Noël - Marie : grandeur et mystère d'une mère
Dès les premières années du christianisme, la Vierge va occuper une place grandissante dans la réflexion théologique autour du mystère de l'Incarnation.
PAR CATHERINE GOLLIAU
Publié le 23/12/2015 à 11:33 - Modifié le 23/12/2015 à 11:45 | Le Point.fr
Est-ce pour mieux asseoir le principe de l’incarnation ? Rapidement va se développer la thèse d’une virginité après la naissance (post-partum) de Marie, et le Protévangile de Jacques - considéré comme apocryphe par l’Église - est au IIe siècle le premier écrit chrétien à la mentionner explicitement. Est-ce pour mieux asseoir le principe de l’incarnation ? Rapidement va se développer la thèse d’une virginité après la naissance (post-partum) de Marie, et le Protévangile de Jacques - considéré comme apocryphe par l’Église - est au IIe siècle le premier écrit chrétien à la mentionner explicitement.
« Voilà que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils, et tu l'appelleras du nom de Jésus. » C'est par ces paroles que, d'après l'Évangile de Luc (1,26-56), un ange annonça un jour à une jeune fille de Galilée qu'elle aurait un enfant hors du commun. Surprise de l'intéressée : « Comment cela sera-t-il puisque je ne connais pas d'homme ? » L'ange, alors, lui répondit : « L'Esprit Saint viendra sur toi. » L'évangéliste Matthieu évoque aussi cette extraordinaire fécondation. « Marie, sa mère, était fiancée à Joseph : or, avant qu'ils eussent mené vie commune, elle se trouva enceinte par le biais du Saint Esprit. » (1,23). Toujours proche des Écritures, Matthieu rappelle que cet événement s'inscrit dans la tradition prophétique en citant le Livre d'Esaïe (7,14) : « Voici que la vierge concevra et enfantera un fils », inscrivant ainsi Myriam (Marie en hébreu).
Miracle ? La naissance fabuleuse d'un héros est un motif très répandu dans l'Antiquité. Nombreux sont ainsi les héros de la Bible nés miraculeusement de femmes âgées et jusque-là stériles : Isaac, Jacob, Joseph, Samuel, mais aussi Jean-Baptiste. L'écrivain juif Philon d'Alexandrie (25 av. J.-C. / 50 ap. J.-C.), dans son traité De Cherubim (40-52), analyse la naissance d'Isaac, fils d'Abraham et de la vieille Sarah, comme une naissance virginale. Des manuscrits retrouvés à Qumrân font état d'humains engendrés par des anges. Le thème est donc courant à l'époque de la rédaction des Évangiles, et chez Luc comme chez Matthieu, il peut être une manière d'exprimer la relation particulière qui lie, avant même sa naissance, Jésus à Dieu. « Dieu envoya son Fils né d'une femme… » suggère d'ailleurs avant eux Paul de Tarse dans son Épître aux Galates.
Le mystère de l'incarnation
Dès les premières années du christianisme, le mystère de l'incarnation - Dieu fait homme dans la personne de Jésus - va s'imposer comme l'un des fondements de la christologie, et Marie va occuper une place grandissante dans la réflexion théologique. Dans les Évangiles canoniques - Marc, Luc, Matthieu et Jean -, sa place est pourtant bien modeste. Matthieu et Luc la font rapidement disparaître après la petite enfance de Jésus. Marc y fait allusion en racontant qu'un jour, Marie vient avec ses enfants chercher Jésus alors qu'il est en train de prêcher (Mc, 3 :21), mais elle se fait rabrouer.
De fait, elle ne semble pas très convaincue par la mission que s'est donné son fils aîné. Dans l'Évangile de Jean, texte plus tardif, Marie semble au contraire avoir pleinement confiance dans les pouvoirs surnaturels de Jésus. C'est d'ailleurs elle qui, lors des noces de Cana, prévient son fils qu'il n'y a plus rien à boire et lui demande d'user de son pouvoir pour procurer du vin (Jn, 2, 1-6). Ensuite, elle disparaît du récit de Jean pour réapparaître au pied de la croix où Jésus, agonisant, la confie au « disciple préféré » (Jn 19 :25-7). Elle est aussi présente dans les Actes des Apôtres (Actes, 1 :14), dont la rédaction est attribuée en grande partie à Luc. Ensuite, plus rien.
