite de défendre des valeurs de rassemblement », appelant à aller vers l'interconvictionnel plutôt que l'interreligieux.
Des débats institutionnels
C'est d'ailleurs dans cet esprit que les deux tables rondes ont été organisées, mêlant religieux et laïcs. La première, intitulée « Le dialogue interconvictionnel est-il condamné à l'autocensure ? », réunissait ainsi Marie-Stella Boussemart, ex-présidente de l'Union bouddhiste de France, Floriane Chinsky, rabbin, Jean-Michel Ducomte, président de la Ligue de l'enseignement, le pasteur Jean-Paul Morley et l'islamologue Ousmane Timera.
La seconde, « Quelles propositions les diverses familles spirituelles sont-elles prêtes à avancer pour la paix sociale ? », animée par Virginie Larousse, rédactrice en chef du Monde des Religions, se concentrait sur les suggestions d'actions de terrain du prêtre catholique Antoine Guggenheim, du rabbin Michel Serfaty, du Grand maître du Grand Orient de France Daniel Keller et de Tareq Oubrou, recteur de la grande mosquée de Bordeaux.
Chacun a pu réaffirmer à quel point le dialogue dans le respect, la rencontre avec l'autre, l'éducation des enfants, sont importants et peuvent être fructueux bien au-delà des croyances et incroyances. En conclusion des débats, la philosophe Catherine Kintzler a observé que « la notion de paix sociale ne va pas de soi. Tous les intervenants ont voulu dire qu'il existe une agora, un espace zéro qui est un espace laïque. Chacun dit qu'il faut accepter de se fâcher un peu avec soi-même, avec des traditions que l'on a cru peut-être immuables. Accepter le fait qu'on puisse se désarmer, au fond se sentir parfois un peu démuni, pour que la raison s'exerce et que l'on puisse travailler les arguments ».
Des prix pour des actions concrètes
Deux citoyens ont reçu une distinction pour leur engagement en faveur de la fraternité : Nathalie Baschet pour son projet « Le goût de l'autre » et le prêtre catholique Christian Delorme pour ses actions en faveur du vivre-ensemble. Nathalie Baschet, animatrice de cours de langue française et d'alphabétisation à la mairie du IVe arrondissement, a imaginé des dîners interculturels. Le but de cette membre du Réseau Chrétien Immigrés : poursuivre les échanges avec ses étudiants. « Nous apprenons d'eux autant que nous leur enseignons », a-t-elle souligné.
Le père Christian Delorme était récompensé pour l'ensemble de son parcours : depuis la défense des prostituées qui occupèrent l'église Saint-Nizier de Lyon en 1975 jusqu'à son engagement en faveur des droits humains au Tibet, en passant par l'organisation de la « Marche des Beurs » pour l'égalité en 1983. Surnommé le « curé des Minguettes » pour avoir exercé dans cette banlieue populaire de Lyon, il s'investit considérablement dans le dialogue interreligieux avec les musulmans.
L'artiste Gérard Garouste avait réalisé deux œuvres originales pour ces lauréats. Il les leur a remis en main propre durant la cérémonie.
Des « anticorps » contre la radicalité
Autre temps fort du rassemblement : la présentation d'un « Manifeste des femmes pour la paix ». Neuf grands noms – l’écrivaine chrétienne Christine Pedotti, la directrice du Centre de prévention contre la radicalisation Dounia Bouzar, le rabbin Delphine Horvilleur ou encore la présidente de La Ligue des Droits de l'Homme Françoise Dumont – ont expliqué à la tribune pourquoi elles étaient des « voix de la paix ». L'idée de « construire nos lendemains communs » et d'y inclure tout le monde, à commencer par les femmes, a été largement reprise par les intervenantes.
Différents dignitaires religieux et spirituels, parmi lesquels Dalil Boubakeur, recteur de la grande mosquée de Paris, Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République, le pasteur Laurent Schlumberger, président de l'Église protestante unie de France, ont également porté un message de paix, de démocratie et de fraternité.
Ce moment a été suivi d'un discours politique, prononcé par Gilles Clavreul, délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme (Dilcra), soulignant « l'exigence des voies de la paix » et la difficulté de lutter contre ses « ennemis et ses adversaires ». Malgré tout, a-t-il ajouté, « beaucoup de nos concitoyens prennent ce chemin exigeant mais exaltant, et se battent pour les valeurs de la République ».
Des discours d'unité comme une façon de « générer des anticorps contre la radicalité niant la personne humaine : par la parole, le respect de l'autre, le vivre-ensemble, et l'aspiration à vivre pleinement ces valeurs républicaines, que l'on soit dans la foi ou dans la reconnaissance de la spiritualité laïque », selon l'expression d'Anne Hidalgo, maire de Paris.
Les participants ont pu ensuite assister à un concert de musiques religieuses, dont certaines pièces zoroastriennes, écouter des lectures de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, du gospel, et des poèmes de différentes traditions religieuses. L'instant culturel s'est clôt avec La Marseillaise, avant qu'un buffet interconvictionnel ne soit proposé. Le moment de faire vivre l'unité dans la convivialité et l'apaisement.
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