Le lobby du vin lance une campagne «d'information» contestée
Mots clés : alcool, Addiction, dépendance, vin, HAS
Par figaro iconSoline Roy - le 08/12/2015
La Haute Autorité de santé dénonce l'instrumentalisation par le lobby du vin des repères de consommation élaborés à des fins de prévention.
«Aimer le vin, c'est aussi avoir un grain de raison», proclame une nouvelle campagne de communication portée par Vin et Société, qui représente la filière viticole en France. Lancée dimanche dans la presse… et très vite contestée par la Haute Autorité de santé (HAS) qui fustige «une campagne publicitaire (qui) détourne un outil médical de lutte contre les dangers de l'alcool».
Au programme de ce qui se revendique comme une campagne d'information: de majestueux verres à pied contenant des nectars aux airs gouleyants, de sympathiques personnages-grains de raisins et tout en bas, un avertissement: «Aimer le vin, c'est connaître les repères de consommation». Et d'égrener 4 chiffres (2 verres quotidiens maximum pour les femmes, 3 pour les hommes, 4 en une seule occasion, 0 une fois par semaine).
Des plafonds plutôt que des moyennes
L'un des visuels de la campagne de Vin et Société.
L'un des visuels de la campagne de Vin et Société.
«Ces chiffres, nous ne les avons pas inventés, ils sont inscrits dans le Plan national nutrition santé et diffusés par tous les acteurs officiels», se défend Audrey Bourolleau, déléguée générale de Vin et société. «Le lobby du vin n'a pas à rougir de cette démarche, on y a investi 600.000 euros. La France n'alloue que 5 millions par an, soit 2 % des dépenses de santé, à la prévention contre l'alcool, et a déjà été épinglée pour cela!»
Crainte principale de la HAS: que les repères mentionnés par Vin et Société ne deviennent une incitation à consommer de l'alcool. «Les seuils mentionnés par la HAS sont ceux qui nécessitent de déclencher une intervention médicale. Il ne s'agit en aucune façon de dire qu'en dessous de ces seuils, la consommation serait normale, recommandée ou exempte de risque», précise l'autorité sanitaire dans un communiqué.
«Zone à risque modéré»
Vin et société rétorque qu‘il s'agit, en particulier avant la période des fêtes, d'apprendre aux gens comment «être raisonnable». «Nous avons mené, en 2012, 2013 et 2014, trois sondages avec l'Ifop qui montraient que 9 Français sur 10 ignorent ce qu'est une consommation modérée d'alcool», précise Audrey Bourolleau.
Mais les repères affichés ne font que définir une «zone à risque modéré», met en garde le Pr Michel Reynaud, addictologue à l'hôpital Paul Brousse (Villejuif) et président du Fond action addictions qu'il a créé en mars 2015. «Cela ne veut pas dire qu'il n'y a aucun danger à trois verres par jour pour un homme, mais qu'au-dessus, le risque explose de façon exponentielle.» Le Pr Serge Hercberg, président du Plan national nutrition santé (PNNS), est encore plus sévère selon l'AFP: selon lui, ces «repères» sont complètement «obsolètes» et datent du début des années 2000. Des études ont notamment montré depuis que le risque de cancer augmentait dès une consommation moyenne d'un verre par jour.
Autre problème soulevé par la HAS: «Ces seuils ne peuvent pas s'appliquer à certaines populations: les jeunes de moins de 25 ans, les femmes enceintes, les personnes atteintes de maladies chroniques, les personnes âgées ou les personnes prenant un traitement médical.» «Nous avons choisi de mettre d'abord en place le B-A-BA, car si l'on veut tout dire, on n'est pas efficace, se défend Audrey Bourolleau. Dans un second temps, sur les réseaux sociaux, on ira plus loin dans la démarche.» Et de préciser que «les prétests réalisés auprès de consommateurs ont montré qu'ils vivaient cette campagne comme une campagne d'information, et pas de valorisation de nos produits.»
«C'est de l'incitation!»
«Vous plaisantez!», s'étrangle Michel Reynaud. «La main sur le cœur, ils disent faire de la prévention. Mais le vin représente 95 % du visuel de l'affiche, le vin y est associé à la raison… Ce n'est pas de la prévention, c'est de l'incitation à la consommation!» Toute la stratégie des vendeurs d'alcool, explique le Pr Reynaud, est «de toucher les jeunes et les femmes, ainsi que les gens qui ne boivent pas ou très peu et qui pourraient, face à cette publicité, se dire “ah ce n'est pas dangereux, je peux donc boire plus”».
Lui y voit le premier effet pervers du «démantèlement de la loi Évin», voté dans le cadre de la loi Santé actuellement au Parlement. «Nous sommes maintenant dans un marché légal non régulé, et toutes les études montrent que plus il y a de la publicité pour l'alcool, plus la consommation augmente, et plus les consommations à risque augmentent. Il n'y a que deux choses qui marchent vraiment pour la prévention des addictions: augmenter le prix et diminuer la publicité. C'est évidemment contraire aux intérêts des alcooliers, ce n'est donc pas à eux de faire de la prévention.»