Prophète sans père
Est-ce pour mieux asseoir le principe de l'incarnation ? Rapidement va se développer la thèse d'une virginité après la naissance (post-partum) de Marie, et le Protévangile de Jacques - considéré comme apocryphe par l'Église - est au IIe siècle le premier écrit chrétien à la mentionner explicitement. L'auteur a-t-il ressenti le besoin de conforter la pureté de Marie ? Même si Joseph a accepté d'endosser le rôle de père, la réputation de Marie n'était pas bonne chez les adversaires du christianisme. Vers 180, le philosophe païen Celse écrit : « La mère de Jésus a été chassée par le charpentier qui l'avait demandée en mariage, pour avoir été convaincue d'adultère et être devenue enceinte des œuvres d'un soldat romain nommé Panthera. Séparée de son époux, elle donna naissance à Jésus, un bâtard. » (Contra Celsum, I, 32, 5).
Au VIIe siècle, le Coran, qui fait de Jésus un prophète majeur et le sauveur de la fin des temps, le désigne comme « le fils de Marie », manière plutôt élégante de reconnaître qu'il n'a pas de père... Conscients du problème, les théologiens chrétiens vont donc finir par imposer l'idée que la vierge de Nazareth n'a pu être touchée par le mal : après de très longues controverses, l'Église catholique énoncera ainsi en 1854 le dogme de l'« Immaculée conception » : Marie née sans péché. Mieux, elle ne peut mourir comme tout le monde : ce n'est pas seulement son âme, mais son corps qui montent au ciel après sa mort, événement fêté par les catholiques lors de l'Assomption et par les orthodoxes lors de la « Dormition ». En 1952, l'Assomption devient d'ailleurs un dogme de l'Église catholique.
Cet article est paru dans Le Point Hors série, Jésus, que vous pouvez retrouver Ici.
Consultez notre dossier : Le Journal de Noël
http://www.lepoint.fr/dossiers/lifestyle/le-journal-de-noel/
Dès les premières années du christianisme, la Vierge va occuper une place grandissante dans la réflexion théologique autour du mystère de l'Incarnation.
PAR CATHERINE GOLLIAU
Publié le 23/12/2015 à 11:33 - Modifié le 23/12/2015 à 11:45 | Le Point.fr
Est-ce pour mieux asseoir le principe de l’incarnation ? Rapidement va se développer la thèse d’une virginité après la naissance (post-partum) de Marie, et le Protévangile de Jacques - considéré comme apocryphe par l’Église - est au IIe siècle le premier écrit chrétien à la mentionner explicitement. Est-ce pour mieux asseoir le principe de l’incarnation ? Rapidement va se développer la thèse d’une virginité après la naissance (post-partum) de Marie, et le Protévangile de Jacques - considéré comme apocryphe par l’Église - est au IIe siècle le premier écrit chrétien à la mentionner explicitement.
« Voilà que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils, et tu l'appelleras du nom de Jésus. » C'est par ces paroles que, d'après l'Évangile de Luc (1,26-56), un ange annonça un jour à une jeune fille de Galilée qu'elle aurait un enfant hors du commun. Surprise de l'intéressée : « Comment cela sera-t-il puisque je ne connais pas d'homme ? » L'ange, alors, lui répondit : « L'Esprit Saint viendra sur toi. » L'évangéliste Matthieu évoque aussi cette extraordinaire fécondation. « Marie, sa mère, était fiancée à Joseph : or, avant qu'ils eussent mené vie commune, elle se trouva enceinte par le biais du Saint Esprit. » (1,23). Toujours proche des Écritures, Matthieu rappelle que cet événement s'inscrit dans la tradition prophétique en citant le Livre d'Esaïe (7,14) : « Voici que la vierge concevra et enfantera un fils », inscrivant ainsi Myriam (Marie en hébreu).
