Un Vendredi saint au Yémen
JEAN-PIERRE DENIS, DIRECTEUR DE LA RÉDACTION
CRÉÉ LE 22/03/2016
Quatre saris blancs bordés de bleu au bord de la mer Rouge. Je suis hanté par ces visages brièvement apparus sur les réseaux sociaux et dans les médias internationaux, puis disparus, effacés, emportés par le flot des attentats, des imprécations, des « trumperies ». Elles étaient quatre petites sœurs, si petites, si extraordinairement ordinaires qu’il faut un peu chercher pour trouver leur prénom et leur nationalité. Marguerite et Reginette, Judith, Anselm. Deux Rwandaises, une Kényane, une Indienne. Emblématiques de l’universalité du christianisme et de sa vitalité venue des anciens pays de mission, elles formaient communauté au Yémen. Plus personne n’ose se rendre ou rester dans ce pays ensanglanté par une guerre clanique, religieuse et géopolitique qui alignerait déjà 10.000 morts et plus de deux millions de déplacés. Elles n’ignoraient donc rien des risques encourus. Mais d’Aden, où jadis Arthur Rimbaud puis Paul Nizan tentèrent de se fuir, elles avaient refusé de partir. Fidèles à leur vocation, la plus dérisoire qui soit, elles tenaient un foyer pour personnes âgées et handicapées.
Au Yémen, où le christianisme est désormais proscrit, la Passion du Christ a été vécue pour ainsi dire dans le concret et par anticipation le 4 mars, quand deux tueurs ont fait irruption dans le couvent des Missionnaires de la Charité. On a retrouvé les sœurs mains attachées, une balle dans la tête, abattues ainsi qu’une douzaine de volontaires laïcs qui les aidaient. Depuis, pas de nouvelles de leur aumônier, Tom Uzhunnalil, un salésien indien – les Salésiens sont une congrégation éducative fondée par Don Bosco, proche des milieux populaires. Au lieu de fuir, ce prêtre serait resté dans la chapelle, pour éviter que les hosties ne soient profanées par les terroristes. On pourra ricaner devant ce scrupule dérisoire ou entrevoir l’immensité d’un geste fort comme le lien qui unit le Jeudi saint et le Vendredi saint. Ce choix sacerdotal rappelle que le sacrifice du Christ disqualifie toute idée de vengeance : « Ceci est mon corps, livré pour vous. »
Combien de religieux et de religieuses dans le monde donnent leur vie au service des mourants, des enfants, des victimes de conflit ou d’exploitation ? Depuis le début du siècle, rapporte l’agence Fides (liée au Saint-Siège), environ 400 agents pastoraux auraient été tués pour des raisons politiques ou mafieuses. Déjà il y a une quinzaine d’années, trois autres disciples de Mère Teresa avaient été assassinées au Yémen. Quel que soit leur ordre, les petites sœurs ne font jamais de discours, encore moins de « com » ; on ne les remarque guère ; elles reculent rarement. À Gaza ou en Irak, les Missionnaires de la Charité étaient restées. Partout dans le monde, loin de leur pays natal, les 5000 femmes de la congrégation vivent dans un dénuement radical et inconditionnel. Au pied de la Croix, chaque jour.
JEAN-PIERRE DENIS, DIRECTEUR DE LA RÉDACTION
CRÉÉ LE 22/03/2016
Quatre saris blancs bordés de bleu au bord de la mer Rouge. Je suis hanté par ces visages brièvement apparus sur les réseaux sociaux et dans les médias internationaux, puis disparus, effacés, emportés par le flot des attentats, des imprécations, des « trumperies ». Elles étaient quatre petites sœurs, si petites, si extraordinairement ordinaires qu’il faut un peu chercher pour trouver leur prénom et leur nationalité. Marguerite et Reginette, Judith, Anselm. Deux Rwandaises, une Kényane, une Indienne. Emblématiques de l’universalité du christianisme et de sa vitalité venue des anciens pays de mission, elles formaient communauté au Yémen. Plus personne n’ose se rendre ou rester dans ce pays ensanglanté par une guerre clanique, religieuse et géopolitique qui alignerait déjà 10.000 morts et plus de deux millions de déplacés. Elles n’ignoraient donc rien des risques encourus. Mais d’Aden, où jadis Arthur Rimbaud puis Paul Nizan tentèrent de se fuir, elles avaient refusé de partir. Fidèles à leur vocation, la plus dérisoire qui soit, elles tenaient un foyer pour personnes âgées et handicapées.
Au Yémen, où le christianisme est désormais proscrit, la Passion du Christ a été vécue pour ainsi dire dans le concret et par anticipation le 4 mars, quand deux tueurs ont fait irruption dans le couvent des Missionnaires de la Charité. On a retrouvé les sœurs mains attachées, une balle dans la tête, abattues ainsi qu’une douzaine de volontaires laïcs qui les aidaient. Depuis, pas de nouvelles de leur aumônier, Tom Uzhunnalil, un salésien indien – les Salésiens sont une congrégation éducative fondée par Don Bosco, proche des milieux populaires. Au lieu de fuir, ce prêtre serait resté dans la chapelle, pour éviter que les hosties ne soient profanées par les terroristes. On pourra ricaner devant ce scrupule dérisoire ou entrevoir l’immensité d’un geste fort comme le lien qui unit le Jeudi saint et le Vendredi saint. Ce choix sacerdotal rappelle que le sacrifice du Christ disqualifie toute idée de vengeance : « Ceci est mon corps, livré pour vous. »
Combien de religieux et de religieuses dans le monde donnent leur vie au service des mourants, des enfants, des victimes de conflit ou d’exploitation ? Depuis le début du siècle, rapporte l’agence Fides (liée au Saint-Siège), environ 400 agents pastoraux auraient été tués pour des raisons politiques ou mafieuses. Déjà il y a une quinzaine d’années, trois autres disciples de Mère Teresa avaient été assassinées au Yémen. Quel que soit leur ordre, les petites sœurs ne font jamais de discours, encore moins de « com » ; on ne les remarque guère ; elles reculent rarement. À Gaza ou en Irak, les Missionnaires de la Charité étaient restées. Partout dans le monde, loin de leur pays natal, les 5000 femmes de la congrégation vivent dans un dénuement radical et inconditionnel. Au pied de la Croix, chaque jour.