Mots clés : alcool, Addiction, dépendance, vin, HAS
Par figaro iconSoline Roy - le 08/12/2015
La Haute Autorité de santé dénonce l'instrumentalisation par le lobby du vin des repères de consommation élaborés à des fins de prévention.
«Aimer le vin, c'est aussi avoir un grain de raison», proclame une nouvelle campagne de communication portée par Vin et Société, qui représente la filière viticole en France. Lancée dimanche dans la presse… et très vite contestée par la Haute Autorité de santé (HAS) qui fustige «une campagne publicitaire (qui) détourne un outil médical de lutte contre les dangers de l'alcool».
Au programme de ce qui se revendique comme une campagne d'information: de majestueux verres à pied contenant des nectars aux airs gouleyants, de sympathiques personnages-grains de raisins et tout en bas, un avertissement: «Aimer le vin, c'est connaître les repères de consommation». Et d'égrener 4 chiffres (2 verres quotidiens maximum pour les femmes, 3 pour les hommes, 4 en une seule occasion, 0 une fois par semaine).
Des plafonds plutôt que des moyennes
L'un des visuels de la campagne de Vin et Société.
L'un des visuels de la campagne de Vin et Société.
«Ces chiffres, nous ne les avons pas inventés, ils sont inscrits dans le Plan national nutrition santé et diffusés par tous les acteurs officiels», se défend Audrey Bourolleau, déléguée générale de Vin et société. «Le lobby du vin n'a pas à rougir de cette démarche, on y a investi 600.000 euros. La France n'alloue que 5 millions par an, soit 2 % des dépenses de santé, à la prévention contre l'alcool, et a déjà été épinglée pour cela!»
Crainte principale de la HAS: que les repères mentionnés par Vin et Société ne deviennent une incitation à consommer de l'alcool. «Les seuils mentionnés par la HAS sont ceux qui nécessitent de déclencher une intervention médicale. Il ne s'agit en aucune façon de dire qu'en dessous de ces seuils, la consommation serait normale, recommandée ou exempte de risque», précise l'autorité sanitaire dans un communiqué.
«Zone à risque modéré»
Vin et société rétorque qu‘il s'agit, en particulier avant la période des fêtes, d'apprendre aux gens comment «être raisonnable». «Nous avons mené, en 2012, 2013 et 2014, trois sondages avec l'Ifop qui montraient que 9 Français sur 10 ignorent ce qu'est une consommation modérée d'alcool», précise Audrey Bourolleau.
Mais les repères affichés ne font que définir une «zone à risque modéré», met en garde le Pr Michel Reynaud, addictologue à l'hôpital Paul Brousse (Villejuif) et président du Fond action addictions qu'il a créé en mars 2015. «Cela ne veut pas dire qu'il n'y a aucun danger à trois verres par jour pour un homme, mais qu'au-dessus, le risque explose de façon exponentielle.» Le Pr Serge Hercberg, président du Plan national nutrition santé (PNNS), est encore plus sévère selon l'AFP: selon lui, ces «repères» sont complètement «obsolètes» et datent du début des années 2000. Des études ont notamment montré depuis que le risque de cancer augmentait dès une consommation moyenne d'un verre par jour.
Autre problème soulevé par la HAS: «Ces seuils ne peuvent pas s'appliquer à certaines populations: les jeunes de moins de 25 ans, les femmes enceintes, les personnes atteintes de maladies chroniques, les personnes âgées ou les personnes prenant un traitement médical.» «Nous avons choisi de mettre d'abord en place le B-A-BA, car si l'on veut tout dire, on n'est pas efficace, se défend Audrey Bourolleau. Dans un second temps, sur les réseaux sociaux, on ira plus loin dans la démarche.» Et de préciser que «les prétests réalisés auprès de consommateurs ont montré qu'ils vivaient cette campagne comme une campagne d'information, et pas de valorisation de nos produits.»
«C'est de l'incitation!»
«Vous plaisantez!», s'étrangle Michel Reynaud. «La main sur le cœur, ils disent faire de la prévention. Mais le vin représente 95 % du visuel de l'affiche, le vin y est associé à la raison… Ce n'est pas de la prévention, c'est de l'incitation à la consommation!» Toute la stratégie des vendeurs d'alcool, explique le Pr Reynaud, est «de toucher les jeunes et les femmes, ainsi que les gens qui ne boivent pas ou très peu et qui pourraient, face à cette publicité, se dire “ah ce n'est pas dangereux, je peux donc boire plus”».
Lui y voit le premier effet pervers du «démantèlement de la loi Évin», voté dans le cadre de la loi Santé actuellement au Parlement. «Nous sommes maintenant dans un marché légal non régulé, et toutes les études montrent que plus il y a de la publicité pour l'alcool, plus la consommation augmente, et plus les consommations à risque augmentent. Il n'y a que deux choses qui marchent vraiment pour la prévention des addictions: augmenter le prix et diminuer la publicité. C'est évidemment contraire aux intérêts des alcooliers, ce n'est donc pas à eux de faire de la prévention.»