Miracle ? La naissance fabuleuse d'un héros est un motif très répandu dans l'Antiquité. Nombreux sont ainsi les héros de la Bible nés miraculeusement de femmes âgées et jusque-là stériles : Isaac, Jacob, Joseph, Samuel, mais aussi Jean-Baptiste. L'écrivain juif Philon d'Alexandrie (25 av. J.-C. / 50 ap. J.-C.), dans son traité De Cherubim (40-52), analyse la naissance d'Isaac, fils d'Abraham et de la vieille Sarah, comme une naissance virginale. Des manuscrits retrouvés à Qumrân font état d'humains engendrés par des anges. Le thème est donc courant à l'époque de la rédaction des Évangiles, et chez Luc comme chez Matthieu, il peut être une manière d'exprimer la relation particulière qui lie, avant même sa naissance, Jésus à Dieu. « Dieu envoya son Fils né d'une femme… » suggère d'ailleurs avant eux Paul de Tarse dans son Épître aux Galates.
Le mystère de l'incarnation
Dès les premières années du christianisme, le mystère de l'incarnation - Dieu fait homme dans la personne de Jésus - va s'imposer comme l'un des fondements de la christologie, et Marie va occuper une place grandissante dans la réflexion théologique. Dans les Évangiles canoniques - Marc, Luc, Matthieu et Jean -, sa place est pourtant bien modeste. Matthieu et Luc la font rapidement disparaître après la petite enfance de Jésus. Marc y fait allusion en racontant qu'un jour, Marie vient avec ses enfants chercher Jésus alors qu'il est en train de prêcher (Mc, 3 :21), mais elle se fait rabrouer.
De fait, elle ne semble pas très convaincue par la mission que s'est donné son fils aîné. Dans l'Évangile de Jean, texte plus tardif, Marie semble au contraire avoir pleinement confiance dans les pouvoirs surnaturels de Jésus. C'est d'ailleurs elle qui, lors des noces de Cana, prévient son fils qu'il n'y a plus rien à boire et lui demande d'user de son pouvoir pour procurer du vin (Jn, 2, 1-6). Ensuite, elle disparaît du récit de Jean pour réapparaître au pied de la croix où Jésus, agonisant, la confie au « disciple préféré » (Jn 19 :25-7). Elle est aussi présente dans les Actes des Apôtres (Actes, 1 :14), dont la rédaction est attribuée en grande partie à Luc. Ensuite, plus rien.
Prophète sans père
Est-ce pour mieux asseoir le principe de l'incarnation ? Rapidement va se développer la thèse d'une virginité après la naissance (post-partum) de Marie, et le Protévangile de Jacques - considéré comme apocryphe par l'Église - est au IIe siècle le premier écrit chrétien à la mentionner explicitement. L'auteur a-t-il ressenti le besoin de conforter la pureté de Marie ? Même si Joseph a accepté d'endosser le rôle de père, la réputation de Marie n'était pas bonne chez les adversaires du christianisme. Vers 180, le philosophe païen Celse écrit : « La mère de Jésus a été chassée par le charpentier qui l'avait demandée en mariage, pour avoir été convaincue d'adultère et être devenue enceinte des œuvres d'un soldat romain nommé Panthera. Séparée de son époux, elle donna naissance à Jésus, un bâtard. » (Contra Celsum, I, 32, 5).
Au VIIe siècle, le Coran, qui fait de Jésus un prophète majeur et le sauveur de la fin des temps, le désigne comme « le fils de Marie », manière plutôt élégante de reconnaître qu'il n'a pas de père... Conscients du problème, les théologiens chrétiens vont donc finir par imposer l'idée que la vierge de Nazareth n'a pu être touchée par le mal : après de très longues controverses, l'Église catholique énoncera ainsi en 1854 le dogme de l'« Immaculée conception » : Marie née sans péché. Mieux, elle ne peut mourir comme tout le monde : ce n'est pas seulement son âme, mais son corps qui montent au ciel après sa mort, événement fêté par les catholiques lors de l'Assomption et par les orthodoxes lors de la « Dormition ». En 1952, l'Assomption devient d'ailleurs un dogme de l'Église catholique.
Cet article est paru dans Le Point Hors série, Jésus, que vous pouvez retrouver Ici.
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